Pesticides ou vins nature? Mauvaise note pour les vins suisses
Les vignerons suisses aiment bien vanter leur grand respect de la nature et leur anticipation du courant éco-bio qui déferle sur la consommation du vin actuellement. Les chimistes cantonaux viennent de contrôler 156 vins indigènes et 99 vins européens importés, tous conventionnels. Verdict : les 6 vins non conformes à la législation sont tous suisses ! Et 20 vins, seulement, ne contenaient pas de résidus, soit 8%. Et les chimistes d’affirmer qu’il y a «un fort potentiel d’amélioration», même si 97,6% des vins répondent aux normes légales actuelles.
Par Pierre Thomas
Le contrôle a porté sur davantage de vins suisses, de 21 cantons, que ne représente la consommation réelle de vin indigène, soit 98 millions de litres pour 168 millions de vins importés pour l’an passé.
Parmi les constatations, il s’avère que «les producteurs suisses recourent à plus d’alternance de matières actives que leurs homologues européens (réd: pour éviter la résistance à ces produits), ce qui conduit à un plus grand nombre de substances différentes dans les vins.» Ainsi, les vins suisses peuvent contenir jusqu’à 12 pesticides, alors que les vins étrangers n’en ont que 8. Et 80% des vins étrangers contiennent 0 à 4 résidus, contre 53% des vins suisses (sous-entendu les 47% restants en contiennent plus !).
On sait que cet «effet cocktail» est aussi mal connu que redouté, même si «les concentrations en pesticides mesurées présentent des valeurs largement inférieures aux valeurs de tolérance en vigueur», soulignent les chimistes cantonaux.
L’analyse a porté sur les millésimes 2014 pour les rouges (une année pluvieuse et froide, à la météo contrastée) et 2015 pour les blancs (une année chaude et sèche): outre les insecticides et les herbicides, les vins peuvent contenir des résidus de fongicides, utilisés contre les maladies propres à la vigne que sont le mildiou, l’oïdium et le botrytis. Ces dernières années, le vignoble suisse a été durement touché par ces fléaux… Les vins bios ont été écartés de ce contrôle et rien ne dit que tous les raisins avaient été cultivés selon les normes de la viticulture intégrée (PI).
Quelque 10% des producteurs traitent plus ou moins bien, pour des résultats qui sortent largement de la moyenne. Les chimistes cantonaux suggèrent un renforcement des bonnes pratiques visant à optimiser l’usage des phytosanitaires et à diminuer les teneurs en pesticides dans les vins. Ils recommandent l’édition d’un «guide des bonnes pratiques vitivinicoles» et des incitations financières ou promotionnelles pour tous les producteurs faisant l’effort de produire leurs vins avec un minimum de résidus. Mais l’Association des chimistes ne montre guère l’exemple, puisqu’elle ne publie pas la liste des vins analysés, pas même les 20 vins qui n’ont aucun résidu, ce qui aurait pu rendre service au consommateur! L’analyse relevant des normes de l’administration, il n’était pas possible d’en révéler davantage, explique le chimiste cantonal genevois Patrick Edder. Il était à Changins, lundi 19 juin, pour parler du contexte de l’étude. Les chimistes cantonaux travaillent en étroite collaboration avec Changins pour étudier des «stratégies de traitements» plus efficaces sous le double angle de la «protection des cultures et de la réduction des résidus».
Dans 24 Heures du lendemain, le ministre vaudois Philippe Leuba s’est félicité du fait que «tous les vins vaudois (analysés) sont conformes à la loi». Comme 97,6% des vins analysés, rappelons-le! Patrick Edder m’avait précisé la veille que les chimistes ne pouvaient tirer aucune comparaison canton par canton, le choix des vins n’étant pas représentatif de la production de chaque canton…
Jeux de mots qui sentent le soufre
Cette conférence a fait suite à celle du professeur de Changins Ramon Mira de Ordunez Heidinger, une grosse pointure européenne, sur «L’actualité des sulfites dans le vin, souci ou sotie» (sic !). Le mot a été utilisé jusqu’au 18ème siècle, comme synonyme de «sottise» et repris par André Gide pour qualifier son roman «Les Caves du Vatican». Changins non seulement pratique le latin, mais a des lettres ! On reviendra sur cette conférence qui prône la dé-diabolisation du SO2 dans les vins.
Surtout, aujourd’hui, ce sont les «vins nature» qui jouent sur les mots : ils n’ont aucune définition légale. La semaine passée, l’œnologue conseil du Languedoc Jean Natoli expliquait : «On a au une vinification au moins sans ajout de sulfites (réd: la transformation par fermentation du sucre en alcool en dégage naturellement), mais elle peut aussi être sans levurage et/ou sans filtration, bref, sans intrant». Reste que, selon l’œnologue français, «les vins nature sont souvent des vins jugés antipathiques, faits par des gens sympathiques».
Des «vins vivants» pas toujours fringants!
J’ai pu le constater encore ce samedi 17 juin 2017, en vieille ville de Lausanne, où, pour la 3ème fois, avait lieu le petit salon «vins vivants», organisé par de jeunes passionnés, le Club des Visionnaires.
J’ai dégusté une vingtaine de vins. Si l’on excepte les «vins oranges», qui sont des vins blancs macérés comme des rouges (pour simplifier), selon le système ancestral pratiqué encore aujourd’hui en Géorgie, et occupent une catégorie à part, où le producteur du Frioul italien Radikon dispose d’une longueur d’avance (comme son voisin Grevner), avec un vin IGT Vénétie-Giulia, 2011, de couleur et d’arômes cognac, tannique, épicé, avec des notes végétales et des arômes de pomme mûre, les autres vins sont plus délicats, pour le moins. Ce «vin orange» doit autant à son cépage, la ribolla, et à son terroir, que les exotiques Jadis et Disobedience du Domaine Mythopia sont redevables au chasselas-fendant et à la rèze et au terroir du Valais. Ces «Heroic Alpine Wine» sont effectivement hors norme, quoique moins absolus que ceux du Frioul… Du moins ces vins blancs, solides et bien dotés en acidité, ont-ils la capacité de s’améliorer dans le temps.
En rouge, la démonstration est plus difficile. Là encore, Mythopia, avec un pinot noir Imago 2009, qui paraît tout de même un peu vieilli prématurément, fait mieux qu’avec son Illusion 2013… A l’autre extrême, des vins fruités, sans prétention, comme la Mandouse 2015 de Jean-Christophe Pellerin, une mondeuse du Buggy, au nez d’herbes aromatiques, de thym, mais aussi de céleri, un vin frais, fruité, avec une pointe d’amertume, ou Contadino, le vin de l’Etna de Frank Cornellisen (nerello mascalese à 85% et divers cépages) obturé avec un nouveau bouchon plastique (!) rétractable, qui lui a conservé son carbonique, sur des fragrances florales de lys et de pivoine, qu’on retrouve, un peu masquée, dans un agréable nero d’avola (avec de la syrah et du nerello mascalese) Note di Rosso 2016 d’Alessandro Viola, fruité, bien soutenu par l’acidité et sans la lourdeur du nero d’avola de Sicile, de même un Plouf 2015, de Lestignac, dans le Bergeracois, également avec du carbonique, un peu sauvage, très jus de fruit, sur les fruits rouges, sans le peps techno de la grappe entière de Toby Bainbridge, un grolleau à 11% d’alcool, Rouge aux lèvres 2016, très jus de framboise ou de groseille, brut de décoffrage, avec une pointe finale d’amertume, dans la mouvance des vins espagnols «joven», construits dans un style volontairement à l’opposé des vins de garde…
On empruntera la conclusion à l’œnologue Jean Natoli à Vino Latino, cité par Vitisphère : «Personne n’empêche un acheteur ou un consommateur de trouver un vin à son goût. Si le producteur le vend, c’est qu’il correspond à un besoin. Même s’il ne correspond pas aux canons de la beauté habituels, il est souvent porté par une personnalité et une philosophie.» Pas besoin d’être Einstein pour dire que tout, en la matière, paraît relatif !
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