Vins de Lavaux : le retour de l’arbalète
La nouvelle direction du groupe Schenk met de l’ordre dans la belle endormie de Rolle. Et veut mieux profiler ses marques : Testuz, et son emblème, l’arbalète, est de retour à Lavaux.
Par Pierre Thomas
Le coup de «L’Aigle Les Murailles», AOC Chablais, de Badoux, le chasselas le mieux vendu de Suisses, à plus d’un million de cols, dit-on, puis «décliné» en rouge, rosé et mousseux, Schenk veut le réitérer avec «Le Coup de l’Etrier», (future) locomotive des vins de Lavaux.
Propulsé «directeur général des opérations» du groupe Schenk, l’œnologue Daniel Dufaux (ci-contre), à l’origine du renouveau de Badoux, revient pour remonter la maison qui l’a vu œuvrer durant douze vendanges, à la fin des années 1990. Jadis tiré jusqu’à 300’000 cols, quand l’apéritif au chasselas vaudois était encore la règle, «Le Coup de l’Etrier», AOC Lavaux, refait surface. Ensemble, les ventes de tous les vins de Testuz, repris via le Veveysan Obrist, autre enseigne du groupe, en 2015, ne totalisent plus que 100’000 bouteilles… Désormais, le groupe rollois vise la Suisse alémanique, comme pour Badoux, qui y écoule 70% de ses vins. Une vaste campagne d’affichage — près de 500 panneaux —, au début de l’hiver, remettra en avant la fameuse arbalète, l’emblème de la marque, assortie de la date de1538, dans les villes alémaniques. Une nouvelle structure de vente s’adressera au secteur Horeca.
Une «marque» de Lavaux
Fils d’hôtelier de Montreux, passé notamment par le commerce en ligne en Russie, le directeur général du groupe, Bernard Lukey, insiste sur le recentrage des vins sur le «cœur de Lavaux». L’encavage de Treytorrens-en-Dézaley va être modernisé. C’est là qu’un jeune œnologue, Lionel Chevalley, président du Caveau des vignerons de Chardonne, jusqu’ici chez Obrist, va se dédier aux vins de Testuz. Hormis «Le Coup de l’Etrier», un «carré magique» comprend les deux AOC Grand Cru, Dézaley, avec «L’Arbalète», et Calamin, avec «Le Puiné», puis un Epesses grand cru, «Le Cent-Suisse» (Bernard Lukey en fut un à la dernière Fête des vignerons…), et le Saint-Saphorin, AOC Lavaux, «Roche Ronde».
Venu il y a un an des groupes Pernod-Ricard et LVMH, le fils de vigneron ligérien Christophe Chauvet, nommé directeur général des marques et domaines du groupe Schenk, s’extasie devant le «storytelling» liés aux terrasses de Lavaux. Et n’exclut pas d’affiner encore «du parcellaire de parcellaire», pour proposer des vins de haut de gamme à base de chasselas. Déjà, «Le Coup de l’Etrier», comme «Les Murailles», est proposé en assemblage rouge et en rosé, pour accentuer l’effet de marque.
Chantiers bloqué… et débloqué
Les travaux à Treytorrens sont conditionnés par l’avancement du chantier des bâtiments voisins, ex-Testuz, dont les plans de l’entrepreneur Orllati sont contestés au Tribunal fédéral par Helvetia Nostra, dans le droit fil de feu Franz Weber et de «Sauver Lavaux» (fondé il y a 50 ans l’an prochain). Dans ce projet, qui comprend un hôtel, un restaurant et des locaux commerciaux, Schenk se verrait bien aménager une «Testuzthèque», sur le modèle de la Badouxthèque, au pied du coteau d’Yvorne, à l’entrée d’Aigle. Ces deux lieux de production, rénovés et réaménagés, serviront de dégagement lors de la construction de «Cité du vin» à Rolle. Redimensionné, avec un impact réduit sur l’environnement, le nouveau projet de réaménagement complet des installations rolloises n’a, lui, rencontré aucune opposition, de sorte que ce vaste chantier devrait démarrer au printemps 2022, pour plus de deux ans de travaux.
Lavaux et le «modèle vaudois»
Ces (bonnes) nouvelles, saluées comme telles tant par Blaise Duboux, au nom des vignerons de Lavaux, que par Vincent Bailly, nouveau directeur du tout récent «centre d’interprétation» du site Lavaux, inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2007, inauguré fin août dans la magnifique maison Buttin-de-Loës, à Grandvaux, devraient avoir des répercussions positives pour les vignerons. En effet, la maison rolloise n’est propriétaire que d’une quinzaine d’hectares à Lavaux (sur les 736 ha de Pully à Veytaux). Elle achètera donc du raisin à une quarantaine de fournisseurs, à un prix inconnu à ce jour, et en fonction du succès de la relance de Testuz. Ce printemps, avant un millésime jugé calamiteux, alignant gel, grêle et mildiou, les vignerons de Lavaux avaient refusé les «prix indicatifs» avancés par le groupement des gros acheteurs, le GENAL. Les projets de Schenk au cœur de Lavaux tendent à pérenniser le «modèle vaudois» de la possibilité d’une vente, par les vignerons-encaveurs, d’une partie de leur récolte pour assurer du «cash». Testuz, qui vise la qualité par le contrôle de la matière première, privilégiera l’achat en raisin (et non en moût ou en vin), à des «vignerons partenaires» dans la perspective d’un passage à une viticulture bio pour l’ensemble du groupe Schenk. «A l’horizon 2030», a précisé le nouveau directeur général de Testuz, Daniel Dufaux. Avec quelques bémols pragmatiques sur la nature de cette viticulture en bio, quitte à annexer le label IP, qui veut se donner, via Vinatura, une sorte de HVE («haute valeur environnementale») à la suisse, sans craindre le mélange des genres…
Version électronique d’un article paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 27.10.2021.