Le Valais viticole au tournant vert
C’est le «cahier vert» à ajouter à la monumentale «Encyclopédie de la vigne et du vin du Valais», parue il y a juste dix ans. Avec le Parc naturel Pfyn-Finges, le Musée du vin de Sierre, en parallèle d’une exposition sur le même thème, ambitionne de «faire le tour de la question» de la «Vigne et nature en Valais». Avec pas moins de 17 auteurs.
Par Pierre Thomas
Le mandala, repris de l’affiche d’Eddy Pelfini, résume l’enjeu : des ceps, les motifs, feuilles de vigne, grappes, puis papillons, coquelicots, coccinelles, insectes s’éloignent du centre jusqu’au sécateur. La vigne et ses fruits sont une culture, et souvent une monoculture, destinée à une fin précise, la vinification. En 280 pages d’un grand format presque carré, l’ouvrage, abondamment illustré, prend date avec l’histoire. Racontée par Peter Oggier, biologiste et directeur du parc naturel Pfyn-Finges (277 hectares), la saga de ce premier parc naturel cantonal, voulu par le jeune politicien local Jean-Michel Cina, est passionnante. Tout est parti d’un remaniement parcellaire à Salquenen, pionnier des AOC par son Grand Cru.
La question centrale de l’enherbement
Avant de devenir le principal canton viticole de Suisse, porté jusqu’à plus de 5’000 ha (en régression à 4792 ha, rongé par la périurbanisation…), le Valais, en 1939, comptait la moitié moins de surface viticole. En 55 ans, son paysage s’est radicalement transformé et les conséquences pour la nature, écrit Peter Oggier, ont été «désastreuses. Prairies maigres, vergers, bosquets et steppes font place à de nouvelles vignes. D’innombrables espèces de plantes et d’animaux caractéristiques de ces milieux perdent leur habitat.»
C’est à Salquenen qu’André Mathier «en 1966 enherbe sa première vigne et provoque de violentes réactions. (…) Aujourd’hui, cinquante après (…), certains vignerons soutiennent que cette méthode de gestion du sol ne fonctionne pas en Valais.» Ingénieur agronome et vigneron encaveur à Leytron, Christian Blaser, dans un chapitre fouillé, explique en quoi l’enherbement (qui signifie renoncer aux herbicides) constitue la première étape du passage en bio, lui qui applique «la bonne gestion du sol et la recherche d’un haut niveau de biodiversité sur les parcelles». Dans un canton plus sec et plus ensoleillé que le reste de la Suisse, plus morcelé en parcelles issues d’héritages successifs, peu mécanisables en «viticulture héroïque», mais qui tolère l’arrosage, l’enherbement reste un obstacle au passage à la viticulture bio.
Des champions bio, déjà
De fait, même si la jeune vigneronne Sandrine Caloz, de Miège, a été sacrée championne suisse du bio en 2019, avec le meilleur vin bio du Grand Prix du Vin Suisse, titre remporté à nouveau cette année par un johannisberg de Yann Comby, à Chamoson, même si le cru le mieux noté de la Sélection des vins du Valais 2019 a été l’humagne rouge du couple Blaser-Michellod, même si des vignerons aussi réputés que Marie-Thérèse Chappaz, Didier Joris, Mikaël Magliocco ou, partiellement, les Rouvinez et Gilles Besse (J.-R. Germanier), mettent en marché des vins bios, la viticulture bio ne concerne que 3,2% du vignoble valaisan et la biodynamie, un demi pour-cent — ce sont pourtant les «deux méthodes culturales perçues comme étant à même de renaturer la nature cultivée», comme l’écrit l’anthropologue Mélanie Hugon-Duc. La quasi-totalité des vignes sont, en revanche, en «production intégrée» (PI), où le Valais a joué très tôt, dès les années 1970, un rôle de pionnier, grâce à Vitival. Une plate-forme «Orientation Bio», créée en 2017 par BioValais et Vitival, devrait permettre d’orienter les adeptes de la PI vers le bio : une centaine des quelque 900 membres de Vitival y participent.
Le lancement du cahier des charges de la «marque Valais» appliquée aux vins exige des vignerons qu’en trois ans, ils s’engagent à effectuer leur «reconversion» en bio. Yvan Aymon, le président de l’Interprofession de la vigne et du vin, estime qu’en réalité, 20% du vignoble valaisan serait aujourd’hui cultivé en bio «non labellisé».
Vers l’héroïsme du consommateur ?
L’ouvrage est publié au moment où le Valais est attendu à un tournant vert, favorisé par les services de l’Etat du Valais. Selon notre consœur France Massy, «pour arriver aux 100% bio, les vignerons abandonneront sans doute plusieurs parcelles escarpées et les consommateurs devront accepter de payer plus cher la bouteille d’un cru de ce canton alpin». Après l’héroïsme réclamé par les conditions de culture au vigneron, il faudra un acte marchand marquant, du courage donc, au consommateur, qui, par ailleurs, élit (et vote) toujours plus «vert», également en Valais. Prudent, le sociologue Alexandre Grandjean, fort de son tour de 40 domaines biodynamiques en Suisse romande et qui explique en détail cette méthode holistique «vouée à un processus de sécularisation», donne «rendez-vous dans dix ans pour une nouvelle analyse».
*«Vigne et nature en Valais, entre les lignes de la culture» ; 17 auteurs sous la direction d’Anne-Dominique Zufferey-Périsset, infolio, 290 pages, 39 francs. www.museeduvin-valais.ch
L’exposition, dont ce livre est le catalogue, est à voir du 16 décembre (réouverture) jusqu’au 3 janvier 2021 au Musée du vin de Sierre, à côté du Château Villa.
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