«Cépages suisses» de José Vouillamoz — Après la «bible», le bréviaire helvétique
En 2012 paraissait, en anglais, Wine Grapes, cosigné par Jancis Robinson et Julia Harding, toutes deux «master of wine», et par José Vouillamoz. Un ouvrage de référence, basé sur l’ADN et son usage pour l’identification des variétés de raisin et leur paternité. Aujourd’hui, le généticien de la vigne valaisan publie Cépages suisses, en 160 pages, chez Favre. On passe de la bible au bréviaire, y compris pour quelques «reliques» du vignoble.
Le titre est à prendre «strictu sensu». Il ne fait donc pas l’étalage des cépages plantés en Suisse, mais de ceux qui ont été identifiés comme d’origine helvétique, avec quelques repêchages par accord de voisinage. L’essentiel, présenté sous forme de fiches pragmatiques, est basé sur les propres recherches de José Vouillamoz. Sous-titré «histoires et origines», au pluriel, l’ouvrage raconte de manière synthétique d’où vient la vigne en Suisse et comment sont nées les variétés qu’on peut lui attribuer.
Trop de cépages en Suisse ?
En Suisse, on cultive 252 cépages. 168 sont admis dans les appellations d’origine contrôlée (AOC), qui en tolèrent de 12 à 85 selon les cantons, rappelle l’auteur : «C’est une diversité énorme et peut-être même un record du monde. On peut toutefois se demander s’il faut s’en enorgueillir ou s’en alarmer. En effet, la diversité ne fait pas l’identité, ce qui explique l’expression provocatrice disant que le «vin suisse n’existe pas !» A part la pirouette, l’auteur ne répond pas à la question qu’il pose…
On rappellera que l’accès à la sélection annuelle des vins du Valais est limité à des cépages réputés valaisans, et pas internationaux, et que les assemblages en sont bannis, à l’exception du plus identitaire du Vieux-Pays, la dôle. Reste aussi à savoir quel intérêt, pour l’amateur de vin, de connaître les cépages, sachant que, par un test ADN, «il n’est pas encore possible d’identifier le ou les cépages qui composent un vin fini (c’est par contre possible pour le moût)». Et que la législation n’exige pas d’indiquer le coupage sur un vin mono-cépage (entre 10% et 15%, selon les cépages et les AOC) ni la proportion pour les assemblages (mais quand ils sont cités, les cépages doivent être énoncés dans l’ordre décroissant de leur importance, par exemple sur la contre-étiquette).
Du patrimoine à la recherche
Le livre, de dimension finalement assez réduite pour la matière qu’il passe en revue, distingue ces variétés helvétiques entre «cépages indigènes», présents dans le vignoble depuis qu’ils y sont nés, et les «allogènes», plantés après l’épidémie du phylloxéra. Un tiers des cépages sont considérés comme indigènes, soit 80, dont 43 hybrides, puis 16 croisements et 21 cépages que José Vouillamoz appelle «patrimoniaux», d’origine spontanée. Le livre s’ouvre sur ceux-ci, soit l’amigne, l’arvine, la bondola, la bondoletta, le chasselas, le completer, etc. Pour chacun de ces cépages, un diagramme, sorte d’arbre généalogique, quand ils ne sont pas orphelins (comme le chasselas), une indication de la surface cultivée (en 2015) et des considérations historiques. Ainsi, sous «cornalin», l’auteur explicite: «Vieux cépage rouge de la Vallée d’Aoste (Italie), nettement plus répandu en Valais sous le nom erroné d’humagne rouge». C’est donc bien d’humagne rouge qu’il parle sous le chapitre cornalin ! Car le vin vendu sous le nom de cornalin en Valais est en fait le «rouge du pays», un descendant du mayolet et du petit rouge valdôtain, et aussi un des deux parents de l’humagne rouge du Valais. Vous suivez ? Le raisonnement, clair sur le schéma, demande un peu de gymnastique intellectuelle…
Le divico et ses futurs pairs
Dans le deuxième chapitre, ce bréviaire helvétique recense les croisements, notamment obtenus par Changins, dont 13 sont homologués, du gamaret (1990) aux très récents (2016) cabernello, merello, gamarello, cornarello et nerolo, dont on commence à goûter, ici ou là, les vins. Plus anecdotique, ces cépages développés par leur géniteur — un obtenteur en jargon scientifique — qui est, le plus souvent, le seul à les cultiver.
Et le divico, si prometteur pour la viticulture helvétique ? Il figure dans le troisième chapitre, celui des hybrides, au côté de la kyrielle obtenue par le Jurassien Valentin Blattner, à Soyhières, notamment à partir de cabernet. Le divico, croisement de gamaret x bronner, représente le premier cépage ne nécessitant que peu (ou pas !) de traitement par produit phytosanitaire. Agroscope Changins collabore depuis 2009 avec l’INRA à Colmar (Alsace) et les premiers cépages homologués par les deux instances, suisse et française, sont attendus vers 2025, pronostique l’auteur.
Pour qui s’intéresse peu ou prou à la vigne en Suisse, cet ouvrage est indispensable. On peut regretter que n’y figure pas une fiche «pro memoria» pour les dix cépages les plus cultivés en Suisse (en tête : le pinot noir !) hormis le chasselas. Pour les cépages cités, l’auteur se risque à donner des noms de caves qui les vinifient. Quelques unes sont spécialisées dans les cépages rarissimes, comme Olivier Pittet à Fully (VS), Chanton Kellerei à Viège (VS), Diroso Kellerei (VS) à Tourtemagne et Stefano Haldemann (La Segrisola) à Minusio (TI). De bonnes adresses pour les amateurs de curiosités liquides et pas seulement livresques! Et pour passer de la théorie à la pratique.
José Vouillamoz, «Cépages suisses, histoires et origines», 160 pages, illustré, Favre, 26 fr.
VO de l’article paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo, du 6 décembre 2017.