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Posted on 1 mars 2020 in Vins français

Crozes-Hermitage: résolument «nordiste» et «rive gauche»

Crozes-Hermitage: résolument «nordiste» et «rive gauche»

Crozes-Hermitage, 1800 hectares, l’appellation la plus vaste des Côtes-du-Rhône septentrionales, au sud de Lyon, ne connaît pas de problèmes de stocks. Et augmente chaque année : une vraie «success story» ! Malheureusement, leur nouvelle manifestation-vitrine, un week-end à Crozes, fin avril, a été repoussée à des temps meilleurs compte tenu du coronavirus.

De retour de Tain-l’Hermitage, Pierre Thomas

©Christophe Grilhé

«Crozes-Hermitage croît en surface, en volume et en valeur, avec un gain de 3 à 5% par an. C’est un succès unique dans les Côtes-du-Rhône septentrionales», commente avec satisfaction le co-président de l’AOC, Jacques Grange, depuis plus de vingt ans directeur technique de Delas.

C’est une des grandes maisons, à la fois propriétaire de vignes et actives dans le négoce, des Côtes-du-Rhône, avec Chapoutier, Jaboulet et Guigal. Les trois premières ont pignon sur rue à Tain-l’Hermitage, au pied de la «colline sublime» de l’Hermitage, 134 hectares, quand Crozes-Hermitage en compte près de 1800. Ce chiffre n’est pas encore atteint mais le sera sous peu, puisque le vignoble progresse de 80 ha par an, avec près de 1000 ha «en réserve» sur de bons terrains. Avec 8 millions de litres de vins produits par an en moyenne, Crozes-Hermitage vise les 10 millions et dépassera alors Châteauneuf-du-Pape, dans le Sud. Et dans le Nord, seul Saint-Joseph affiche plus de 1000 ha (1300 ha), sur la rive droite du Rhône, tandis que des deux AOC en rouge exclusivement, la Côte-Rôtie affiche 300 ha, et Cornas, la moitié.

Une bouteille sur dix en blanc

A l’exception de Condrieu et de Château-Grillet plantés en viognier, sur la rive droite, la rive gauche fait confiance, en blanc, à la marsanne et à la roussanne. Mais seuls 10% des Crozes-Hermitage sont en blanc. «C’est une curiosité pour nos clients : on en manque», commente Gaylord Machon. Ce petit producteur (9 ha) signe une roussanne majoritaire dans sa cuvée de base, une curiosité, pour ce cépage, moins productif, moins alcoolisé et plus tardif que la marsanne. Mais, grâce au changement climatique, il s’en plante «davantage que de la syrah», le seul rouge autorisé, explique le vigneron Yann Chave, l’autre co-président de l’AOC. (lire ici notre chronique sur les blancs sur le blog les5du vin)

Si les Crozes-Hermitage croissent en valeur, avec des prix s’échelonnant entre 10 et 30 euros — comparables aux prix des vins suisses ! —, l’affaire ne va pas s’arranger… En effet, le 15 juin 2019, la région de production principale, Les Châssis, au sud de l’AOC, dans la plaine alluvionnaire de l’Isère, a été fortement grêlée. Ironie de cet épisode climatique rare : l’AOC avait réussi à se fédérer autour d’un projet de protection contre la grêle (avec des fusées destinées à dissiper les nuages), un système qui, dès sa mise en place, s’est avéré parfaitement inefficace ! L’AOC ne connaît pas, non plus, une «réserve climatique», que les vignerons suisses réclament. Mais pour Jacques Grange, «perdre une demi-récolte ne devrait pas nous effrayer». Ce qui est vrai pour un négociant, ou pour la coopérative (38% du volume), ne l’est pas pour les quelque 70 «caves particulières»…

@Delas

Une étape œnotouristique

Au sud de Lyon, mais avant Valence, la porte de la Provence, l’îlot de l’Hermitage connaît une intéressante évolution œnotouristique. Michel Chapoutier a racheté l’ancien hôtel Mercure, devenu le Fac & Spera («fait et espère», la devise de la maison de négoce), au centre de Tain et l’a transformé, avec spa, brasserie classe et bar à vins. La propriétaire de Jaboulet, Caroline Frey, a tenu, en engageant un chef de cuisine, à donner une touche de gastronomie locale, légère et bien apprêtée, au Vineum, le bar à vin situé sur la place principale de la petite ville. On mange fort bien à la Villa Gambert, au milieu des vignes de l’Hermitage, sur le domaine qui avait appartenu au fondateur de la Cave de Tain et, désormais, fief de la coopérative. Caché dans un recoin du vieux bourg, Le Mangevins est, comme son nom l’indique, le repaire du bien-boire et du bien-manger… Quant à Delas, il vient d’achever (pour 18 millions d’euros) un splendide complexe au centre de la petite ville qui fait face à Tournon dans ce verrou où le Rhône se faufile.

Delas revient au centre de Tain

La maison Delas, intégrée au groupe champenois Roederer il y a 25 ans, a pris possession des anciennes caves Jaboulet, au cœur de Tain. On a conservé la résidence de la famille, transformée en luxueuse maison d’hôtes de onze chambres et suites (sans écran de télévision), en table d’hôtes et locaux de dégustation et de conférence. Un escalier hélicoïdal conduit à la cave de la villa cossue, d’où l’on rejoint les chais. Coïncidence, la maison date de 1835, année de fondation de… Delas. Les anciens chais, vétustes, n’ont pas été rénovés. Ils ont fait place à un bâtiment qui, déjà, est un joyau de l’architecture du vin contemporaine, déjà primé deux fois (photos ci-dessus et ci-dessous…)

@delas

A l’intérieur, la cuverie est inspirée du nouveau chais du Château Pichon (Comtesse), dans le Bordelais, qui appartient au même groupe. Pour l’extérieur, l’architecte Carl Fredrik Svenstedt, établi à Paris, a imaginé un mur flottant, suspendu par des câbles, en forme de vague, composé de 278 blocs taillés dans de la pierre jaune de la région d’Uzès. Delas a rentré ses premiers raisins l’automne passé. Et l’œnologue Claire Darnaud, qui a travaillé plusieurs années en Australie et en Tasmanie, ne tarit pas d’éloge sur le transport par gravité (et par «cuvons») du raisin dans les cuves inox tronconiques, et sur le double chais permettant de conserver à des températures différentes les vins rouges de domaine en élevage sur deux millésimes. Les vins blancs et la logistique du négoce restent dans la cave de Saint-Jean-de-Muzols, sur la rive droite du Rhône.

Une AOC démonstrative

C’est à ce genre de «signe extérieur de richesse» qu’on reconnaît la santé économique d’une région viticole. La Cave de Tain n’est pas en reste : dans ses entrailles, plus de deux mille barriques. Elle passe pour le plus gros producteur de syrah hors Australie. Depuis cinq ans, une nouvelle cuverie permet aux œnologues de vinifier des sélections parcellaires. Car Crozes-Hermitage entend faire valoir ses terroirs. L’AOC les a fait cartographier par Isabelle Letessier, qui avait passé à son «scanner» le vignoble suisse (www.sigales.fr). Près de 18 «climats» ont été répertoriés, certains très originaux, comme les sables de kaolin de Larnage, propices aux blancs, ou les granites, complétés par des loess, de Gervans et Erôme, au nord, qui donnent des syrahs fraîches et complexes.

Les 1800 hectares de l’AOC (dont un quart au nord et en coteaux) expriment une authentique diversité, avec une soixantaine de producteurs, toujours plus convaincus par le parcellaire.

Pour montrer cette singularité, ces vignerons avaient l’ambition de monter un nouveau salon des vins, Le Grand week-end des Crozes-Hermitage, qui aura lieu les 24, 25 et 26 avril 2020, à l’Espace Eden de Mercurol, à quelques kilomètres de Tain. Cinquante producteurs, propriétaires et négociants, auraient été de la partie: c’est partie remise à plus tard, sans doute l’an prochain…

 

©Christophe Grilhé

Sur le net : https://www.vins-rhone.com/vignobles/appellations/crozes-hermitage

L’œnotourisme gagne petit à petit la Vallée du Rhône: sur la rive droite cette fois, Guigal, l’autre grand négociant (avec Chapoutier et Delas) et propriétaire de prestigieuses Côtes-Rôties, à son nom, mais Vidal-Fleury et le Domaine de Bonserine, et depuis peu du Château de Nalys à Châteauneuf-du-Pape, ouvre ce printemps un caveau de dégustation, un petit musée d’objets liés à la vigne et au vin, et un espace de dégustation (90 places). Le tout pour un investissement de 6 millions d’euros, annonce le site Vitisphère. «Le Caveau du Château» est logé dans une bâtisse du 19ème siècle, qui appartenait à la famille Vidal-Fleury, à l’entrée du village d’Ampuis, dont les activités ont été reprises par Guigal dans les années 1980.

VO de l’article paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo, le 20 février 2020.

©thomasvino.ch