Pages Menu
Categories Menu

Posted on 16 juin 2021 in Vins suisses

Le Tessin, au-delà du «bianco di merlot»

Le Tessin, au-delà du «bianco di merlot»

Quand on consulte la statistique fédérale, on est intrigué. Quatrième de Suisse par la surface, derrière Valais, Vaud et Genève, le Tessin affiche 90% de son vignoble en cépages rouges (990 ha) pour 10% en blanc (110 ha). Mais la vendange, elle, totalise, 67% de rouge seulement pour 33% de blanc, en 2020. L’explication ? Près d’un quart du merlot, planté sur 889 ha, est vinifié en «merlot bianco Ticino DOC», une spécialité tessinoise qui fête cette année ses 35 ans…

Par Pierre Thomas (textes et photos)

Ce merlot vinifié en blanc est une curiosité œnologique. Elle est attribuée au directeur technique de la CAGI (ex-coopérative de Giubiasco), feu Adriano Petralli. Trop tôt disparu en 2015, l’ingénieur œnologue formé à Changins eut l’idée de vinifier une partie de la vendange en blanc, quand les vins rouges tessinois connaissaient une grave mévente, en 1986.

Mais le merlot, à la peau bleutée et fine, colore rapidement ce «blanc de noir», déjà au pressurage, même si la macération est réduite. Il fallut trouver une astuce : utiliser du charbon actif. Le produit est connu dans les caves, où il est soumis à autorisation, pour éliminer divers défauts de vinification : corriger la couleur des blancs, mais aussi le végétal ou le moisi. Le charbon intervient donc sur le goût et le «merlot bianco» est neutre. Des recherches ont été menées pour donner du caractère au merlot destiné à être vinifié en blanc, notamment le passage en barriques de chêne.

Ce printemps Ticino Wine a organisé une dégustation virtuelle de 34 échantillons, dont un bon tiers étaient constitués de merlots blancs. Mais aussi d’autres cépages blancs, «in purezza» (monocépage) ou en assemblage, avec un accent mis sur les cépages résistants : lire ci-dessous. Et on pourra s’en rendre compte durant les «caves ouvertes» des 17 et 18 et 24 et 25 juillet 2021.

 

Le Castello di Morcote au premier plan, et la nouvelle cave inaugurée le 15 juin, au second plan. © Ti-Press / Elia Bianchi

 

Le Tessin mise gros sur les Piwi

Le «merlot bianco» a, peut-être, vécu ses heures de gloire. Plusieurs producteurs tessinois proposent des vins tirés de cépages résistants, les piwis.

Dans ce climat à la fois très ensoleillé (par an, plus de 2000 heures de soleil) et très humide (par an, plus de 2000 mm de pluie), le merlot a conquis une place sans partage. Au point que les autres cépages rouges sont inférieurs en surface aux blancs, qui connaissent un regain de succès. Il y eut d’abord le chardonnay et le sauvignon blanc : pour les deux, le Tessin figure au troisième rang en surface, derrière le Valais et Genève, juste devant Vaud.

Aujourd’hui, ce sont les «piwi» (abréviation allemande, pour les cépages résistants aux champignons de la vigne) qui sont dans le vent. En tête, le johanniter (6 ha), devant le souvignier gris (2 ha), le muscaris (2 ha) et le sauvignac (VB Cal 6-04) sur 1,7 ha. S’ajoute, de l’ancienne génération, le solaris (2,5 ha). Riche en sucre et très précoce, ce dernier convient à des vins doux (comme l’élabore Cristina Monico, Fattoria Moncucchetto) ou demi-doux, tel le «None» des frères Bianchi, vinifié en barriques, à la fois dense, vif et fumé. Ce petit domaine familial de 5,5 ha est un pionnier de Bio Suisse, depuis 1998 : le jeune œnologue Gabriele Bianchi en préside depuis ce printemps la section tessinoise (toutes branches agricoles confondues).

Le johanniter a aussi les faveurs de Valentina Tamborini. La trentenaire, fille de Claudio, veut donner une orientation résolument «durable» à la vénérable maison du nord de Lugano. Elle proposait déjà son «Vivi», un johanniter élevé en barrique, et elle a lancé pour la première fois ce printemps, sous des étiquettes colorées, la ligne «La Rinascita», cinq vins de «piwis» tirés de 2 hectares au domaine de Vallombrosa. Quatre sont purs et le cinquième est un assemblage de johanniter et de muscaris, au nez floral de glycine, légérement muscaté, vif et frais.

Assemblage et élevage…

D’autres producteurs misent sur les assemblages. Ainsi Meinrad Perler (photo) à Agriloro, dans le Mendrisiotto. Il cultive déjà 18% de blanc sur ses 22 hectares : «Je veux arriver à 40%», lance cet octogénaire, à qui on avait conseillé, il y a trente ans, de planter du… chasselas, rapidement surgreffé, tant il était peu adapté au climat du Sud des Alpes. Son vin le plus vendu est le «Granito», composé de 40% de chardonnay, 30% de pinot blanc, 20% de sauvignon et 10% de pinot gris, qui passe une dizaine de mois en fûts de 500 litres. Perler offre désormais une alternative aux blancs boisés: un chardonnay, un pinot blanc, et, depuis cette année, un gewurztraminer, vinifiés en grosses jarres («amphores») de terre cuite de 1700 litres.

L’assemblage, c’est aussi la voie suivie par Gialdi, à Mendrisio. Son récent «Sassi Grossi bianco», pendant du merlot du Sopraceneri, valeur sûre inscrite à la Mémoire des vins suisses, est un assemblage à majorité de chardonnay, avec un peu de sauvignon et du pinot noir vinifié en blanc, fermenté en barriques neuves, sans malo, puis «affiné» en jarre de grès, pour un vin sur les agrumes et la vivacité, d’un bon volume en bouche. Quant à la Cantina Monti, elle vient de remporter une des 79 grandes médailles d’or du Frankfurt International Trophy avec son «Malcantone Bianco di Cademario» 2019, assemblage de 55% de Müller-Thurgau, 30% de chardonnay et 15% de pinot gris, un vin gras, aromatique (litchi), marqué par l’élevage et le bâtonnage des lies neuf mois en barriques.

Les Tessinois aiment combiner les cépages et «construire» leurs vins. Elevage à l’appui, le «merlot bianco» fait de la résistance. Plusieurs producteurs en proposent une version «luxueuse». Ainsi, le «Roncaia bianco», de Vinattieri à Ligornetto (repris par Transgourmet, du groupe Coop), cueilli deux semaines avant le rouge, vinifié en barriques et bâtonné pour lui donner du gras, explique Michele Conceprio, directeur depuis peu de la cave.

Cet œnologue officiait auparavant au Castello di Morcote, qui élabore, dans sa superbe nouvelle cave (inaugurée le 15 juin, en photo, le chais à barriques), un merlot en blanc, assemblé à 10% de chardonnay, vinifié et élevé en fût de chêne. Une option prise par Paolo Basso pour son «bianco di merlot», «Bianco di Chiara», élégant et structuré, élevé par l’œnologue Alfred de Martin (Gialdi), «un vin qui traduit mon passé de sommelier : il se présente bien à table avec des plats en sauce crémées, des risottos ou des pâtes au fruit de mer.»

Passe-partout et aromatisé à la vanille du chêne, comme le «Bianco di Rovere», succès commercial au crédit de Guido Brivio, le «merlot bianco» garde ses adeptes. Notamment en Suisse alémanique!                                                                                                                                

Sur le net : https://www.ticinowine.ch

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie du 16 juin 2021.