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Posted on 18 septembre 2020 in Carte Postale

Vins tchèques  — Le goût de l’origine

Vins tchèques — Le goût de l’origine

Les Tchèques sont les plus gros buveurs de bière du monde, avec plus de 180 litres par an et par habitant (Suisse, 55 l.). Mais, situés à 95% en Moravie du Sud, leurs vignobles, sur 18’000 hectares, produisent 66 millions de litres de vins, pratiquement bus uniquement en République tchèque, où Prague, et ses 13 millions de touristes par an, est un réservoir presque inépuisable. Découverte entre collines moraves et capitale bohémienne.

Par Pierre Thomas, texte et photos

Caves modernes et bien équipées, œnotourisme basé sur des balades à vélo dans les collines de la Moravie, aux environs de Brno, les vignerons tchèques ne donnent pas l’air de souffrir de la crise. Du reste, en Tchéquie, comme en Suisse, on importe — et on boit ! — deux tiers de vins étrangers. Et l’exportation ne concerne qu’un ou deux pour-cent de la production, à destination de la Pologne, sa voisine, du Canada et des Etats-Unis. L’industrie vitivinicole revient de loin, dans ce pays d’un peu moins de 11 millions d’habitants, sous régime communiste dès 1948, puis «république» et libre pour la première fois de son Histoire, depuis 1993, quand elle s’est séparée de la Slovaquie, et membre de l’Union européenne depuis 2004, mais qui a gardé sa monnaie, la «couronne tchèque». Au passage, curieusement, dans les caves, on ne voit quasiment pas de panneau indiquant «avec l’aide de l’UE», que les caves italiennes ou françaises affichent volontiers…

«Mon» jury: un tenancier de wine bar tchèque, un oenologue-conseil piémontais, une serveuse de Brno et une journaliste bulgare, auteur d’un guide annuel des vins de son pays.

A l’occasion du 27ème Concours mondial de Bruxelles (CMB), à Brno, j’ai pu déguster quelques vins et visiter une douzaines de caves, en Moravie, puis à Prague. J’avais découvert cette ville il y a une quinzaine d’années : les touristes s’y ruaient déjà, pour son ambiance culturelle et festive, son climat plutôt doux, et son ambiance Mitteleuropa. En vain, j’avais essayé de déguster quelques vins locaux, très discrets, dans les bistrots. L’ambiance a changé du tout au tout : l’autre vendredi, au Savoy Café, un lieu connu pour son cadre (magnifiques plafonds arts déco), sa cuisine, et sa sélection de vins qu’il revendique sous le titre de winebar, une tablée de jeunes francophones a commandé la carte des vins, puis s’est fait longuement conseillé par le jeune sommelier, qui leur a conseillé un vin rouge.

Le Jardin botanique de Prague cultive plus de 200 cépages à titre expérimental.

Le vin est à la mode. Et, à table, le rouge. Pourtant, c’est à Prague que Vladimira Egertova, la jeune œnologue du domaine du jardin botanique, qui le dit : «Les Tchèques préfèrent le vin blanc, parce qu’ils croient que les vins rouges ne sont pas très bons. Ca n’est pas mon avis : avec le réchauffement climatique, je pense que nous avons une carte à jouer avec les rouges». Avant de passer à la dégustation de trois pinots noirs, marqués par leur millésime — le pinot y est sensible et la situation géoclimatique de Prague permet des différences notables entre les années…— : un 2015 titrant 14,5% d’alcool, ayant passé deux ans en barriques françaises, de «style français», assure l’œnologue, un 2016, (à 14%) plus «espagnol», moins structuré que le précédent, plus tendu par l’acidité, et au boisé un peu sèchard, et un 2018 (à 15%, vendangé à fin septembre), carrément «Nouveau Monde», «le meilleur des dix dernières années», gras, puissant, aux tanins fondus, encore marqué par le bois. Et fermé avec un bouchon en verre Vinolok, une société tchèque, entrée dans le giron du fabricant de bouchons portugais Amorim, qui en a acquis 50% des actions en été 2019, créant la surprise… Le grand Prague, au cœur de la Bohème, compte une quarantaine d’hectares de vignoble et pourrait ambitionner de rejoindre le réseau des «great wines capitals», à l’instar de Bordeaux, Vérone ou Lausanne, elle qui fut décrite «capitale du vin» dans un lointain passé ! Et Napoléon, en 1805, forgea sa victoire à Austerlitz au lieu-dit «les vieilles vignes», aujourd’hui champ de maïs…

Sous l’oeil de Lubos Barta, vins du Jardin botanique et dégustateurs italien, polonaise, belge…

Au CMB 2020, la République tchèque a remporté 6 grandes médailles d’or, toutes pour des vins blancs tranquilles moraves. Et 32 médailles d’or pour des blancs tranquilles, 5 pour des rouges et 3 pour des rosés, tous moraves (96% de la production). Il faut dire que les Romains ont implanté la vigne qui s’est propagée largement en Grande Moravie au 9ème siècle, avec un âge d’or de la viticulture entre les 14 et 16èmes siècles, sous l’impulsion de Charles IV du Luxembourg, dont on dit qu’il importa le pinot noir de Bourgogne au 14èmesiècle. Au moment où l’illustrateur Mucha faisait florès à Paris, le phylloxéra détruisait le vignoble, au début du 20ème siècle. Et le communisme, dès 1948, à travers des coopératives, se chargea de miser sur la quantité plutôt que sur la qualité, avant que Gorbatchev incite à arracher massivement le vignoble… Aujourd’hui, un millier de caves se partagent les 18’000 hectares, plantés en 35 variétés de blanc (71% de la production tchèque) et 26 de rouges. Pour le journaliste spécialisé en vin Lubos Barta, un pilier du CMB, «la grande acidité est la signature des vins moraves». Cette année (2020), les Vinalies internationales de Paris ont décerné leur trophée du meilleur vin blanc à un Palava U Venuse 2018 de Volarik, avec ce commentaire : «L’opulence du nez s’exprime dans des fragrances florales de jasmin, de fleur d’oranger et de rose. Les arômes fruités de mandarine, d’ananas et de litchi subliment cet univers olfactif et se marient à une touche de miel d’acacia et d’abricot sec. La bouche charmeuse est dominée par la pêche mûre et le litchi. On apprécie son délicat côté perlant qui lui amène de la fraîcheur. La finale est onctueuse et épicées à dominante de poivre blanc.» Le palava est un croisement de gewurztraminer et de Müller-Thurgau (riesling X sylvaner) qui prospère sur 600 ha, soit sur deux fois moins que le riesling, cultivé dans sa version rhénane, mais aussi italienne.

En rouge, les cépages autrichiens — proche, au sud —, le zweigelt, le blauer protugieser (appelé modry Portugal), le blaufränkisch (appelé frankovka) et le Saint-Laurent, qui, croisés, donnent l’original André, et qui livrent des vins en général fruités, sapides, point trop extraits. Pour accompagner l’oie rôtie, à signaler le «vin de la Saint-Martin», un «bourru» qui, depuis le Moyen-Age, coule à flot entre le 11 et le 20 novembre, où il s’en boit plus de 2,5 millions de bouteilles… La Tchéquie n’a pas à se préoccuper d’exportation : les étiquettes et les contre-étiquettes, qui reprennent souvent des motifs traditionnels (ou alors sont résolument d’un design moderne !), donnent des informations le plus souvent uniquement en tchèque. Les cépages ont des noms de tchèques, comme le gruner veltliner (1650 ha), le veltlinské zelené, le riesling rhénan, rizlink rynsky, le pinot blanc, rudlanské bilé, à ne pas confondre avec le rudlanské modré, le pinot noir, donc…

Parmi les cépages locaux, l’hibernal, croisement (allemand) de Seibel X riesling, le muscat morave, croisement de muscat ottonel X Prachtraube. Sans oublier le quatuor majeur des cépages internationaux que sont le sauvignon, le chardonnay, le cabernet sauvignon et le merlot.

La législation répartit les vins en PGI (indication géographique protégée), PDO (en désignations d’origine, qui sont six, quatre en Moravie, deux en Bohème), et les VOC (vins d’origine certifiée), à cheval entre les AOC françaises et les DAC spécifiques à l’Autriche, et qui sont 13 actuellement, dont Mikulov, Melnik, Valtice et Bzenec. Attention : la VOC Slovacko n’est pas du vin… slovaque, mais d’une sous-région au sud-est de la Moravie et la VOC Palava ne consacre pas le cépage homonyme, mais le «welschriesling» issu d’une petite région autour de Mikulov (qui a sa propre VOC pour six cépages). Parmi les vins que j’ai appréciés, de Zemecké Vinarski Bzenec, le pinot gris 1508 et le riesling «Terroir Moravia» 2018, un assemblage amusant des trois pinots (blanc, gris, noir), vinifiés en blanc, Patriot 2019, de Vinum Moravicum, à Bzenec, au domaine Spielberg, le cabernet Cortis 2017 (cépage résistant, croisement de cab sauv X solaris), original, certes, mais alcooleux et un peu sucré, à la fois tabac et herbacé, le merlot 2016, à la fois rond et acidulé, au caractère boisé, de Regina Coeli, dont le 2015, plus riche, a été désigné meilleur vin de Moravie par Decanter.

En général, les rieslings m’ont plu : ils n’ont pas l’ampleur des vins des plus célèbres régions allemandes (Moselle…) ni de la Wachau autrichienne, mais jouent habilement sur un équilibre entre vive acidité et sucrosité enrobante. Par exemple, l’excellent Ryzlink 2017 de Mlan Sukal, très agrumes, le Ryzlink 2018 de Zamecké, gras, puissant, un peu pétrole, le Ryzlink 2018 de Leona Sebestova, aux arômes proches, mais encore plus intenses, comme le Ryzlink Austerlitz 2017, de Spielberg.

Dans les environs proches de Prague, la cave Salabka Troja, couplée à un restaurant gastronomique inventif d’un très bon niveau, tente sur du gewuztraminer, un «vin orange» agréable, élevé en barriques. Et dans la capitale, un propriétaire d’origine indienne, Sanjiv Suri, à la tête du Zatisi Group, a ouvert des restaurants à la cuisine tchèque habilement revisitée et mariée à des saveurs asiatiques : le Bellevue, signalé par le guide Michelin, et tout près, au pied du pont Charles, le Mlynec (en photo ci-dessous), résolument contemporain, Fresh & Tasty, et le V Zatisi dans la vieille ville, classé parmi les meilleurs adresses de la ville. A chaque fois, le choix des vins est remarquable, avec des crus tchèques servis au verre, en premiers prix, et des vins italiens, espagnols et français bien choisis, à des prix souvent dignes des capitales européennes…

©thomasvino.ch, septembre 2020