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Posted on 16 septembre 2008 in Tendance

Vieilles vignes = bons vins?

Vieilles vignes = bons vins?

Vieilles vignes = bons vins ?
Le jeunisme ne passera pas
La vigne affectionne les conditions limites. Voilà qui devrait privilégier les «vieilles vignes». Encore faut-il s’entendre sur ce terme, qu’aucune norme légale ne définit. Arguments d’un débat où le «jeunisme» paraît largué. Un dossier complet, paru dans Le Guillon, avec de nombreux renvois sur le Net en fin de fichier!
Par Pierre Thomas
Pour appréhender le phénomène, autant retourner la question: pourquoi le vignoble vaudois est-il si jeune? On s’aperçoit alors que, si les statistiques sur l’encépagement, les surfaces ou les quantités de kilos récoltées, sont à jour, il n’existe aucune étude sur l’âge des vignes. Ni en moyenne, ni en détail. Chez UVAVINS, toutefois, les sociétaires reçoivent chaque année un «tableau de bord» viticole, où l’âge des vignes est mentionné. Directeur technique de la coopérative de La Côte, Gilles Cornut remet les «vieilles vignes» dans le contexte: «L’humidité du climat lémanique encourage les maladies du bois, comme l’esca et l’eutypiose. Il s’écoule moins de dix ans entre la détection de la maladie et la mort du cep, qu’il faut brûler pour éviter que les spores des bois malades contaminent d’autres ceps. La monoculture a favorisé la dégénérescence — les nématodes vecteurs du court noué — surtout dans des terres argileuses».
Les jeunes vignes produisent plus
Mais il y a des raisons économiques aussi: des calculs ont démontré que le «capital plante» s’amortit sur quinze ans de production, compris entre une période initiale, et improductive, de croissance du cep de trois ans et un âge maximum d’un quart de siècle. Cette «définition pragmatico-financière», comme l’appelle Gilles Cornut, a encore cours dans le vignoble vaudois. Ajoutez-y le «grand gel» de 1956, pour ne pas remonter au phylloxéra du début du XXème siècle, puis la réorientation des «charmuz» de Lavaux en banquette ou le réaménagement de La Côte pour la mécanisation, et la cause des «vieilles vignes» de plus d’un demi-siècle paraît entendue.
Quelques vignes historiques
Et pourtant, des vignes historiques subsistent ça et là. Par exemple chez Henri Chollet,  à Aran-Villette. Taillés «en H», soit en gobelet à quatre cornes, des ceps de sylvaner plantés dans les années 1920, font le bonheur des élèves de l’Ecole d’agriculture de Marcelin, qui viennent, chaque année, en tailler chacun une souche. Le vigneron en tire «la bouteille de derrière les fagots», un vin sec et riche (13°5 d’alcool naturel), issu d’une vendange limitée sans intervention humaine à 500 grammes au mètre carré. Et chez Henri Chollet, la plupart des vignes sont plus âgées que son fils, Vincent, 27 ans, qui l’appuie en cave: pinot noir de 35 ans et même chasselas de plus de 40 ans.
La quête de la mondeuse lémanique
Autre vigne d’anthologie, celle du truculent Marcel Mayencourt, 80 ans tout rond. Ses treilles de mondeuse noire ont bientôt un demi-siècle. Cet ancien président de l’Association viticole d’Yvorne — bon sang ne saurait mentir, son fils Marco en a pris les rênes depuis deux ans — se souvient que la mondeuse couvrait le Dézaley, selon feu Jacques Dubois, avant d’être proscrite par la loi. Le vigneron d’Yvorne ne désespère pas de croiser ses vieux ceps avec des souches savoyardes plus jeunes pour obtenir un clone de «petite mondeuse», qui conjurerait sa productivité (trop) généreuse. «Je veux garder la typicité de ce vin, comme je l’ai appris avec mon père», assène l’octogénaire dans sa cave miniature: sa mondeuse 2007, récoltée à 82° Oechslé, rappelle la syrah, dont elle est un demi-frère. Comme la syrah a un autre demi-frère, le viognier, selon la récente démonstration de l’expert «ès ADN», le biologiste valaisan José Vouillamoz.
Des cépages rescapés
La présence de vieilles vignes, même réduites à quelques ceps, a permis la survivance du clone local de gamay, connu du côté de Lutry sous le nom de Plant-Robert, et le Servagnin de Saint-Prex. L’un et l’autre ont été arrachés aux trax, le premier de l’autoroute du Léman, le second d’une gravière. On ne saurait donc contester aux «vieilles vignes» une vertu conservatoire. Ce qu’exprime avec une nuance supplémentaire Raymond Paccot : «Les vins issus de vieilles vignes vont plus loin dans la garde». En 2007, le vigneron de Féchy avoue qu’il a tiré le meilleur en absolu de son pinot gris «Réserve», dont un demi-hectare à Mont-sur-Rolle est âgé de plus d’un demi-siècle.
La vinification brouille les pistes
Pourtant, cette qualité n’a pas sauté aux papilles du panel de dégustateurs de l’étude menée par Changins (lire l’encadré). Certes, en rouge, «les vins issus des vieilles vignes ont été un peu mieux appréciés que ceux des jeunes vignes, notamment pour la qualité des tanins, jugés plus charpentés et fermes, et leur grande structure.» En revanche, peu de différences dues à l’âge des vignes pour les blancs, chasselas comme petite arvine. L’étude a fait sensation, mais le chercheur Vivian Zufferey tient à la tempérer. D’abord, elle a été menée à Leytron (VS), dans un sol profond et caillouteux. Ensuite, les comparaisons ont porté sur de vieilles vignes de 30 à 35 ans, au fond pas si vieilles que ça…. Enfin, on élève parfois différemment les vins issus de vieilles vignes.
C’est le cas à l’Association viticole d’Yvorne. Les cuvées haut de gamme «Vigne d’or» (2% du volume des ventes) conjuguent divers paramètres, communément attribués à la qualité, tels des ceps de plus de vingt ans — considéré ici comme «vieilles vignes» —, la taille en gobelet — pour les blancs —, une haute densité par hectare et un rendement autour de 900 g. au m2. Le but, explique le gérant de l’AVY, Patrick Ansermoz, est, pour les chasselas proposés par la coopérative chablaisienne, de «montrer qu’en intervenant à la vigne ou en modifiant la vinification, on obtient cinq produits différents.»
Chez UVAVINS, moins d’un hectare de gamay de 1959 et de 1966 sont recensés en AOC Morges, près d’un hectare et demi de chasselas de 1964 du côté de Begnins et un demi-hectare planté en 1971, à Nyon. Si Gilles Cornut souligne que le pinot noir bénéficie des vignes les plus âgées, les trois cuvées estampillées «vieilles vignes» se limitent à deux chasselas, le Morges — 22'000 bouteilles, «un des leaders de notre assortiment», dont l’étiquette rétro de 1959 est à l’unisson du contenu —, le Nyon et un gamay, en bouteille vaudoise antique. En 2006, ce rouge se révélait étonnamment fruité et juvénile, avec sa finale sur les épices douces…
La minéralité par les racines
De même le pinot noir Raissenaz 2006 du Domaine Cruchon à Echichens paraît floral au nez, avec une attaque marquée par la griotte, une belle trame, soutenue par une acidité nerveuse, et une finale sur des notes d’amande amère. Un phénomène de la nature, que ce cru! (lire ci-dessous)
Le viticulteur Michel Cruchon tient un discours nourri de la pratique: «L’apologie des vieilles vignes n’est pas due au hasard. Il y a un intérêt viticole à garder les ceps le plus longtemps possible. Les jeunes vignes donnent des vins floraux, aromatiques. Mais la minéralité vient de l’enracinement et pour obtenir un vin complet, de vieilles vignes sont nécessaires. Des racines plus profondes entraînent aussi une baisse de vigueur de la plante, une meilleure maîtrise de la récolte, et des raisins plus petits, plus concentrés. C’est certain, les vieux ceps sont plus résistants aux maladies. Nous avons constaté moins de mildiou et moins de pourriture grise. Et quand nous avons passé en biodynamie (réd. : sur 20 ha des 36 ha encavés), nous avons d’abord essayé ce mode cultural sur des sols intéressants plantés de vieux ceps. La biodynamie a permis d’aider les vignes à vieillir dans leur environnement naturel et a amené plus de minéralité dans les vins. Et ce sont les vieilles vignes qui nous ont permis de mesurer le changement.»
Depuis 1970 déjà, les Cruchon n’ont plus recours au «minage» (vigne défoncée en vue de la replanter) et certaines parcelles, comme le coteau du Motty à Ecublens, ont été surgreffées : «Le but était de garder le système radiculaire des ceps. Après 15 à 20 ans, le surgreffage donne d’excellents résultats. En trois ou quatre ans, la vigne retrouve son cycle normal». Et le «nouveau» raisin, altesse, viognier ou doral en lieu et place du chardonnay ou du pinot noir, «récupère» les caractéristiques du bois âgé.
Un argument de vente non défini
Pourtant, à l’exception d’un chasselas, le Morget, aucun vin signé Cruchon n’affiche sur l’étiquette son état de «vieilles vignes». «On le précise sur la contre-étiquette et on l’explique au client. Il n’y a pas le même débat que sur la barrique, avec des passionnés qui refusent le bois, par crainte d’un goût excessif de chêne. Dire d’un vin qu’il est issu de «vieilles vignes» n’est jamais négatif.» Voilà pourquoi les cuvées «vieilles vignes» se multiplient. Même si la notion doit être relativisée par l’absence de définition claire, utile au consommateur curieux.

Eclairages
Une étude valable… dans sa jeunesse
Des écarts creusés par le temps
Deux chercheurs de Changins, Vivian Zufferey et Daniel Maigre, ont conduit, à Leytron (VS), de 2002 à 2006, une étude sur le comportement physiologique de vieilles et de jeunes vignes. Cet essai a démontré que l’enracinement plus superficiel des jeunes vignes était susceptible de leur faire subir des contraintes hydriques, comme en 2005 et 2006. L’expression végétative (grosseur des bois, mais aussi surface foliaire) a été plus importante dans les vieilles vignes que dans les jeunes. Sur des ceps régulièrement dégrappés, le niveau de rendement est resté identique, quel que soit l’âge ou le cépage. Le poids des baies et des grappes était plus important dans les vieilles vignes.
La surprise — ou l’absence de surprise ! — s’est révélée en dégustation : en rouge, il y a certes eu quelques différences, les vins de vieilles vignes étant un peu mieux appréciés que ceux de jeunes vignes, mais en blanc, pour le chasselas et l’arvine du moins, aucune différence notoire, sauf pour le pinot blanc, où celui de vieilles vignes a été préféré à celui de jeunes vignes.
Dans une publication plus récente (2008), les scientifiques soulignent qu’«après quelques années en bouteilles, les vins issus des vieilles vignes ont été un peu mieux appréciés que ceux issus des jeunes vignes», en rouge comme en blanc. Les «vieilles vignes» ont eu chaud… au figuré s’entend! (lire aussi le coup de gueule sur le fond)

Vieilles vignes et biodynamie
Vigne dégénérée pour vin médaillé

«On en a fait le coq de notre domaine. Raissenaz est la première vigne que j’ai plantée en 1974, mais après cinq ans, le court noué s’y manifestait déjà et la parcelle ressemblait à une mosaïque de couleurs, l’automne», raconte Michel Cruchon (lire le portrait pour la 30ème vendange). Les ceps sont sujets au millerandage et offrent moins de récolte. «Dès le début, on a décidé de mettre ce raisin à part. En le vinifiant, on a remarqué que c’était plus une question de quantité que de qualité et que le potentiel de ce pinot noir était intéressant.» Résultat, le produit de cette vigne dégénérée remporte deux VINEAS d’or (pour le 2001, puis le 2003), au Mondial du Pinot Noir de Sierre. Il faut néanmoins replanter quelques ceps chaque année sur les 0,76 ha d’une parcelle divisée en deux, constituée d’un mélange de quatre clones de pinot noir.
Champanel, autre pinot noir de la maison (VINEA d’or pour le 2003 également), est planté (en 1983 et 85) de clones peu cotés, dont les Wädenswil et Mariafeld, pourtant, grâce à la biodynamie, il revient au premier plan, avec, en 2006, un élevage en fûts de neuf mois, parfaitement maîtrisé par Raoul Cruchon, l’œnologue de la famille. Aux Pétoleyres, le chasselas remonte à 1976, ailleurs, il atteint le quart de siècle, le chardonnay «Noblesse» va sur ses 35 ans, comme une partie du gamay : chez les Cruchon, les «vieilles vignes» gagnent chaque année du terrain.
Dossier paru dans Le Guillon, Lausanne, numéro 33, automne-hiver 2008

Le plus du Net
Un fameux exemple valaisan

A Saint-Pierre-de-Clages, les frères Axel et Jean-François Maye, qui fêtent cette année les soixante ans de la cave fondée par leur père Simon (lire le portrait paru dans VINUM), sont célèbres pour leurs cuvées «vieilles vignes». L’étiquette blanche dédouble l’étiquette noire en chardonnay, pinot noir et syrah. «On élevait en barriques le vin issu des vieilles vignes. On a gardé les deux mots pour caractériser les vins élevés en fûts», explique Axel Maye. Si ces Valaisans ont des ceps de chardonnay, de pinot noir et de gamay de plus de 50 ans, la notion de «vieilles vignes» reste relative : classée l’été passé par le Grand Jury Européen «meilleure syrah du monde», leur syrah 2001 est issue de ceps plantées en 1982. «La même année que La Turque de Marcel Guigal», sourit Axel Maye.
Aux yeux du vinificateur, «pour faire un grand vin, on n’a pas besoin de vieilles vignes. Car si elles amènent de l’intensité au vin, les vieilles vignes n’ont pas le fruité des jeunes vignes.» Le dosage du meilleur jus est une question de «feeling», comme pour la petite arvine, dont les Maye n’élaborent une cuvée surmaturée que les grandes années : la 2007, encore en barrique, succède à la 2000. Vous avez dit «Grain Noble Confidenciel»?
©thomasvino.com