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Posted on 26 novembre 2019 in Vins suisses

Dans quelles conditions est né Provins?

Dans quelles conditions est né Provins?

Dans quel contexte économique est né Provins, qui doit fêter, en 2020, ses 90 ans, après la Cave de La Côte à Tolochenaz ? Voici quelques éléments d’Histoire intéressants et qui montrent que la Suisse n’affronte pas, en 2019, sa première crise viti-vinicole. Le 12.12, l’assemblée des sociétaires a refusé d’assouplir la règle canonique de l’obligation de prendre en charge l’entier de la production.

Par Pierre Thomas

«La misère des vignerons et la volonté (du conseiller d’Etat) Maurice Troillet ont été les facteurs décisifs de la création des Caves.» C’est ce qu’écrivait le biographe du fondateur du Valais moderne, André Guex, en 1980, dans la monographie «Provins Valais, 1930 – 1980, 50 ans de batailles pour la vigne.»

Dès 1914, se basant sur l’exemple de la Hongrie, le magistrat avait exhorté les vignerons valaisans à créer des syndicats et des groupes de producteurs. Il fallut attendre 15 ans… En 1929, «c’était la misère. Les producteurs avaient des caves. Elles étaient trop petites pour encaver la récolte tout entière, ils devaient vendre la vendange. Tout de suite. Et les négociants le savaient qui, eux, pouvaient attendre devant ou derrière leurs vases (leurs tonneaux…). A eux la patience, aux vignerons la contrainte.»

90 ans plus tard, la situation, dit-on, serait assez semblable !

Pourtant, en 1929, la Chambre valaisanne du commerce publiait un rapport où son auteur passait sous silence la crise de la production, «l’obligation de vendre en vendange, et à perte, aux négociants». Toutefois, il conseillait un remède, écrit André Guex : «Le seul moyen de résoudre la crise, le seul remède, il faut le chercher dans les armes du commerce moderne, la propagande, la publicité, la réclame qui règle de plus en plus la vie des hommes d’aujourd’hui, à qui elles prescrivent ce que nous devons boire et manger.»

90 ans plus tard, c’est aussi la voie choisie par Swiss Wine Promotion !

L’Etat au service de la viticulture

Au Grand Conseil, le 16 mai 1929, Maurice Troillet (1880 – 1961) présente un message «concernant les moyens propres à améliorer les conditions de la viticulture valaisanne».

Il définit six causes de la crise :

1) le «déséquilibre des prix des récoltes en regard des frais de culture presque toujours invariables ;

2) l’irrégularité de la qualité des vins, alors que qu’«il est reconnu que les grands vins étrangers sont standardisés et d’une qualité assez constante» ;

3) l’absence de garantie d’origine, «cette lacune est également un facteur de recul de l’écoulement de nos produits sur les marchés de la Suisse allemande» ;

4) les prix de vente au détail, notamment dans les cafés — il faut savoir qu’avant la guerre de 14-18, deux tiers des vins étaient consommés au café et un tiers en famille et que «depuis la guerre, cette proportion est exactement inversée» ;

5) l’insuffisance des moyens de pénétration, «dans certaines contrées de la Suisse allemande et particulièrement dans la campagne, le vin valaisan est quasiment inconnu et pourtant, il se boit beaucoup du vin du Tyrol».

«En 1928, sur 200 millions de litres de vins consommés en Suisse, 55 à 70 millions sont de production indigène», soit d’un gros quart à un petit tiers. 90 ans plus tard, sur 280 millions de litres consommés en Suisse, 90 millions sont indigène, soit 35 à 37% ;

6) la concurrence des vins étrangers «surtout pratiquée sous forme de vente pour le ménage»…

La concurrence étrangère, une constante du marché suisse

De tous ces facteurs, la qualité des vins (valaisans et suisses) est celui qui, 90 ans plus tard, fait le moins problème, tout comme l’absence de «garantie d’origine», même si une majorité des milieux vitivinicoles se refuse à empoigner aves une vue prospective le bénéfice qu’ils pourraient tirer d’une adaptation à la législation AOP-IGP.

A l’époque, la concurrence des vins étrangers était aussi vive qu’aujourd’hui et les écrits d’alors montrent qu’on trichait plus largement en Suisse (sucrage des vins, coupages avec des vins étrangers…). Les pays étrangers considéraient déjà la Suisse comme un excellent marché, comme la Hongrie qui avait ouvert à Zurich une Weinstube «avec dégustation permanente, par verre, des principaux crus hongrois».

Aujourd’hui, c’est Provins qui ouvre (depuis l’été dernier) une ambassade près de la gare de Zurich, tout au bout du complexe d’achats Europaallee (illustration de cet article).

Les arguments pour la création de coopératives en Valais

Le message aux députés indique que les coopératives produisent «des vins sains, authentiques, d’un type constant et facile à conserver. Les vins des coopératives sont plus recherchés dans le commerce, car ils sont d’excellente qualité et plus faciles à conserver.» Ils s’adaptent de manière «permanente aux besoins du marché.» Et de citer l’exemple : «Les caves coopératives italiennes ont lancé, sur demande, des produits nouveaux pour le commerce et l’industrie tels que les moûts concentrés, filtrés, les vins sans alcool, les vins mousseux, les vins de type spéciaux. On y étudie de même l’utilisation rationnelle de ferments sélectionnés.» Puis d’enfoncer encore le clou : «…les caves coopératives ont le grand mérite d’avoir libéré les vignerons de la nécessité de vendre la vendange à n’importe quel prix et d’avoir contribué au perfectionnement de la viticulture et de la vinification.» Le texte rend aussi hommage à la création à Morges d’une cave coopérative de «170 producteurs, pour 100 ha de vignoble et une production moyenne de 800’000 litres».

Sur la base de cet arrêté, puis d’un second qui fixait les conditions de la subvention des caves, celle de Leytron fut la première à être ouverte, mais «le 6 décembre 1930, rapporte André Guex, le commerce refusait d’acheter la récolte de Leytron, premier acte d’une offensive dont l’objet était de tuer les Caves dans l’œuf et dont l’effet fut de les contraindre à vendre par leur propres moyens.» S’ensuivit un long bras de fer entre partisans des coopératives, réunies rapidement en «fédération», sous le nom de Provins dès 1934, et leurs adversaires, notamment le négoce…

L’idée du «président Troillet» finit par s’imposer, sous l’œil ébahi du futur «vieux lion» historique de la gauche valaisanne, le Briguois Karl Dellberg (1886 – 1978): «Bientôt les conservateurs seront les pionniers du socialisme».

Des pages d’Histoire à méditer quand, 90 ans plus tard, on pourrait, sous la contrainte des incertitudes financières, jeter le bébé avec l’eau du bain, au risque de paraphraser Dellberg, «Bientôt les conservateurs seront les pionniers de l’ultra-libéralisme».

Pas de majorité en faveur d’une limitation de la prise en charge de la vendange

Le jeudi 12 décembre 2019, l’assemblée des sociétaires de Provins n’a pas accordé à sa direction de pouvoir restreindre la prise en charge de la vendange, au besoin.

396 sociétaires présents ont dit oui à bulletins secrets, contre 248 non et 46 abstentions: la majorité des deux tiers, nécessaire, n’a pas été atteinte.

Résultat: la vendange 2018 ne devrait pas pouvoir être payée et la 2019, étalée sur trois ans, non plus…

La situation financière de Provins, malgré un chiffre d’affaire légèrement en hausse à 47,6 millions de francs (contre 45 l’année précédente), est difficile. L’endettement est de 52 millions de francs, en hausse de 10 mios en un an, pour 30 mios de fonds propres, selon Le Nouvelliste. Les journalistes n’avaient pas été admis à l’assemblée. Selon des déclarations, la direction de la coopérative, qui pèse 20% de la vendange valaisanne, n’aurait pas de « plan B »: aucun n’a été soumis aux sociétairesSes stocks à fin août s’élevaient à près de 8 millions de litres de vin, soit un peu moins de la vendange encavée d’une année

©thomasvino.ch