Pages Menu
Categories Menu

Posted on 24 octobre 2015 in Actus - News

Le MCR, un révélateur!

Le MCR, un révélateur!

Faut-il ajouter du MCR (du «moût concentré rectifié»), soit du sirop, au vin fini juste avant la mise en bouteille, pour l’arrondir et plaire à certains goûts de certains consommateurs? Berne a autorisé cette pratique, comme l’Union Européenne, en chargeant les cantons d’être plus sévères dans les AOC qui sont de leur ressort.

Le Valais avait immédiatement réagi en été 2014. Aujourd’hui (novembre 2015), à la faveur du projet agréé par le comité de l’IVVVs, le débat revient, à propos de l«AOC à deux vitesses» que les Valaisans veulent introduire, l’une «dure», l’autre «souple». Les Vaudois ont mis une année à se tâter, puis à rallier dans la douleur la position du Valais d’alors, Fribourg a suivi. A Genève, ça coince… Vendredi 23 octobre, dans Forum, Christelle Domenjoz m’a interviewé (lien sur l’émission ici).

Dans l’hebdomadaire Agri du 6 novembre 2011, le conseiller d’Etat genevois Luc Barthassat réagit à la position «ouverte» de l’interprofession genevoise: «Je n’ai pas l’impression que nous vendrons mieux les vins genevois selon que l’on pratique l’édulcoration ou non, alors autant garder cette qualité sans concession, préserver la notoriété et la spécificité de nos vins AOC. Si on commence à faire des AOC à plusieurs vitesses, le consommateur n’y comprendra plus rien.» Le magistrat genevois touche juste: des règles claires doivent être accessibles au consommateur. En classant 90% de sa production en AOC, la Suisse danse sur un tempo intenable. Ni la pyramide de qualité, ni la législation de l’Union Européenne, en strates qualitatives, ne sont respectées, avec une pression sur les prix mises par la grande distribution. Les grands crus et les AOP devraient figurer au sommet de la pyramide, des indications géographiques protégées (IGP), dans le gros du milieu de gamme et des vins sans appellation en entrée de gamme.

Je n’avais pas lu le texte posté sur son blog par le Français Jacques Berthomeau, auteur d’un fameux rapport sur l’état du vin en France, il y a une dizaine d’année.

C’est un texte tiré du «Dictionnaire du bien manger et des modèles culinaires», de Kilien Stengel, paru chez Honoré Champion, qui résume bien ce que peut penser le consommateur averti : «Avec leurs arômes prétentieux pour lesquels les nouveaux chimistes de l’œnologie ont un penchant coupable, voire immodéré, il est bien difficile de nos jours de trouver un vigneron qui produit un vin à l’ancienne, un vrai grognard de la garde des vins authentiques. Imaginez un vin qui comme son vigneron fait figure de dinosaure, aussi nerveux l’un que l’autre. Le vin d’aujourd’hui est-il réellement du vin ou est-ce plutôt une boisson alcoolisée aromatisée qui doit plaire au consommateur et qui sert les intérêts de ceux qui les élaborent ? L’élaboration des vins est devenue une science exacte et les formules magiques ne sont plus tirées de grimoires, mais soigneusement mises en fiches dans les mémoires des ordinateurs. Le maître de chai est encore là, certes, essentiellement pour le folklore, mais il a cédé la place à l’électronique et à la chimie moderne, que des apprentis sorciers manipulent avec un certain succès. C’est l’inexorable marche du temps que l’on appelle le « progrès » et l’implacable évolution des goûts et des modes avec des extravagances comme celle du « fût neuf », que semble prôner tout le vignoble mondial : les vins sont dès lors trop boisés, et leur dégustation vous fait vous demander si vous n’êtes pas en train de… mâcher une branche.»

A bon dégustateur, salut!

Un pinot noir déniché par l'œonologue Caroline Frey (Jaboulet, La Lagune) et posté sur FB.

Un pinot noir valaisan déniché par l’œonologue Caroline Frey (Jaboulet, La Lagune) et posté sur FB.

A la lecture de cette rubrique, l’oenologue et vigneron du Vully, Christian Vessaz, a réagi. Voici sonb texte, très intéressant sur le «fossé» qui ne cesse de se creuser entre des vins le plus naturels possibles, des «vins viants», et des vins plus techniques, «stabilisés».

Oui, il y a toujours plus d’informatique dans notre métier, il y a des apprentis sorciers, des gens peu scrupuleux mais il y a aussi des « presque encore » jeunes vignerons qui essaient de tracer une nouvelle voie. Du raisin bio, pas de produit en cave (sauf le soufre) et des vins vivants.

Il est possible d’utiliser les progrès pour améliorer la production sans pour autant tomber dans des dérives. Il y a encore 15 ans, seuls les post-soixante-huitards faisaient du bio avec souvent seulement la vision alternative qu’elle offrait, sans penser à la qualité des vins. Cela a changé grâce à principalement à deux outils :

1) les stations météo qui nous informent en temps réel du mildiou et nous permettent de mieux cibler nos traitements

2) toute une gamme d’outils pour entretenir le sol sous les ceps.

Sans cela, adieu la culture bio et vive Bayer et Glyphosate…

A la cave, il est possible de travailler sans produit mais c’est compliqué. En sortant de l’Ecole d’œnologie de Changins, pendant presque 10 ans j’ai utilisé les artifices, j’ai gagné des médailles. Tout allait pour le mieux avec une belle reconnaissance mais quitte à perdre un peu de reconnaissance j’avais envie de m’en affranchir et depuis trois ans, c’est chose faite mais avec deux fois plus de travail de cave et beaucoup plus de soucis.
Les professionnels vivent un peu dans le déni. Lorsque je leur dit que je n’utilise plus de produit à la cave, ils me disent… nous aussi. Et quand je parle d’enzymes, de levures, de collage, de bactéries, etc… ils leur semble que c’est normal de les utiliser.

Le soufre est pour moi capital, c’est lui qui permet d’avoir la précision aromatique et œnologique. Sans lui, tous les vins se ressemblent, il n’y a plus de cépage, de terroir etc… Avec Cédric Besson (Rheinfall) et Etienne Javet, on partage la même vision et d’après mes connaissances, on est pas encore beaucoup en Suisse à travailler ainsi mais cela va changer.

Les anciens ont de la peine à lâcher les produits de cave car c’est cela qui a permis de faire le gain qualitatif de la fin de siècle passé. Depuis que j’ai fait le pas, adieu les médailles en concours. Mes vins ne rentrent plus dans le stéréotype de la feuille à 100 points et surtout ils ne peuvent jamais obtenir un consensus des 5 dégustateurs à la table. De plus, il faut plus que 1 min 30 pour les appréhender et là aussi, les concours ne leur donnent pas le temps nécessaire. (…) Je constate que lorsque des journalistes dégustent mes vins, ils les trouvent expressifs et intéressants et avec un véritable caractère et que quand mes vins sont dans une série, ils ressortent du lot. Certains parlent de vibration, d’autres de minéralité ou encore d’équilibre peu importe.

La caractéristique des vins « vivants » est leur nature volatile. Je n’arrive pas à expliquer mais ces vins changent en fonctions des conditions atmosphériques, de l’ambiance. Lors de la dégustation, leur aromatique n’est pas figée, elle évolue au cours de la consommation d’une bouteille. Autant de facteurs qui concourent à rendre plus complexe tout classement mais qui tendent à élever leur complexité. Je parle de vins « vivants ». Ils sont : bio à la vigne et avec un minimum d’intervention à la cave. Ils ne sont pas Nature mais sont plus que bio ou biodynamiques. J’ai commencé avec des essais de biodynamie en 2009 et suis passé en totalité en 2013. Dès 2013, la vinif a suivi ce chemin aussi.

Avec le recul de trois vendanges, je peux dire que c’est une voie praticable pour les très bons vignerons du pays. Elle demande une implication et un dévouement sans compter ce qui fait que l’offre sera rare mais possible avec le surcoût d’une production véritablement artisanale. Ce n’est sûrement pas la voie pour l’ensemble de la production helvétique mais au vu de la jeunesse des producteurs qui se lancent sur ce chemin, l’espoir est là pour l’avenir.

La viticulture suisse est pour moi dans sa jeunesse. Cela fait 20 ans qu’on fait de la qualité. On progresse plus vite qu’aucune autre pays. On a eu besoin des concours pour se persuader qu’on faisait des bons vins. Maintenant, on doit passer à l’échelon supérieur, celui des grands vins, ceux qui nous imprègnent. 

A mon humble avis, c’est les vins « vivants » qui permettront d’y arriver pour gagner en complexité, en profondeur et de s’affranchir du classique « riche et fruité » prévu pour décrire autant les meilleurs vins blancs que rouges helvétiques. Le chemin est encore long, cela me va bien car j’ai encore pas loin de trente millésimes à réaliser…

Christian Vessaz, Vigneron, Cru de l’Hôpital, Môtier-Vully, octobre 2015.

©thomasvino.ch