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Posted on 26 février 2009 in Tendance

«Trop de vins bodybuildés»

«Trop de vins bodybuildés»

Mark de Vere, Mondavi, Californie
«Il y a encore trop
de vins bodybuildés»
Anglais d’Oxford, exilé à Napa Valley depuis douze ans, après un long voyage en Australie et en Nouvelle-Zélande, Mark de Vere, «master of wine» au service de Mondavi, est un excellent observateur du monde du vin. Interview.
Par Pierre Thomas
Depuis quatre ans, Mondavi a été racheté par le groupe Constellation. Y a-t-il encore une identité propre, après cette opération, et le décès du père fondateur, Robert Mondavi, l’an passé?
Le groupe Constellation a conservé le style des vins des cinq entités de Mondavi en Californie (dont la winery de Santa Helena, Simi et Montevideo). Chaque unité a ses propres œnologues, qui sont tous un peu des artistes. Et Opus One, dont Mondavi a gardé 50% du capital, est resté indépendant.
Un vin suisse (lire en fin de fichier) est-il différent d’un vin californien?
Certainement ! Un rouge californien est gorgé de soleil, plus intense, moins floral. Il aura plus de richesse, plus de volume, plus de rondeur.
Justement, de tels vins, plus lourds, sont-ils toujours à la mode?
Malheureusement, oui. La dégustation est un art compliqué. Aux Etats-Unis, les journalistes préfèrent les vins puissants et lourds. Et pour cette raison, il y a encore trop de vins «bodybuildés», même si de plus en plus de consommateurs reviennent d’eux-mêmes à des vins plus légers, avec moins de bois et plus de fraîcheur. On va indéniablement vers des vins plus fins et élégants.
Même en Californie?
Oui, même à Napa Valley. On essaie de vendanger plus tôt, d’éviter la lourdeur et l’alcool. Les vins fermentent directement dans le bois. On sélectionne les fûts pour éviter que le chêne domine trop. Plusieurs cabernets sauvignons au «top» sont élevés dans de grands tonneaux et non plus en petites barriques neuves.
Le cabernet sauvignon californien change de style?
On pratique, comme à Bordeaux, de plus en plus l’assemblage. On ajoute au cabernet sauvignon, du cabernet franc, pour la finesse, du merlot, du malbec ou du petit verdot. Et ces assemblages permettent de mieux tenir compte des qualités du millésime en fonction de chaque cépage.
Tous les Américains, dont on sait qu’ils seront les plus importants consommateurs de vin du monde d’ici dix ans, aiment-ils les vins de la même façon?
La Californie est traditionnellement très ouverte à la nouveauté. New York aussi se laisse convaincre par les vins venus de l’Ouest. Mais il reste une différence entre les côtes Ouest et Est. A New York ou à Boston, les amateurs estiment que les grands vins viennent de France et d’Italie, et ils ne sont guère convaincus par le Nouveau Monde. Un peu comme à Londres…
Les Anglais boivent-ils comme les Américains?
Oh non! A Londres, et je le dis comme Anglais, les journalistes sont obsédés par le prix. Ils mettent un plafond, à 3,99 livres ou à 4,99 livres (moins de 10 francs suisses). Ils plaident pour les «low coast wines» (les vins à bas prix). Et ça n’est pas bon pour les vins californiens, souvent plus chers.
Et la Suisse?
C’est un des principaux marchés importateurs de Mondavi, qui réalise 30% à l’export. En Europe, où nous exportons 3,6 millions de bouteilles par an, la Suisse figure en bonne place avec le Danemark, l’Allemagne et l’Angleterre. Les Suisses sont très ouverts à la diversité des vins et n’hésitent pas à y mettre le prix. Ils ressemblent plutôt aux Californiens qu’aux Anglais.

Eclairage
Les vins suisses?
«Juicy-fruity» and «lovely»

Mark de Vere vient en Europe deux ou trois par an. De Zurich, il a fait un crochet à Lausanne, pour cette interview, menée (en anglais) au nouveau bar à vins Midi 20 (réd. : où Pierre Thomas sélectionne les vins servis au verre). L’occasion était trop belle de lui demander de commenter deux spécialités valaisannes. D’abord, une humagne rouge 2007, de Madeleine Mabillard-Fuchs, à Venthône : «C’est un vin au fruité très délicat. Il est très parfumé, délicieux au palais. Très doux (soft), avec des tanins bien maîtrisés, de type juteux-fruité (juicy-fruity)». Ensuite, la petite arvine 2007 de Gilbert Desvayes à Leytron? «Voilà un vin blanc puissant (strong), épicé, très plein en bouche, avec sa touche de maturité miellée; il a beaucoup d’intensité, avec des arômes de pomme, de grapefruit, et une pointe de sel. Wonderful intensity, very goog finished, lovely! (magnifique intensité, très bonne finale, charmant).

VO de l'article paru dans Hôtel Revue du 26 février 2009