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Posted on 6 février 2020 in Dégustation

Bordeaux-Barolo-Barbaresco janvier 2020  — Des dégustations à bâtons rompus

Bordeaux-Barolo-Barbaresco janvier 2020 — Des dégustations à bâtons rompus

Pour la deuxième année consécutive, j’ai enchaîné, du 5 au 29 janvier, des dégustations dans deux des régions phares de France et d’Italie, Bordeaux et le Piémont. Près de mille vins dégustés, les deux tiers à l’aveugle, le reste durant des sessions spéciales ou des déjeuners et dîners. Qu’en reste-t-il ? Quelques tuyaux pour commencer l’année…

Par Pierre Thomas

A Bordeaux, c’est les Crus Classés de 1855 et les vins de Graves qui pilotaient l’opération, pour un petit commando de journalistes internationaux, cornaqués par Bernard Burtschy (www.bernardburtschy.com). Une tournée «limitée» à la Rive Gauche, Sauternes-Barsac compris.

A Alba, l’invitation émane du groupement de l’Albeisa, la bouteille typique des Langhe et du Roero, de style bourguignon, et «limitée» aux grands nebbiolos DOCG (Barolo, Barbaresco, Roero).

Deux millésimes différents : 16 et 17

A Bordeaux, les 1ers crus reçoivent les journalistes «à domicile», sans dégustation à l’aveugle, et certains châteaux font de même. Le reste des CC 1855 étaient jugés à l’aveugle. Et tous les vins étaient en bouteille, comparés sur les millésimes 2016 et 2017. Pas de «primeurs», exercice (de haute voltige !) qui a lieu l’année suivant la vendange, sur échantillons tirés des fûts qui poursuivront leur élevage quelques mois encore…

On connaît les différences des deux millésimes : 2016, réputé grand — «il n’a pas de preuve à faire», dit-on à Ducru-Beaucaillou —, plus ferme et moins solaire que 2015, un peu comme dans la paire 2009 – 2010, où les premiers se laissent déjà aborder et les seconds doivent se garder. Quant à 2017, marqué notamment par le gel dans les parcelles les moins bien situées, il peut être rapproché de 2014 — «plus élégant que 2011», dit-on à Latour — avec une définition dite «classique» de Bordeaux, par opposition à des millésimes chauds, marqués par des vendanges précoces…  On qualifie même le 2017 de «charmeur» à Lafite. En attendant 2018, qualifié de millésime «monstre» !

Les vins que j’ai préférés

Cette différence de millésimes fait sinon le charme, du moins l’utilité de la dégustation. Et on peut apprécier pour des raisons purement gustatives tel vin dans tel millésime…

Pour 2016, j’ai apprécié principalement les «grands vins» de…

Ducru-Beaucaillou, Croix-Ducru-Beaucaillou ; Léoville-Las Cazes, Potensac ; Ch. Latour; Ch. d’Armailhac, Mouton-Rothschild («ultra-classique», avec 15% de merlot) ; Cos-d’Estournel ; Montrose ; Lynch-Moussas ; Pédesclaux ; Batailley ; Alter Ego (second vin de Palmer), Palmer ; Pavillon rouge, Ch. Margaux ; Cantenac-Brown, Desmirails, Ferrière, Ch. d’Issan, Dauzac,  Kirwan ; Léoville-Barton, Saint-Pierre, Gruaud-Larose, Léoville-Poyferré ; Lafite-Rothschild ; Belgrave ; La Chapelle de La Mission Haut-Brion (second vin), La Mission, Haut-Brion

Pour 2017, j’ai apprécié…

Le Pauillac du Château Latour, mais aussi le «grand vin» de Latour ; Lynch-Moussas, Lions de Batailley ; Clerc-Milon, Ch. d’Armailhac, Mouton-Rothschild (très cabernet-sauvignon, 90%, à rapprocher du 1983) ; Calon-Ségur ; Cos-d’Estournel, Croizet-Bages, Pédesclaux, Pichon-Comtesse, Batailley ; Palmer ; Ségla (second vin de Rauzan-Ségla), Chevaliers de Lascombes, La Dame de Malescot, Ch. d’Issan, Rauzan-Ségla, Marquis de Terme, Ferrière, Rauzan-Gassies, Malescot-St-Exupéry, Prieuré-Lichine, Pouget ; Connétable de Talbot (second vin), Réserve de Léoville-Barton (second vin), Lagrange, Beychevelle, Léoville-Barton ; Duhart-Milon, Lafite-Rothschild ; La Lagune ; La Mission Haut-Brion, Haut-Brion.

A Sauternes, 2017 est indéniablement plus remarquable que le très chaud 2016 ;

j’ai apprécié…en 2017 : La Chapelle de Lafaurie-Peyraguey (second vin), Petit Védrines (second vin), Perle d’Arches (second vin), Rieussec, La Tour Blanche, Rayne-Vigneau, Ch. de Myrat, Ch. d’Arche, Filhot, Broustet ; en 2016, Ch. de Myrat, Ch. d’Arche, Lamothe-Guignard.

Et Château d’Yquem dans les deux millésimes, aux caractéristiques proches sur le papier : 75% de sémillon pour 25% de sauvignon, un PH égal de 3.8, pour un peu plus de sucre résiduel (148 g. contre 135 g., compensés par une acidité plus grande dans le 2017 (3.7 contre 3.2), plus complexe, plus riche, plus long que le 2016 très pur, mais plus linéaire.

Blancs secs des Graves, j’ai apprécié…

En 2017, Carbonnieux, Latour-Martillac, Pape Clément, Couhins-Lurton, Couhins ; en 2016, Pape Clément, Olivier, Couhins-Lurton, Chevalier, Malartic-Lagravière.

Rouges des Graves, j’ai apprécié…

En 2017, Olivier, Bouscaut, Couhins-Lurton, Couhins, Haut-Bailly ; en 2016, Bouscaut, Couhins, Pape Clément, Chevalier, Olivier, Carbonnieux, Malartic-Lagravière, Haut-Bailly.

A Bordeaux, du moins sur la rive gauche, la hiérarchie est bien établie et, dans cette tournée, les domaines les plus réputés jouent le jeu de la dégustation, certes à domicile pour les 1ers GCC. A Bordeaux, les châteaux et leurs propriétaires savent recevoir : la pression commerciale est évacuée par le système de la vente via les négociants de la place de Bordeaux (et les ventes en primeurs).

Le Piémont et sa hiérarchie complexe

Au Piémont, à l’image de la Bourgogne, la hiérarchie est plus complexe. Même si les vins sont nombreux (plus de 320 vins servis à l’aveugle, par appellation), les producteurs sont limités dans leur choix et ne peuvent pas faire déguster tous leurs «crus», les MGA «mentions géographiques ajoutées». Pas de Gaja, Bruno Giacosa, Scavino, Parusso, etc. Mais, tout de même, des confirmations et, aussi, quelques révélations, auxquelles se prête fort bien la dégustation à l’aveugle !

Lire mes commentaires sur les 100 vins les plus appréciés (32 ***, 40 ** et 28 *).

Ensuite, les soirées et visites de caves, comme le passage au salon-dégustation Grandi Langhe, à Alba, réservé aux professionnels, permettent d’étoffer les impressions. Ainsi le bon moment en compagnie des producteurs de Barbaresco Marco et Vittorio Adriano (appréciés dans la dégustation à l’aveugle, puis remarquable Barbaresco Sanadaive 2010), Sergio Abrigo (magnifique Dolcetto d’Alba Garbei, taillé pour la garde, comme le montrait le 2010 !), de Barolo Monchiero et surtout de Giacomo Fenocchio, et de son successeur Claudio. Son quatuor de barolos 2016 est remarquable, avec un coup de cœur pour le Cannubi, dense et gras, tandis que Castellero et Villero sont plus rustiques, le second marqué par un boisé plus présent, et Bussia, enfin, qui est paru plus souple, avec un très beau 2010 aux tanins serrés, sur des arômes de cerise noire et de pruneau. Des vignes cultivées comme du temps de son père, sans herbicides ni pesticides, puis des vins élaborés et élevés traditionnellement : 40 jours de macération, et trois ans dans des fûts de Slavonie de 20 à 30 hl. Depuis 2010, Claudio a poussé son barolo plus loin avec une Reserva de 90 jours de macération, puis 4 ans d’élevage sous bois, produite seulement dans les bons millésimes (pas de 2014 et bientôt le 2015 sur le marché). Mais je n’ai pas dégusté ce vin…

Le retour au premier plan de la vigne

A Bordeaux, comme dans le Piémont, ce qui frappe, c’est l’influence de la conduite du vignoble (culture bio, labellisée ou non, Bordelais et Piémontais restant réticents sur la question, par crainte de devoir soit renoncer à un millésime soit au label en cas de conditions climatiques défavorables), le style des maisons (influencé par un historique ou une nécessité de plaire à certains marchés, par exemple américain) et, finalement, le potentiel des vins (souvent difficile à évaluer dans des millésimes délicats).

Dans le Piémont, 2016 est jugé comme un grand millésime, notamment à Barolo: il est marqué par des tanins loin d’être fondus (et leur «puissance» dépend notamment de la proportion de «grappes entières» dans la vinification) et une grande acidité, deux paramètres qui justifient de faire vieillir ces vins. Barbaresco et le Roero soumettaient leurs 2017, une année aux vendanges précoces, dont les vins devraient être plus prompts à apprécier, avec des acidités relativement basses.

Des reportages, tirés de ces visites, sur des domaines à Bordeaux et au Piémont suivront, ce printemps. 

©thomasvino.ch