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Posted on 27 décembre 2022 in Tendance

Réouverture et vin: quand la Chine (s’)exportera…

Réouverture et vin: quand la Chine (s’)exportera…

Je n’ai pas relu le best-seller d’Alain Peyrefitte, publié il y a tout juste 50 ans (1973), «Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera». Mais je suis allé sept fois dans l’Empire du Milieu en six ans, dans divers concours, comme celui de la Route de la Soie. La dernière fois, à la veille de la fermeture due au COVID, fin septembre 2019. Et Xi Jinping a annoncé cette semaine qu’il allait rouvrir le pays sans restriction, dès le 8 janvier 2023, même si les Chinois meurent de l’épidémie dans les villes et les campagnes… Dans ces conditions, quelles perspectives pour le vin chinois ?

Par Pierre Thomas, chronique du blog les5duvin, du 29 décembre 2022

J’en était resté à un pari sur une exportation quasi-inévitable, notamment pour une raison identique à celle que visent les vins… suisses : moins par nécessité commerciale que pour obtenir une reconnaissance internationale qui devrait rejaillir sur le principal marché, le marché local. L’autre jour, la Française Christelle Chêne, directrice de l’export du grand domaine Xige, à l’extrême sud du Ningxia, le rappelait, lors de la présentation de vins qu’importe une société zurichoise, fondée par Michel Girod et son associée chinoise, près de Zurich, vidivinum.ch. Pour l’instant, les deux associés font la tournée des restaurants chinois en Suisse, pour proposer une petite sélection de vins, vendus au public entre 30 et 80 francs (ou euros).

Les vins présentés par vidivinum.ch

Des flacons naturellement chers

Pas de chianti en fiasque ou de valpolicella bon marché à destination des pizzérias, comme l’avaient fait, il y a un siècle, les Italiens avec un succès au-delà de leur diaspora. Non, le vin chinois suscite d’abord la méfiance, confirme la Française, rompue au commerce du vin : elle a d’abord représenté des coopératives bordelaises à Wuhan, puis s’est mise au service d’un importateur chinois de grands crus bordelais, Zhang Yanzhi, qui a étudié l’œnologie à Bordeaux. Il a massivement investi dans un domaine de 2000 hectares dans le Ningxia, doté d’une cave posée telle une soucoupe volante au milieu du vignoble, non loin à la fois d’un lac qui assure des ressources en eau, et du Fleuve Jaune, qui arrose les pieds de la montagne Helan Nord, au sud de la Mongolie. C’est là que les vents de la Sibérie s’engouffrent jusqu’à Pékin, assurant un hiver rigoureux et continental. Les quelque 38’000 hectares, même s’ils sont majoritairement plantés en «franc de pied» (sans porte-greffe), dans une terre sablonneuse, doivent subir le buttage des ceps juste après les vendanges, pour une somnolence de six mois. On ramène de la terre par-dessus la plante taillée en cordon permanent pour la protéger du vent et des températures au-dessous de 20 degrés. Un buttage qui rebute les investisseurs… et qui rend la viticulture plus chère que partout ailleurs, surtout si les entrepreneurs réclament un retour sur investissement rapide.

Paysage au pied de la Montagne Helan.

«L’an passé, nous avons atteint du 550% à l’export, grâce à une belle progression au Royaume-Uni», explique la directrice export de Xige. Cela ne représente pourtant que 40’000 bouteilles écoulées à l’étranger, pour des ventes en Chine à hauteur de 1,5 millions de bouteilles et une capacité de production de 5 à 6 millions de bouteilles par an. Elle poursuit : «L’exportation se fait, par exemple en Angleterre, sur des boutiques spécialisées et non dans les grandes surfaces. Il faut convaincre les professionnels, cavistes et sommeliers, et moins les acheteurs, friands de nouveauté !» «Il faut aussi des restaurateurs motivés, prêt à vendre des vins chinois plus chers que ceux qu’ils ont à la carte. Il faut un service adéquat», confirme le Suisse Michel Girod, un architecte, passionné par la Chine depuis douze ans. Il a lancé sa société en automne 2020.

Une exportation (encore ?) modeste

Malgré de nombreuses aides étatiques dans le Ningxia, pour du matériel et de l’équipement, «l’exportation ne représente pas grand’chose. Elle n’est pas une priorité, mais plutôt une question de marketing.» Lancée par la région viticole qui, aujourd’hui, a le vent en poupe en Chine, mais en concurrence avec le Shandong, une cuvée financièrement accessible sur le marché local, comme à l’export, Helan Hong, distribuée notamment dans des supermarchés en Allemagne, paraît connaître un frein. La région avait mis à disposition des viticulteurs une coopérative et associé des domaines privés, comme Xige, qui s’est retiré de ce projet de marque commune. Le cabernet sauvignon avait reçu un des 22 Grands Prix du dernier concours de la Route de la Soie, en septembre 2019, auquel j’avais participé (ci-dessous).

En Chine, le Covid a mis a mal la consommation, notamment du vin, rappelait Le Monde, le 13 décembre 2022. C’est valable à la fois pour les importations de vins, qui ont chuté de près de moitié, de 750 millions de litres en 2017 à 400 millions en 2021, et pour a production de vin indigène, qui a diminué de moitié, de 1,1 milliard de litres à 600 millions, selon les chiffres de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV). Corollaire, la consommation du vin aurait diminué dans le même laps de temps de 1,9 millard de litre à un milliard. Sur les sept premiers mois de 2022, la chute serait de 27% en volume et de 7% en valeur.

Un vent de nationalisme vitivinicole

Mais Christelle Chêne témoigne que «le Covid a ramené les touristes et les sommeliers chinois au Ningxia. A Shanghai, désormais, tout le monde veut du vin chinois. On se rend compte qu’ils ont leur personnalité et son intéressants.» Ainsi un chardonnay 2019 de Xige, certes au goût international, fermenté en barriques, d’un bon volume (14% d’alcool), à 30 euros, tiré entre 10’000 et 20’000 bouteilles. Où cette carmenère, appelée Cabernet Gernischt, 2018, du même domaine, issu de «vieilles vignes» de plus vingt ans d’âge, certes un peu herbacé et épicé, «qui rappelle des goûts de la médecine chinoise, un goût connu des consommateurs», à 80 euros, tiré lui à 100’000 bouteilles. Ce sont des exceptions: même dans le Ningxia, 70% du vignoble est planté en cabernet sauvignon, pour faire des vins dans le style bordelais — et trop tanniques pour accompagner la gastronomie chinoise!

Les 22 domaines et vins récompensés d’un grand prix, à Yinchuan, en 2019.

Pour mieux comprendre le phénomène contradictoire du vin en Chine, on ne manquera pas de lire un reportage du sociologue, enseignant à Marseille, Boris Pétric, qui reprend le titre du film qu’il avait consacré à feu l’œnologue Gérard Colin, «Château Pékin»*. Au fil d’entretiens, l’enquête rappelle dans un style allègre comment la France a réussi à pénétrer, depuis la place commerciale de Hong Kong, le marché chinois. L’auteur esquisse quelques pistes plus critiques en fin d’ouvrage : «L’expansion de la viticulture des nouveaux châteaux à la chinoise propose un modèle prétendument écologique, qui repose en fait sur une forme de domestication poussée de la nature, un prétexte pour siniser des territoires marginaux et contrôler des conduites sociales des citoyens chinois enfermés dans des parcs œnotouristiques. Cette forme d’appropriation de la culture viticole et vinicole est aux antipodes des imaginaires européens.»

Et, avant la réouverture de l’Empire du Milieu aux voyageurs, «le vin, produit de luxe et symbole de l’occidentalisation récente de la Chine, n’est pas à l’abri d’un éventuel rejet découlant d’un soudain nationalisme chinois.» Alors que le rapport actuel de la consommation en Chine serait de 3 bouteilles de vin étranger pour 1 bouteille de vin chinois, on ne peut pas exclure que, face au développement de nouveaux domaines (200 dans le Ningxia et une perspective de 100’000 hectares en 2035), les Chinois boivent d’abord chinois…

*«Château Pékin», Boris Pétric, 320 pages, édition «le bruit du monde», ISBN 978-2-493206-24-4).

 ©thomasvino.ch