La guerre des bulles aura bien lieu
Le petit monde romand du vin mousseux est en pleine… effervescence. Un seul acteur s’apprêtait à reprendre les activités d’élaboration de mousseux en méthode traditionnelle. Un concurrent vient de se déclarer. Etat du champ de bataille, ce printemps 2023.
Par Pierre Thomas
Ces trente dernières années, l’élaboration des vins mousseux en Suisse romande, pour de petits vignerons, se partageait entre les activités «à façon» de deux élaborateurs et metteurs en bouteille, le Vaudois Daniel Marendaz, à Mathod, et le Genevois Xavier Chevallay, à Cartigny.
Si le «vin de base» se fait chez le viticulteur, tout ou partie des opérations de refermentation en bouteille pour la prise de mousse, l’élevage sur latte, puis le dégorgement et la mise en bouteilles doivent être réalisées par un spécialiste On savait que le vigneron de Lavaux Maxime Dizerens et Marcel Wenger avaient repris les activités du Vaudois Marendaz. Mi-avril, Xavier Chevallay annonçait à ses clients remettre également ses activités au même duo d’acteurs, après 30 ans d’activité, début juillet, mais le Genevois restera l’interlocuteur de ses clients «au moins jusqu’à l’été 2024», l’équipe d’élaboration et les locaux de Cartigny seront conservés.
Pas de monopole, mais un duel annoncé !
On s’acheminait donc vers un monopole de la «champagnisation» (terme proscrit par la législation qui lui préfère «méthode traditionnelle» même quand elle est d’introduction récente..) en Suisse romande, hormis, bien sûr, chez les grands acteurs, comme Mauler, à Neuchâtel, ou les Caves du Tunnel, à Conthey (VS). C’était sans compter la riposte d’Oenologie à façon, à Perroy, un «tonnelier» actif depuis 1948, d’abord dans le canton de Vaud, puis dans toute la Suisse.
Une nouvelle équipe a repris l’entreprise récemment, avec le maître caviste Fabio Penta. La maison de Perroy (VD) a annoncé proposer dès maintenant de s’occuper des vins nécessaires à l’élaboration de mousseux «en méthode traditionnelle». A Perroy, un vaste espace (7’000 mètres carré d’entreposage et de locaux de manutention dont 1’000 mètres carrés de frigo) leur sera dédié. Des machines, dont des gyropalettes et une ligne de dégorgement, ont été commandées en Champagne et seront prêtes pour terminer les premiers mousseux, au printemps 2024, après un séjour sur lattes d’un an au moins…
Jusqu’ici, Oenologie à façon proposait d’ajouter du gaz carbonique au vin, selon la méthode dite de «carbonication». «Celle-ci n’a pas d’impact direct sur les propriétés gustatives, qui reposent sur la qualité du vin, tandis qu’en méthode traditionnelle, l’obtention de l’effervescence participe pleinement à son caractère organoleptique.»
Centaines de milliers de bouteilles en jeu
Quel est le marché des vins mousseux suisses ? Pour la première fois, l’Office fédéral de l’agriculture publie des chiffres sur les mousseux suisses, sans détailler leur mode d’élaboration (une troisième méthode est celle du prosecco, dite Charmat, dans de grandes cuves closes, des «autoclaves»). En 2022, 728.000 litres de vin suisse ont été transformés en mousseux. Il s’en est consommé 750’000 bouteilles (soit 558.000 litres). Par comparaison, la consommation de mousseux importés est passée de 27 millions de bouteilles en 2019 et 20 à plus de 31 millions de bouteilles, en 2021 et 2022. Sans égard pour le mode d’élaboration, l’Italie domine les importations, avec 14,5 millions de litres, soit le double de la France (5,5 millions de litres) et l’Espagne (2,2 millions de litres) réunies.
La Champagne a annoncé une progression de 3,9% de l’exportation en Suisse l’an passé, soit 6,3 millions de bouteilles, avec un chiffre d’affaires de 145,3 millions d’euros, en hausse de 15,7% d’une année à l’autre. La Suisse est le 8ème plus gros importateur de champagne, juste derrière la Belgique, en retrait de consommation de 1%.
Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 3 mai 2023.