Glion (VD) — Hôtel Victoria
Le charme d’un palace discret
Il faut y grimper en funiculaire, de Territet, ou en train à crémaillère, de Montreux, sur la voie escarpée des Rochers-de-Naye, ou en voiture par quelques lacets. Derrière la gare, se tapit l’Hôtel Victoria. Sans doute le Relais & Châteaux le plus discret de Suisse. Son patron, Toni Mittermaier, vient d’atteindre l’âge de l’AVS. Mais il reste fidèle au poste depuis quarante ans. Fils de restaurateur du Sud de l’Allemagne, ce jeune cuisinier n’aurait dû faire que quelques saisons à Glion. Il est resté… rénovant petit à petit, puis rachetant, il y a tout juste vingt ans, ce petit palace à un industriel genevois, qui l’avait garni d’œuvres d’art jusque dans les moindres recoins.
Classiques à l’air libre
L’ancien propriétaire est parti avec ses toiles préférées et a laissé le reste. Quand le brouillard, à la fin du printemps, enveloppe les sapins et qu’on pénètre dans l’enfilade de pièces boisées, on se croit transporté dans un autre temps… Mais l’été, à midi comme le soir, la terrasse rime avec palace. Elle surplombe le Haut-Lac, face aux Dents-du-Midi : un havre de paix, sous sa marquise de fer forgé, drapée de velum.
Le patron a l’œil de Moscou, genre agent du KGB, qui vous glisse, ici ou là un conseil et drille son (jeune) personnel. Pas étonnant que le jeune chef Gilles Vincent proclame : «Je connais l’esprit de la maison. Je suis fait pour la cuisine traditionnelle qu’il faut illuminer un peu. Mais avec ces goûts sûrs, les clients s’y retrouvent.» Ce Savoyard de 36 ans est là depuis près de dix ans, après un apprentissage à Albertville, chez Million, alors célèbre étape de province. Mais il est passé aussi par un autre conservatoire, le Beau Rivage de Condrieu, puis Georges Blanc, Roland Pierroz et Philippe Rochat. Avec un professionnel plus âgé, Yves Bretheau, le duo assure, dans une maison ouverte sept jours sur sept toute l’année, qui reçoit séminaires, mariages ou anniversaires.
Une quenelle d’anthologie
Un loup aux artichauts au jus de betterave ou un tian de tournedos d’agneau, à la provençale, ne font pas peur au chef. Pas plus qu’une quenelle de brochet du Léman d’anthologie, rehaussée d’une sauce homardine, qui réclame un vin blanc corsé (lire ci-contre). En plus osé, une exquise queue de langoustine emballée dans une feuille de brick et juste plongée, à la minute, dans la friture, posée sur une fondue de tomate à l’estragon.
Pour le plat de résistance, le patron, qui s’y connaît (il est aussi boucher !), préfère la viande de bœuf américaine, servie en cœur ou en côte — et la pièce pour deux dépasse alors les cent francs. A la carte, les prix tiennent le rang de l’établissement, mais des menus à 65 fr. à midi et 75 fr. le soir, tempèrent la douloureuse. Et les petits malins repèreront dans la cave, éclectique, les flacons qui la relativisent. La clientèle revient et la table représente 40% d’un volume d’affaires à sept chiffres. Joli exploit par ces temps où la grande restauration tire la langue. Et pas que de soif !
La bonne adresse
Hôtel Victoria, Glion
Tél. 021 962 82 82
Ouvert tous les jours
Le vin tiré de sa cave
Côtes et détours du Rhône
Un chef qui a travaillé à Condrieu, un jeune vigneron qui rencontre un confrère du même village. Il n’en faut pas plus pour que le viognier de François Grognuz, 31 ans, fils de Marco, s’acoquine, au Victoria, avec une quenelle de brochet du Léman. Un mariage presque aussi parfait que — prenons au hasard !— celui d’un vigneron avec la fille d’un syndic vaudois. Pourtant, après une dégustation, les milieux viticoles vaudois n’ont pas voulu de ce cépage réhabilité dans les Côtes-du-Rhône septentrionales, pour l’intégrer dans leur étude sol-cépage. Tant pis ! Du reste, cette toute première illustration (en 2004) des Grognuz, avec ses éclatants arômes de pêche mûre, sa structure crémeuse, bien soutenue par l’acidité et son boisé d’une parfaite discrétion, est un… mauvais exemple. Car s’il est bien vinifié à la Cave des Rois, à Villeneuve (VD), il a été planté sur la rive gauche du Rhône, donc sur sol valaisan, aux Evouettes. Face à une telle réussite, contenue dans deux barriques, François va replanter du viognier, qui plaît tant aux dames.
Chronique parue dans le Matin-Dimanche du 3 juillet 2005.