Production, commerce des vins et traçabilité
Berne propose un contrôle renforcé, unifié et informatisé
Il y a un peu moins d’un an, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) tirait les leçons de diverses affaires qui ont montré des lacunes dans le contrôle de la production et du commerce des vins. Un rapport mettait le doigt sur le fédéralisme à tout va qui prévaut dans ce secteur. Le 6 février 2017, Berne mettra en consultation (pour trois mois) les mesures proposées pour un contrôle unique, y compris pour les quelque 1400 (petits) vignerons-encaveurs. Revue de détails.
Par Pierre Thomas
Point central de la réforme : le Contrôle suisse du commerce des vins (CSCV) devrait, à l’avenir, être la seule instance habilitée à visiter les entreprises de la branche, aussi bien les commerces de détail, qui n’importent que du vin en bouteille, ou du vin en bouteille et en vrac, ainsi que tous les producteurs suisses, les 40 plus grands comme les 1400 «petits» vignerons-encaveurs, dont l’apport extérieur est limité à 20 hectolitres. Ces derniers sont aujourd’hui soumis à un «contrôle équivalent», délégué à plusieurs organismes dont, en Suisse romande, l’Office intercantonal de contrôle (OIC). Cela signifie aussi que les vignerons-encaveurs devront s’acquitter d’émoluments pour ce contrôle, comme les autres entreprises. L’autofinancement du CSCV n’est, en effet, pas remis en question et son subventionnement n’est pas prévu.
Un contrôle unifié et plus inquisiteur
Seul organe de contrôle, le CSCV devra renforcer sa gouvernance et assurer son indépendance, selon des normes admises dans ce genre d’institution. Les entreprises vont-elles être davantage contrôlées ? Non, assure-t-on à l’OFAG : le cycle normal devrait tourner sur le passage d’un inspecteur tous les quatre ans (tous les huit ans si moins de 2000 litres importés en bouteilles).
Le focus sera mis sur les cas à problèmes (lire ci-dessous). Les grandes entreprises à haut risque seront contrôlées par deux inspecteurs, la rotation des inspecteurs sera assurée et il y aura une augmentation des contrôles inopinés. Toutefois, l’effectif du CSCV (7 inspecteurs en 2015, selon le dernier rapport disponible) ne devrait pas être notablement renforcé. Les inspecteurs ne se contenteront plus de vérifier les pièces, mais pourront, dans des cas particuliers, avoir accès à la comptabilité analytique et financière et seront formés pour cela. Enfin, les rapports d’inspection et les pièces justificatives seront numérisés.
A l’image des Autrichiens, très pointus sur la qualité finale des vins, soumis systématiquement à l’analyse et à la dégustation, le CSCV, pourra désormais prélever des échantillons de vin directement auprès du producteur ou de l’importateur à fin d’analyse, et le coût de celle-ci sera mis à la charge de l’entreprise, si le vin s’avère non conforme.
Une «fiche de cave» numérisée et transmise
L’ère numérique 2.0 est annoncée dans les caves suisse! Chaque exploitation aura un identifiant unique et toutes les caves du pays seront tenues de remplir une «fiche de cave» informatique pour cet échange de données avec le CSCV. Elle sera complémentaire au «contrôle de la vendange», qui demeure un autocontrôle dans la plupart des cantons, avec, pour intervenir, «une analyse de risque» et des «inspections inopinées».
Les particularités cantonales, valaisanne pour la «globalisation des acquits», et vaudoise et genevoise pour le calcul de la vendange en litres de «vin clair», seront supprimées. L’ordonnance en vigueur ne les prévoyaient du reste ni dans le premier cas, ni dans le second… Les acquits sont donc établis par unité de surface, par cépage et par désignation géographique plus petite que l’AOC (cantonale en Valais, Genève, Neuchâtel ou souvent régionale pour Vaud). Et le calcul de la vendange exprimé par kilo. Les quotas fédéraux de 1,4 kg m2 pour le blanc et 1,2 kg m2 pour le rouge, avec possibilité pour les cantons de les abaisser, ne sont pas touchés par la réforme… Ces cantons devront échanger leurs informations sur les lots de raisins récoltés dans l’un et vinifiés dans l’autre ; ce flux, plus ou moins opaque jusqu’ici, concerne surtout Genève et Vaud, d’une part, Valais et Vaud, d’autre part.
Une coopération nationale {enfin) cohérente
Et ensuite ? Le passé — lire notre dossier d’il y a deux ans, publié par L’Hebdo — a montré un manque de coopération entre les diverses instances chargées de mettre en œuvre ces contrôles du cep à la bouteille et d’appliquer des mesures, au besoin. Les obstacles juridiques, relevant de la sphère privée ou de la protection des données, devront être aplanis. Une plateforme électronique de discussion vin, rassemblant les autorités d’exécution, existe déjà. Elle doit permettre des échanges entre les organismes chargés de la sécurité alimentaire, l’OFAG, les chimistes cantonaux, les chefs des services cantonaux d’agriculture et le CSCV.
Il s’agira aussi, pour la Confédération, d’«améliorer la (haute) — entre parenthèses, sic ! — surveillance de la Confédération sur le contrôle de la vendange et le commerce des vins». Sans oublier l’information au consommateur pour éviter le dégât d’image sur les vins suisses de toute affaire de fraude supposée ou avérée !
Mais l’ensemble de ces mesures ne touche pas au cadre général de la production de raisin et de vin en Suisse. L’étape suivante sera le passage des AOC et VDP (vin de pays) aux AOP et IGP, selon la définition reprise de l’Union Européenne, qui connaît déjà ce régime. C’est encore un autre chantier où tout est à faire dans un pays de 15’000 hectares de vignoble, soit l’équivalent, en France, de l’Alsace, ou le quart de la Bourgogne et le huitième du Bordelais !
Le calendrier
Ordonnance sur le vin : Ouverture de la consultation sur les modifications le 6 février 2017, pour trois mois ; modification des mesures éventuelles, puis décision du Conseil fédéral en automne pour application au 1er janvier 2018.
Législation sur les AOP – IGP : Travaux préparatoires d’un groupe de travail, présidé par le Vaudois Frédéric Brand, puis consultation en vue de la rédaction d’un message de loi en 2018 ; transmission en commission parlementaire en 2019, discussions aux Chambres courant 2020 – 2021, mise en application dans la Politique agricole 2022.
Contrôle suisse du commerce des vins
Un «pourcentage infime» d’infractions
La Fondation est présidée par l’ancien conseiller d’Etat et aux Etats fribourgeois Urs Schwaller. Selon le rapport 2015, sept inspecteurs travaillaient en Suisse, sous la direction de Philippe Hunziker, dont la succession est en préparation, selon ce rapport.
Autofinancé par la branche (3485 entreprises, dont la moitié – 1723 – pour moins de 2’000 litres de vin par an, et sans les 1400 vignerons-encaveurs indépendants), le CSCV tourne avec un budget annuel inférieur à 3 millions de francs (2,7 mios). 852 entreprises pratiquent le commerce en vrac et en bouteilles ; 91 ont un volume de vin entre 250’000 et 500’000 litres et 145 au-delà, dont 40 à plus de 2 millions de litres de vin commercialisé par an.
En 2015, 1269 entreprises ont été contrôlées et «un infime pourcentage» de celles-ci (1,6%, soit 21 entreprises) ont été dénoncées, 11 pour des dépassements d’assemblage, 7 pour coupage, 4 pour étiquette trompeuse, 2 pour comptabilité de cave et une seule pour le non-respect des limites de production. Le nom des entreprises n’est pas communiqué : il peut apparaître plus tard, au moment où les instances judiciaires se prononcent sur chaque cas, à condition qu’il soit poursuivi, ce qui est du ressort des autorités cantonales, chimiste cantonal, puis ministère public.
©thomasvino.ch/20.01.17