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Posted on 9 mars 2018 in Tendance

Vieilles arvines et marsannes: l’amer à boire, nouvelle saveur

Vieilles arvines et marsannes: l’amer à boire, nouvelle saveur

Quand les vins blancs perdent leur acidité juvénile avec le temps, que reste-t-il ? De «beaux amers». Décodage d’un goût tendance, avec pour exemple deux cépages valaisans: la petite arvine qui divise quand elle vieillit et l’ermitage (marsanne) reconnue pour ses vins à grand potentiel.

Par Pierre Thomas

La garde des vins est un thème prisé des experts. Cet hiver, la publiciste zurichoise Chandra Kurt avait amené en Valais le critique hambourgeois Stephan Reinhardt, qui publie ses notes de dégustation sur le site «the wineadvocate», fondé par l’Américain Bob Parker, aujourd’hui retraité, et la sommelière-conseil munichoise Paula Bosch. Au Castel d’Uvrier, table d’hôte de la coopérative Provins, ces deux prescripteurs ont dégusté une série de dix arvines Vieux Pays de la coopérative, échelonnées entre 1994 et 1958, dix arvines Maître de Chais de 2016 à 2007, et, à l’aveugle cette fois, dix arvines 2015 et 2016 au fil du Rhône.

Des petites arvines à garder ?

Face à ce duo de palais d’outre-Rhin, quelques dégustateurs romands, dont je faisais partie. Verdict des Germains : la petite arvine est un vin qui mérite de mûrir en cave. «Elle est meilleure après deux ou trois ans et encore mieux après», dit, enthousiaste, Paula Bosch. Tandis que Stephan Reinhardt faisait la moue sur les jeunes vins : «Ces arômes fruités primaires ne sont pas ma tasse de thé.»

Les vieilles arvines de la marque (disparue) «Vieux Pays» de Provins, vinifiées avec deux fermentations, l’alcoolique et la malolactique, présentaient des arômes d’évolution typés de tous les vins âgés : des notes de miel, d’agrumes confits, de thé noir, parfois de pétrole ou de noisettes. Pour la petite arvine Maître de Chais (30’000 à 40’000 bouteilles par an), l’œnologue Damien Caruzzo, de Provins, explique la construire, année après année, pour qu’elle tienne dans le temps. Elle fait du reste partie de la Mémoire des vins suisses, sentinelle de l’évolution des meilleurs crus nationaux (www.mdvs.ch). Et on a pu clairement distinguer trois phases d’évolution dans cette verticale de dix millésimes : des arômes discrets, voire peu expressifs, sur les trois premières années, plus ouverts sur les trois suivantes, et déjà tertiaires (citron confit, miel, etc.) sur les quatre plus âgées.

L’amer réconcilie Rhin et Rhône

Dans la panoplie des vins suisses, la petite arvine exprime davantage son originalité quand elle est fraîche et jeune que quand elle affiche plusieurs années, où des cépages valaisans comme le sylvaner (johannisberg en Valais) ou la marsanne ont plus d’allonge. C’est aussi l’avis du meilleur connaisseur des vins valaisans des quarante dernières années, Dominique Fornage, et de José Vouillamoz, qui vient de publier «Cépages suisses» chez Favre. Pourtant, l’acidité du sylvaner et de la marsanne sont moindres.

Comment, alors, expliquer les caractéristiques du vieillissement de ces vins? La clé de l’énigme, qui divise les adeptes du riesling rhénan et ceux du viognier rhodanien, je suis allé la chercher, le lendemain, en aval, à Fully. Lors d’Arvine en capitales, «sommet» du cépage valaisan, qui a lieu tous les deux ans, en novembre, le Français Olivier Poussier animait une «masterclasse» sur la marsanne. Neuf vins à l’appui, il a dressé un portrait de ce cépage rhodanien, présent aussi bien à Tain-l’Ermitage qu’en Valais, où il est connu sous le nom d’ermitage. Pour cet expert, l’élément qui tient le vin, c’est l’amertume. On la retrouve aussi dans la petite arvine, dépouillée de ses côtés pamplemousse et rhubarbe juvéniles, voire de sa salinité, après quelques années.

Des blancs qui durent

Aujourd’hui, les sommeliers mettent en exergue ce qu’Olivier Poussier (photo ci-dessous), meilleur d’entre eux en 2000, nomme «les beaux amers», «les amers positifs». Au bout de la langue des dégustateurs, cette noble amertume a remplacé la vivacité, jugée triviale. Sans doute parce que la cuisine européenne, inspirée par l’asiatique, a intégré désormais des saveurs plus tendres, plus douces, et même sucrées. Et que l’accord des mets et des vins n’est jamais aussi réussi que lorsqu’on recherche des contrastes gustatifs les plus tranchés.

Seul bémol : qui conserve, aujourd’hui, des vins blancs pour les boire dans cinq ou dix ans? Selon l’enquête MIS – Trend 2017 pour Swiss Wine Promotion, 74% des amateurs de vins suisses déclarent boire en majorité les vins blancs rapidement (et même 51% disent tous les boire ainsi). Seuls 10% en gardent en cave. La proportion est quasi inverse pour les vins rouges : un tiers des sondés dit les boire rapidement et 38% affirment les conserver en cave. Et pourtant, les vins blancs offrent aussi de belles surprises à qui sait attendre!

Quatre archétypes à l’épreuve du temps

Arvine Maître de Chais 2012, Provins, Sion

«Une caricature !» C’est l’œnologue Damien Caruzzo qui le dit, en citant les paramètres techniques : année sèche et 50% de raisins «caillés» (presque secs), 6 g. de sucre (à la limite du demi-doux), 15,5% d’alcool (à la limite du processus de fermentation). Et pourtant, un nez étonnant de fruits exotiques, de mangue, de bergamote ; un vin gras, puissant, riche et long.

Arvine Domaine de la Glapière 2015, René Favre & Fils, Chamoson

Ma préférée ce jour-là en dégustation à l’aveugle : nez d’abricot, de pêche, avec des notes exotiques, puis des arômes d’écorce de citron vert ; remarquable soutien acide, long en bouche, équilibré, avec une pointe de salinité finale.

Marsanne Les Claives 2012 La Rodeline, Yvon Roduit, Fully

Nez complexe, boisé fondu ; bouche sur les fruits blancs mûrs, la poire williams ; du gras, de la puissance, de la longueur ; un vin d’un bel équilibre acide-amer et qui ira encore loin dans le temps.

Marsanne Planche-Billon 2014-15, Henri Valloton, Fully

Nez d’ananas, d’abricot, de mangue et de résine ; riche, rond, plein et gras ; exubérant et baroque, avec une finale sur les fruits exotiques. Assemblage de deux lots de deux millésimes, sans malolactique, élevé en fûts de chêne. Une belle réussite !

Paru dans le magazine encore! avec Le Matin-Dimanche du 5 mars 2018.