A Sierre, une expo sur un pionnier viticole majeur
Jusqu’au 30 novembre 2019 se tient au Musée du Vin de Sierre une exposition sur les «1001 vies du Docteur Wuilloud», le grand homme de la viticulture valaisanne du 20èmesiècle, celui qui a permis au Vieux-Pays de se moderniser et de devenir le premier canton viticole de Suisse, avec un tiers des 15’000 hectares du vignoble helvétique.
Par Pierre Thomas
Du Docteur (en sciences agricole de l’école royale de Milan, 1908) Henry Wuilloud, l’écrivaine Corinna Bille a dit : «Le Dr Wuilloud, qui est-ce ? On peut l’aimer ou ne pas l’aimer, mais c’est un personnage». Né et mort à Sion (1884-1963), ce spécialiste de la vigne et du vin a eu, effectivement, une vie professionnelle mouvementée, commencée comme in secteur des alpages (il garda un oeil sur l’industrie laitière aussi…).
Tantôt grand serviteur de l’Etat — qui le met à la porte comme chef de la viticulture, après huit ans, en 1922 avant qu’il ne revienne l’année suivante par la fenêtre comme directeur du Domaine expérimental cantonal du Grand-Brûlé qu’il avait fait défricher… —, tantôt des négociants en vins contre la coopérative Provins, soutenue par le conseiller d’Etat Maurice Troillet. Il fut aussi fondateur et premier procureur de l’Ordre de la Channe, en 1957, et même membre de l’Association de la presse valaisanne, comme rédacteur de nombreuses publications…
Et toujours maître sur ses terres, le Domaine de Diolly, surplombant la ville de Sion, qu’il reprit vers 1910. Un laboratoire à lui tout seul, où le Dr Wuilloud, sur 5,5 ha et en 50 ans, fit ses propres essais d’encépagement et vinifia selon ses préceptes. Il avait dessiné les étiquettes simples et efficaces de ses bouteilles, livrées à cheval à sa clientèle, qui affichaient en travers une banderole «ni sucré, ni filtré» : ce sont les premiers vins valaisans que j’ai bus, à l’Hôtel-de-Ville de Gruyères, dont la cave regorgeait au point de les vendre aux enchères il y a une quarantaine d’années…
De riches archives léguées à l’Etat
L’exposition met en lumière ces épisodes sulfureux par des documents tirés des archives du grand homme, une masse d’informations consignées dans des carnets, des notes, des livres, des documents divers, remis aux Archives de l’Etat du Valais en 2013. Pas moins de cinq archivistes-chercheurs ont trié ces documents, pour monter l’exposition du Musée du Vin de Sierre, sous la coordination de l’ethnologue Fabienne Défayes.
On y trouve ainsi des pièces sur la véritable guerre commerciale entre Provins et l’Union des négociants en vins du Valais, dont le Dr Wuilloud fut le secrétaire de 1930 à 1950, tout en étant professeur de viticulture au Poly de Zurich de 1924 à 1954 : de sacrés baux ! Et ce parcours balaie tout le 20èmesiècle. On a oublié la crise de mévente des vins valaisans dans les années 1920, comme le fait que les vignerons-encaveurs n’ont constitué leurs caves indépendantes qu’après la seconde guerre mondiale — la Charte Saint-Théodule vient de fêter ses 50 ans ! —. Et que les cépages les plus authentiques du Valais ont failli disparaître dans les années 1970 et n’ont été relancés qu’avec l’arrivée de l’AOC au début des années 1990.
Non, le chasselas n’est pas égyptien!
L’éminent Valaisan a aussi voyagé dans le monde viticole, notamment en France et en Italie, croyant découvrir les origines du chasselas en Egypte, où il eut la charge de rétablir la viticulture dans une oasis, puis en Lybie. De ses voyages les plus proches, il rapporte et introduit plusieurs cépages, comme le chardonnay, en 1918, et la syrah, en 1921.
Pour un autre docteur (en biologie), l’ampélologue José Vouillamoz, le Dr Wuilloud a implanté en Valais l’aligoté, le chenin, le pinot blanc et le merlot, outre le chardonnay et la syrah. Quoique avec une orthographe simplifiée, le cépage Diolinoir lui est aussi dû. Dans son domaine, parmi de nombreuses variétés, il en en avait une dont il ignorait l’origine, et qu’il appela «Rouge de Diolly». Croisé en 1970 avec du pinot noir, par André Jaquinet à Pully (Agroscope), il donne le Diolinoir. On apprendra plus tard que le «Rouge de Diolly» est en fait du Robin noir.
Avec son épouse Léontine, qui tenait la maison durant ses voyages et absences, ils reçurent de nombreuses personnalités au domaine. Dès 1957, et jusqu’au décès d’Henry Wuilloud à Diolly, en 1963, c’est Jérôme Reynard qui travailla à ses côtés sur le domaine viticole des hauts de Sion.
Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 3 avril 2019.
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