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Posted on 13 novembre 2014 in Tendance

Une année au pinacle  pour les Grognuz père et fils

Une année au pinacle
pour les Grognuz père et fils

L’année 2014 qui s’achève, avec un tri sévère à la vendange, finalement plus prometteuse qu’on l’entrevoyait début septembre, s’est révélée exceptionnelle de bout en bout pour Marco et François Grognuz. Pour faire connaître leurs vins, ils aiment à les marier, deux fois l’an, aux plats les plus subtils des meilleures tables romandes. Rencontre.

Par Pierre Thomas

Dans le vignoble des Evouettes, Marco et François.

Dans le vignoble des Evouettes, Marco et François Grognuz.

Associés depuis bientôt quinze ans, le père, 62 ans, et le fils, 40 ans, en vigne comme en cave, ont la particularité de cultiver leurs 16,5 hectares entre le Valais, pour deux tiers, et Vaud, pour un tiers. Plus exactement entre les Evouettes, petit vignoble d’une vingtaine d’hectares sur la rive gauche du Rhône, en territoire valaisan, qui regarde le Léman, et Saint-Saphorin, mais aussi La Tour-de-Peilz et Villeneuve, où sont encavés et élevés les vins.

Honneur suprême, cette année, leur pinot noir des Evouettes, Sang Bleu 2012, a obtenu le plus haut pointage (93,2/100) au Concours Mondial des pinots, à Sierre. Ce pinot, élevé en barriques, est tiré d’un hectare d’un seul tenant, depuis trente ans. Il possède la race et la finesse des meilleurs pinots de Bourgogne, dont ses clones sont issus, complétés par des Cortaillod. Les 5’000 bouteilles trouvent rapidement preneur: les Grognuz espèrent pouvoir, dans un avenir proche, décaler la sortie du millésime, pour élever le vin 15 mois, au lieu de 12 actuellement.

Champions valdo-valaisans de la syrah

Leurs syrahs sont aussi portées aux nues : elles allient la qualité à la rareté. Entre quatre et cinq barriques pour la syrah de Saint-Saphorin, et une ou deux pour celle des Evouettes, classée meilleure du Valais, deux ans de suite, sans pouvoir en faire profiter les dégustateurs, tant elle est confidentielle… Au Grand Prix du Vin suisse 2014, ces deux syrahs, de Saint-Saphorin et des Evouettes, ont remporté une médaille d’or. Et la petite dernière, la S, de Saint-Saphorin, lancée sur le millésime 2011, une unique barrique neuve de 225 litres, où elle passe deux ans, est encore plus rare. Ce vin non levuré et non filtré, avec le sauvignon blanc des Evouettes, leur a permis d’entrer parmi les 12 domaines vaudois sélectionnés par le rédacteur en chef du magazine Vinum, Thomas Vaterlaus, dans son guide des «100 meilleurs domaines viticoles de Suisse», qui vient de paraître. Une autre syrah s’ajoute à celles-ci : l’Onde Noire, un assemblage réservé par le meilleur sommelier de l’année selon GaultMillau, Jérôme Aké Béda, à l’Auberge de l’Onde à Saint-Saphorin, élaborée moitié-moitié avec des jus de Saint-Saphorin et de Vétroz, pour laquelle Gilles Besse met à disposition une petite partie de sa Cayas, une des syrahs valaisannes les plus réputées.

Du vin pour le café familial

Le domaine viticole des Grognuz est, de tout temps, lié à la gastronomie. D’abord, la famille exploitait 2 hectares de vigne à La Tour-de-Peilz, pour écouler ses vins au Café du Centre, réputé pour sa «désossée» de filets de perche, aujourd’hui fermé. Puis, il y a quarante ans, pour permettre à Marco, et à son frère Frédéric, «recyclé» dans la politique — il a été nommé à la Cour des comptes du canton de Vaud —, de vivre de la vigne, leur père acheta 4,5 hectares aux Evouettes, faute de pouvoir louer des vignes à Lavaux. Avec ce vignoble, la famille devenait propriétaire du café le Guillaume Tell, aujourd’hui rebaptisé GT et confié à un exploitant. Puis, en 1979, une opportunité leur permettait d’élargir leur domaine à Saint-Saphorin, et de reprendre une cave à Villeneuve.

Ces quatre décennies, un gros travail a été mené dans le vignoble, pour cultiver le chasselas en culture haute, et replanter en guyot les autres cépages. A la Sélection vaudoise 2014, tant les chasselas 2013 Les Chevaliers, de Saint-Saphorin, que Les Rois, de Villeneuve, tous deux passés pour une part en barriques usagées, pour les oxygéner, qu’un nouvel assemblage rouge de Saint-Saphorin, Anthology (merlot, diolinoir, pinot), ont remporté une médaille d’or. Et Marco, redoutable dégustateur, est un des gardiens du temple du label Terravin : il préside l’une des deux commissions de validation, l’autre étant conduite par Bernard Bovy, qui cèdera sa place en fin d’année à l’œnologue (retraité) Charly Bovy.

Une panoplie pour haute gastronomie

Avec sept cépages blancs, outre le chasselas, le sauvignon, le chardonnay — élevé en barriques comme en Californie, où François a fait des stages —, le viognier, mais aussi du païen, et même «une bricole» de petite arvine à Fully, et du gewurztraminer, pour un liquoreux, et huit cépages rouges, outre le pinot et la syrah, du cabernet franc, du merlot et du gamaret (pour un assemblage nommé Trilogy), mais aussi du cornalin, de l’ancelotta et du galotta, la panoplie, à Saint-Saphorin comme aux Evouettes, est vaste. Elle mérite donc une mise en valeur «de sorte»

Depuis 2002, les Grognuz proposent aux amateurs des repas-dégustations au printemps, et depuis cinq ans, en automne aussi. Disons-le d’emblée : le soussigné en a animé une dizaine, comme cette expérience mémorable, course d’école en bus loué, chez Georges Wenger, au Noirmont. Ou chez Philippe Rochat, quelques jours avant la transmission de l’Hôtel-de-Ville de Crissier à Benoît Violier, où l’émotion traversait littéralement la brigade. Ou chez Etienne Krebs, premier de la lignée, qui vient de fermer définitivement son Ermitage de Clarens. Et chez Gérard Rabaey, là encore juste avant de céder le Pont de Brent à son disciple Stéphane Décotterd, naturellement visité dès son installation.

Aucune bonne adresse de la Riviera n’a échappé à cette tournée. En ce début novembre, un samedi à midi, le dernier «ressat», comme disent les vignerons vaudois, s’est tenu chez Edgard Bovier, installé depuis dix ans au Lausanne-Palace & Spa.

Une émulation californienne

A chaque fois, c’est l’occasion de marier mets et vins et de sortir quelques vieux millésimes, comme ces syrahs de Saint-Saphorin 2008 en magnum. «On ne vise qu’un but : passer un bon moment avec une quarantaine de gastronomes et amis. Rien de commercial dans l’opération, puisqu’il arrive que le restaurateur n’ait pas nos vins à la carte ou que des gastronomes n’en achètent pas pour leur cave, juste du relationnel, pour mettre en avant les meilleurs chefs de notre région», commentent en chœur Marco et François Grognuz. Belle dynamique !

Il faut dire que l’émulation est garantie, avec Laurence, la fille (et sœur) installée en Californie, où elle conduit avec son mari veveysan René Schlatter, le beau domaine de Merryvale, à Santa Helena. L’occasion pour Marco, de cultiver sur place chaque année, avant les vendanges suisses, ses amitiés avec Michael Silacci, le «winemaker» d’Opus One, aux aïeux tessinois, ou avec le jeune œnologue lausannois Jean Hoefliger, voisin installé à Napa Valley lui aussi, où il vient d’obtenir 100 points sur 100 à la dernière sélection du Wine Advocate de Bob Parker pour deux de ses vins, «The Debate to Kalon» et «Dr Crane» d’Alpha Omega. Rien que du beau monde!

Pierre Thomas

Sur le Net : www.cavedesrois.ch

©thomasvino.ch