Vers une AOC Valais à deux vitesses
Le 25 mars, l’assemblée de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais (IVVVs) a approuvé les grandes lignes du projet Viti 2020. Mieux, son «chargé de mission», le consultant Yvan Aymon, a été élu président de l’IVVVs, chargée de mettre en place un catalogue de mesures qui ne s’est pratiquement pas écarté du projet mis en consultation en novembre 2014.
Par Pierre Thomas
Au comité de l’IVVVs, Yvan Aymon sera entouré de trois membres de la production et trois de l’encavage, dont deux vice-présidents, Léonard Perraudin (Provins-Valais) pour la production et Frédéric Rouvinez (Domaines Rouvinez) pour l’encavage.
Le rapport postule que les mesures s’échelonneront sur cinq ans (dès 2015), selon des rôles précis des acteurs du milieu. «L’Etat doit définir quoi et la branche comment. Si cette règle n’est pas respectée, des décisions inappropriées pourraient être prises avec des conséquences importante sur l’économie vitivinicole», met en garde in fine le rapport, en écho à la reprise en main politique annoncée par le conseiller d’Etat Jean-Michel Cina à fin 2014.
Vins valaisans dans tous les segments
Sur le fond, cette stratégie postule que le Valais reste à 5’000 ha de vigne (soit un tiers du vignoble suisse), afin de «rentabiliser les investissements faits dans l’infrastructure (caves), de garder un volume qui permette de satisfaire plusieurs segments de marchés et d’exister sur ces marchés, le Valais a besoin d’un volume minimum. Si les vins valaisans cèdent des segments de marché, ceux-ci seront automatiquement occupés par des régions concurrentes.» Cette stratégie passe par un élargissement de la liste des cépages tolérés par l’AOC (cépages dits de niche et autres cépages améliorateurs) et par une définition d’une pyramide des vins du Valais.
Une pyramide sinusoïdale
Le modèle (illustration) repris par le document final fait beaucoup jaser. On y voit dans le segment AOC un «slalom» entre l’AOC dite de base et une nouvelle AOC «Label Marque Valais». La première serait assouplie, avec la possibilité d’assemblages, de moût concentré rectifié (voire de douelles ou de copeaux), pour des vins d’entrée de gamme plus faciles, mais néanmoins AOC. La seconde pourrait être sans coupage (sauf une tolérance générale de 5%), tenir compte du bilan carbone, de la vinification et de l’embouteillage en Valais, une condition qui pourrait être en contradicton avec les velléités de certaines régions d’Europe de rapprocher la mise en bouteille des lieux de consommation (comme le fait Provins-Valais chez Bataillard, près de Lucerne, et les caves valaisannes du groupe Schenk, à Rolle/VD).
L’absence d’IGP suisse fait problème
En clair, il y aurait une forme de d’AOC PLUS et d’une AOC MOINS, toujours sous la bannière des vins du Valais. Comme le montre l’illustration, la pointe de la pyramide serait occupée par les Grands Crus et la base par une très mince couche de «vin de/du pays».
Cette manière de présenter les choses découle de l’absence, dans la législation suisse, du segment «Indication géographie protégée» (IGP). Valaisans et Vaudois (mais Genevois aussi, soit les producteurs de 75% des vins suisses !) ont le problème de renforcer l’identité de leurs vins. Une manière de profiler les plus originaux serait d’introduire un segment de base IGP, qui pourrait tolérer des assemblages de cépages ou de provenance. Mais il n’est pas question d’appeler un vin à la fois AOC et IGP Valais, Vaud ou Genève. Il faut trouver ou bien des dénominations plus limitées pour les AOC ou plus larges pour les IGP, en-dehors du périmètre des AOC. Par exemple, restreindre les AOC aux villages et les «upgrader», avec un périmètre délimité, ou élargir les IGP à des noms géographiques plus larges, comme les «Coteaux du Léman», de Genève au Chablais, ou les «Terrasses valaisannes», des Evouettes à Visperterminen.
La Suisse en classant l’ensemble de son vignoble en AOC cantonales s’est coupé la possibilité de s’aligner sur l’Union Européenne pour les IGP. L’UE tolère des AOC de provenance et de typologie. Chacune dispose d’un cahier des charges précis, comme par exemple en Ombrie, où les périmètres se superposent, permettant de faire du Montefalco DOCG (à base de 100% sagrantino), le Montefalco Rosso DOC (un assemblage règlementé), le Trebbiano Spoletino DOC (15% de tolérance d’un autre cépage blanc), Spoletino DOC (assemblage blanc) et IGT Umbria, dans un périmètre sensiblement semblable. Une lettre du ministre de l’agriculture italien, à fin 2014, a confirmé qu’il est possible de rappeler sur l’étiquette la provenance régionale d’un vin : un Barolo peut désormais revendiquer d’être un «vin du Piémont», ce qu’il ne pouvait pas afficher sur l’étiquette jusqu’ici, le consommateur étant censé savoir que Barolo est au Piémont !
Le groupe de réflexion mis sur pied par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) devrait proposer une modification de la législation fédérale et les IGP, selon nos informations, pourraient prendre place dans la législation fédérale suisse. Et, en se déclarant favorable à une AOC fédérale commune aux 26 cantons, le patron du groupe Schenk, Jean-Claude Vaucher, montre que son groupe n’a pas l’intention de se plier à une solution négociée à la valaisanne…
Reste à savoir comment les raisins destinés à l’un ou l’autre segment sera rétribué : c’est la principale crainte des producteurs valaisans à propos de l’AOC + et — d’être à la merci des grandes caves.
©thomasvino.ch