Vaud — Reynald Parmelin, champion suisse du bio
Reynald Parmelin, La Capitaine, Gland (VD)
Du bleu, du bio… du bon
Par Pierre Thomas
Ca n’est pas en restant l’œil vissé sur la ligne bleue du Jura que l’on s’ouvre l’esprit. L’orientation bio de son (futur) domaine, Reynald Parmelin, 44 ans, l’a décelée dans des pays viticoles réputés «industriels», chez Penfolds, en Australie, et chez Cuvaison, le domaine du Suisse Stephan Schmidheiny, en Californie.
Le bio : pour les raisins d’abord
Il y a vingt ans, les uns et les autres exploraient déjà avec succès la voie de la production de «raisins issus de l’agriculture biologique», selon la terminologie en vigueur en Europe. En Suisse, le label «le bourgeon» tolère l’expression de «vin bio», même si les stricts principes de culture s’arrêtent à la porte de la cave. Une manière de voir que le Vaudois nuance, tandis que l’Union européenne a renoncé, au début de cet été, a une disposition sur la vinification «en bio», faute d’entente entre les états-membres : «Les produits chimiques et de synthèse nous sont interdits. Ces produits sont plus présents dans la vigne qu’en cave. En cave, nous sommes limités dans l’ajout de sucre au moût (chaptalisation) et dans l’usage du dioxyde de soufre (SO2, ou sulfites, en anglais). Même si les producteurs conventionnels utilisent moins des deux», reconnaît Reynald Parmelin. Qui n’est pas partisan des vins dits «naturels», soit sans SO2 : «La plupart des consommateurs ne stockent pas correctement leurs vins. L’encaveur prend alors trop de risque en supprimant cet agent protecteur, au risque d’une refermentation en bouteille…»
Vin bio ou vin… tout court?
A la notable exception du travail à la vigne, où il faut être méticuleux dans les traitements à base d’extraits de plante (prêle, ortie), d’argile, de soufre ou de cuivre (un métal lourd controversé, mais indispensable pour lutter contre le mildiou), le vin «bio» n’est donc plus très éloigné du vin tout court. Et en bouche ? L’écart tend à disparaître aussi, du moins quand on déguste à l’aveugle, sans a priori. Ainsi, le johanniter 2008 de Reynald Parmelin a été le mieux noté des vins bios du Grand Prix des vins suisses 2009 et sa Réserve gastronomique 2007 s’était classée parmi les six assemblages blancs finalistes. Et ce printemps, le vigneron-encaveur de Gland a réussi à décrocher trois fois l’or (sur 58 médailles) à la Sélection des vins vaudois. Bel exploit pour des rouges de 2007 (merlot-cabernet sauvignon) et de 2008 (voir notre sélection ci-dessous).
Des a priori à vaincre
Les a priori, Reynald Parmelin sait y faire face. A propos du vin bio mais aussi, de la bouteille qu’il a choisie, un flacon bleu «royal», fabriqué en Italie, qui ne passe pas inaperçu : «C’est à double tranchant : si les gens n’apprécient pas le vin, ils se souviennent de la couleur de la bouteille. Mais ça joue dans l’autre sens aussi…» Des bouteilles qui se retrouvent au rayon de la Coop, un gros client (20% du chiffre d’affaires) et à l’exportation (10%, un chiffre plus de cinq fois supérieur à la moyenne suisse !), deux marchés où le label bio est un avantage déterminant.
A l’exception du Johanniter (lire ci-dessous), le Vaudois qui utilise l’AOC La Côte sur ses étiquettes, fait confiance aux cépages traditionnels, en blanc comme en rouge. Il a bien une collection de variétés dites interspécifiques (regent, seyval, bianca…), certes résistantes aux maladies de la vigne, mais «sans intérêt gustatif», commente le vigneron. Sauf à croquer du raisin bien mûr : cette année, 15’000 mètres carrés, plantés en muscat de la Birse et autres clones du génial obtenteur jurassien Valentin Blattner, donneront du «raisin de table» et du jus bio, pour petits et grands, de fin août à fin octobre.
Quoi ?
Un domaine de 16 hectares (AOC La Côte), réparti en plusieurs grandes parcelles (plusieurs de 2 ha), sur les communes de Gland, Begnins, Luins, Vinzel, Bursins et Gilly.
Comment ?
Plus de 100’000 flacons par an, auprès des privés, de la restauration, de magasins bio, et une gamme exclusive, chez Coop «fine food».
Combien ?
12 vins, de 11,70 fr. (chasselas) à 27,50 fr. (80% merlot-20% cabernet sauvignon, élevé en barriques de chêne, dont un tiers de neuves) et un mousseux rosé (22,50 fr.) en méthode dite traditionnelle.
Où ?
Domaine de La Capitaine, en Marcins, entre Luins et Begnins (adresse postale). Grande salle pour apéritifs, mariage, repas et, une fois par mois, dès septembre, soirée gastronomique mets et vins, infos sur www.lacapitaine.ch.
Les 3 coups de cœur de l’expert
Nez ouvert, complexe, note animale, ; attaque sur les fruits rouges, arômes typés du pinot ; frais, mais riche et ample (14% d’alcool naturel sans chaptalisation en 2009 !) ; en bouche, on retrouve les fruits, avec du gras et une pointe de rusticité finale, qui devrait se fondre dans ce riche pinot de vignes de 46 ans, en cuve. Le 2008 a obtenu une médaille d’or à la Sélection vaudoise. (9’000 bouteilles)
Johanniter 2009, 21 fr.
Ce cépage blanc, obtenu à Fribourg-en-Brisgau en 1968, du croisement du riesling, du chasselas, du pinot gris et du Seyve-Villard, a valu à Reynald Parmelin le titre de «champion suisse bio» avec le 2008. Le 2009, à l’image du millésime, est plus tendre. Mais cette souplesse (4 g. de sucre résiduel) sied à un vin charmeur, parfumé (pétale de rose, litchi, mangue), riche, rond et souple en bouche. Idéal sur des sushis comme sur un curry vert thaï. (6’000 bouteilles)
Gamaret-Merlot 2008, 22,50 fr.
Belle robe violacée ; nez de mûre, de cassis, de sureau, de canneberge ; juteux et agréable en bouche ; finale où on retrouve les baies des bois et tanins sans aspérité. «Un vin passe-partout dans le bon sens du terme», commente le vigneron-encaveur, qui en produit 35’000 bouteilles. Dès 1994, le domaine cultive du gamaret (90% de cet assemblage), dont le fruit est mis, ici, en valeur par un peu de merlot (10%). Médaille d’or à la Sélection vaudoise.
Paru dans le quotidien 24 Heures le dernier vendredi du mois de juillet 2010 (le 27), dans la rubrique mensuelle de Pierre Thomas.