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Posted on 29 mai 2021 in Tendance

O château, ô ghetto!

O château, ô ghetto!

Ci-dessous, v.o. (actualisée…) de ma chronique sur les5duvin du 29 mai 2021.

Le samedi 6 novembre 2021, de 10 h à 19 h, au Château de Rolle, se tiendra le «salon suisse des vigneronnes» DiVINes ! Une trentaine de productrices feront déguster leurs vins. En 2019, une manifestation semblable s’était tenue au Casino à Morges, le samedi 2 novembre, avec succès, assuré par une vingtaine de vigneronnes.

Si la manifestation morgienne avait été lancée par un homme, le Morgien Pierre-Alain Rattaz, éphémère directeur d’Arvinis, lors de son édition de Montreux (et avant que le salon migre à Genève…), celle de Rolle a été initiée par Coraline de Wurstemberger, «propriétaire d’un domaine viticole tenu par des femmes depuis trois siècles».

Elle fut aussi, en 1999, une des trois co-fondatrices des Artisanes de la vigne et du vin, qui, longtemps ont tenu un stand à Arvinis. Devenu Nous Artisanes du vin, le mouvement est, du reste, l’hôte d’honneur de DiVINes et plusieurs de ses adhérentes (elles étaient 22 en 2018, selon leur site Internet pas mis à jour depuis la Fête des vignerons de Vevey 2019, où elles tenaient un stand très couru…).

Au total, à Rolle, quelque 27 vigneronnes proposeront leurs vins, dont dix Vaudoises (il n’y en avait que 6 à Morges), six Genevoises, cinq Valaisannes, quatre Tessinoises et une seule Suisse alémanique… Pour leur part, les artisanes soulignent que «les femmes ont longtemps été une rareté dans le monde viticole suisse et cette singularité a motivé les artisanes à faire preuve de solidarité et à privilègier l’émulation plutôt que la concurrence». Quant au communiqué de presse annonçant la manifestation, il invite le public «aussi bien masculin que féminin» à aller déguster ces vins à Rolle, début novembre.

Ghetto et Yourcenar

Cette annonce tombe pile au moment où j’ai terminé la lecture de «Vigneronne», écrit par la journaliste spécialisée en vin du Monde, Laure Gasparotto (Grasset, 210 pages). En page 135, elle évoque les associations ne regroupant que des «femmes du vin». «En tant que femme vigneronne et journaliste, on m’a souvent demandé d’adhérer à l’un ou l’autre de ces groupes. Jamais je n’ai accepté. Non que je ne sois pas solidaire des femmes, au contraire, mais je ne comprends pas comment en se rassemblant dans un ghetto, on peut transmettre un message positif. A ce sujet, les propos de Marguerite Yourcenar m’apparaissent d’une intelligence brillante : «Je n’aime pas les étiquettes et «femme» en un sens est une étiquette. Je n’aime pas tout ce qui sépare et réduit les êtres à certaines attitudes. Je voudrais qu’une femme ait la liberté d’être aussi femme ou aussi peu femme qu’elle le veut.» Et elle poursuit : «L’un des plus beaux exemples de femmes vigneronnes reste pour moi Marie-Thérèse Chappaz, à Fully, en Suisse. Elle a toujours sur être plus près de ses vignes que des nécessités du paraître. Pourtant, c’est son visage dessiné qui apparaît sur ses étiquettes ultra-féminines et avant-gardistes en la matière. (réd : qui datent de 30 ans et sont signées Roger Pfund, le fameux graphiste genevois qui avait signé certains billets de banques au temps du franc français). Mais elle en a fait un atout positif, non un combat. Ses vignes en terrasses étroites sont parmi les plus belles que j’aie jamais vues, alors qu’elles sont sans doute les plus difficiles à cultiver».

Bémol : la journaliste a passé sous silence les «artisanes» suisses, dont Marie-Thérèse Chappaz fut une des trois fondatrices, avec feu la Genevoise Françoise Berguer, et Coraline de Wurstemberger, l’organisatrice du futur salon rollois. Mais c’est vrai que la Valaisanne, membre de la Mémoire des vins suisses, a été de tous les combats : celui des premières femmes en viticulture, pionnière du bio et de la biodynamie, présidente des vigneron/ne/s-encaveur/veuses valaisan/nes jusqu’il y a peu, qui a favorisé les vins du cahier des charges «marque Valais», permettant à chaque vigneron/ne de s’essayer au bio et est une des rares à avoir le courage de militer pour l’initiative contre les pesticides, soumise au peuple le 13 juin.

L’Histoire pour elles !

Et puis, le salon rollois, même si ses organisatrices ne l’évoquent pas, a l’Histoire pour lui. Il se déroule quelques jours après la session du Parlement des femmes, qui en réunira 246 dans les travées du Palais fédéral, à Berne, renouvelant une session semblable en 1991. Et, surtout, 50 ans après l’octroi du droit de vote aux femmes, au niveau fédéral. Aujourd’hui, les femmes élues sont 84 (soit 42%) au Conseil national et (seulement) 12 (26%) au Conseil des Etats.

Dans la viticulture suisse, elles sont sûrement moins que cela, vraiment responsables de leur vignoble. Et plusieurs parmi les exposantes de Rolle s’appuient forment un binôme, qui avec un père, qui avec un partenaire, voire, qui avec un fils… Quelques lignes après ce que d’aucun/e/s considèreront comme une diatribe, Laure Gasparotto souligne que «l’ego masculin est souvent si fort qu’elle a besoin de s’approprier les idées ou les actions, limitant une réflexion commune qui pourrait transformer le chemin. Mais ça n’est pas propre au monde du vin.» L’honneur — fût-il genré… — est sauf !

Sur le net : www.divines.ch

©thomasvino.ch