Willi Klinger: les recettes du «miracle» autrichien
Suisse : 1% d’exportation. Autriche : 26% d’exportation… et la Suisse au deuxième rang des plus gros importateurs. Ce succès est à mettre au crédit d’un homme en place depuis dix ans, Willi Klinger, un fils de restaurateur de la Basse-Autriche. Portrait et interview.
Par Pierre Thomas
Fin août 2015, à l’occasion de Mémoire & Friends, au Sihlschloss, à Zurich, cet ancien cabarettiste s’est mis au piano et a chanté, en français, qu’il parle fort bien : «L’important, c’est la rose !». Il aurait pu réinterpérter Gilbert Bécaud en chantant «L’important, c’est l’export !». «Romaniste», il a étudié le français à Salzbourg. Il a d’abord travaillé pour des importateurs de vins, puis s’est engagé, depuis Vienne, comme directeur export mondial pour le Piémontais Angelo Gaja, durant six ans. Depuis 2006, il est au service de l’Austrian Wine Marketing.
Pourquoi les vins suisses ne s’exportent-ils pas ?
La principale raison, c’est que vous n’en avez pas assez, puisque vos 15’000 ha produisent moins de 40% de la consommation de vins en Suisse.
Alors, faut-il renoncer à l’export et tout boire ici?
Non. Il est nécessaire d’exporter, non pas pour atteindre de gros volumes, mais pour faire acte de présence sur les cartes des tables les plus importantes. C’est le tour de force du marketing que de réussir à placer des vins dans ce segment de visibilité. Nos vins, autrichiens ou suisses, ne viennent pas du froid, ce qui serait plutôt une qualité avec le réchauffement climatique, mais de l’obscurité. On est méconnus, à Hong Kong, au Japon, en Chine. Il faut sortir de l’obscurité. «Off the dark» ! Il ne suffit du reste pas de la visibilité et de la notoriété, mais du respect. Le seul moyen d’y arriver, c’est de se présenter à l’extérieur.
Quel est l’argument principal pour exporter les vins autrichiens ?
Notre meilleure arme, c’est le Grüner Veltliner. Les 46’000 ha du vignoble autrichien représentent certes trois fois le suisse, mais moins d’1% de la surface viticole mondiale. Le Grüner Veltliner a toutes les qualités requises par le marché mondial pour le vin blanc. D’abord, il n’est pas trop aromatique et plus sec que le riesling, mais il a suffisamment d’acidité et possède de l’harmonie. Dans la gastronomie, il est passe-partout et accompagne de nombreux plats de toutes les cuisines, notamment asiatiques. On peut le boire tout le temps et il ne lasse pas, il redemande.
Mais les Suisses disent exactement la même chose du chasselas, l’acidité en moins !
Le chasselas fait plus français, plus équilibré, mais manque un peu d’expressivité. Je viens de déguster trois excellents 1ers grands crus vaudois. La délicatesse, la minéralité remplacent la longueur en bouche. Le chasselas est bâti sur la finesse, alors que le Grüner Veltliner plaît à ceux qui aiment les vins plus costauds, plus carrés. Les réserves (Samsgarad) figurent indéniablement dans les grands vins du monde. Le chasselas ressemble plutôt au Soave, qui joue sa carte dans les vins blancs italiens…
Quelle recette avez-vous appliqué pour faire progresser l’exportation ?
Nous avons d’abord réussi à conquérir les experts. Ensuite, nous avons développé la connaissance par l’enseignement sur les cépageset les appellations. Et ensuite, les consommateurs ont suivi. En dix ans, nous avons passé de la curiosité du marché à une présence affirmée. Nous sommes vraiment là. Il y a dix ans, on allait trouver un importateur méfiant à New York, aujourd’hui, un sommelier du Milwaukee doit avoir un Grüner Veltliner sur sa carte des vins !
Quels sont les chiffres de ce succès ?
Nous exportons 26% soit un peu moins de 50 millions de litres (soit l’équivalent de 50% de la production suisse). En 2003, nous étions même à 83 millions de litres pour une valeur de 65 millions d’euros. En 2014, nous en étions à 49,6 millions de litres, pour une valeur de 145 millions d’euros. C’est ça le petit miracle de marketing du vin autrichien qui, toutes proportions gardées, est semblable au succès de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande.
Les Suisses disent que c’est l’argent public qui vous a permis d’arriver là…
Depuis cette année (2015), l’état central ne verse plus rien. Le Parlement a exigé par une loi que la vitiviniculture contribue au budget, en prélevant 1,1 centime d’euro par litre de vendange et 1,1 ct par litre de vin commercialisé. Ces 2,2 ct représentent 4 millions d’euros sur les 8,5 millions de notre budget. Les régions contribuent pour 3,4 millions d’euros et l’Union Européenne, pour 1,1 million. Les régions sont libres de faire davantage pour leurs vins. Et les Autrichiens reçoivent aussi des subventions directes de l’Union Européenne pour l’équipement des caves, d’une quinzaine de millions, qui varie d’année en année selon les projets.
La Suisse, 2ème importateur de vins d’Autriche
En 2014, l’Autriche a produit près de 200 millions de litres de vins (199,8), soit 16% de moins qu’en 2013 (240 mios de litres, un peu inférieur à la moyenne des années 2000).
Le marché autrichien représente 250 mios de litres, soit 31,3 litres par habitant et par an.
Le pays importe 75 mios de litres de vin, pour une valeur de 166 mios d’euros.
L’Autriche exporte un peu moins de 50 mios de litres (49,6) pour près de 145 mios d’euros, en progression constante depuis 2010. L’Allemagne est le plus gros importateur, pour 35,7 mios de litres (+ 4%) et une somme de 78,6 mios d’euros. La Suisse suit, loin derrière, avec 2,5 mios de litres (+ 8%), et une somme stagnant à 15 mios d’euros. En forte progression, au 3ème rang, les Etats-Unis dépassent les 2 mios de litres (+ 18%) et frisent les 10 mios d’euros (+ 15%), devant la Hollande, avec 1,8 mios de litres (+ 38%) et plus de 7 mios d’euros (+ 29%).
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