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Posted on 18 mai 2023 in Vins européens

Istrie: le terroir du teran

Istrie: le terroir du teran

Après avoir évoqué la semaine passée la Malvazija istarska, voici le volet sur les vins rouges de cette péninsule au nord-ouest de la Croatie, touchant à la Slovénie. Elle a décidé de promouvoir, outre la malvoisie, le teran, un cépage rouge qui, lui aussi a un passé mouvementé…

Il a fallu, il y a quelques mois, l’arbitrage d’un tribunal européen pour trancher le conflit entre la Slovénie (800 ha plantés) et la Croatie (230 ha en Istrie) sur l’utilisation du nom du cépage sur l’étiquette. Car le voisin de l’ouest, la Slovénie, l’avait déposé de son côté, pour un vin tiré du cépage nommé localement refosk, alors qu’en principe, un nom de cépage n’est pas protégeable. Près de sept ans ont été nécessaire pour obtenir que la Croatie puisse utiliser le mot teran, à condition que figurent les mots Istrie croate (Hrvatska Istra, en croate) sur l’étiquette légale.

En Slovénie, explique Wine Grapes, le mot teran a déjà été évoqué en 1340, pour identifier un cépage blanc et rouge. Seul le rouge a traversé les siècles… et il a été souvent confondu avec le refosco. Par recherche ADN, le généticien suisse de la vigne José Vouillamoz a pu exclure qu’il puisse être le synonyme du refosco del peduncolo rosso, cultivé dans la région de Trieste. Toutefois, le cépage istrien est identique aux italiens cagnina d’Emilie Romagne et rabiosa nera de Brégance.

Le teran de Motovun fait son cinéma

Au XIXème siècle, le teran couvrait encore 80% du vignoble d’Istrie : aujourd’hui, il ne dépasse pas 10%… Encouragé par Vinistra*, qui regroupe 120 membres, soit la moitié des vignerons d’Istrie, dont les plus réputés, le teran a de nouveau le vent en poupe. Il est notamment cultivé dans les collines du centre de la péninsule, par exemple à Motovun (la colline en photo ci-dessus).

Cette année, lors de la compétition des vins locaux, organisée par Vinistra, ce sont deux vins de ce village médiéval, perché sur une colline, connu pour son festival du film, qui ont remporté le titre de meilleur teran d’Istrie 2023.

Le hasard — mais pas tout à fait ! — a voulu que les vignerons de Motovun nous reçoivent et nous fasse déguster des vins des deux domaines victorieux, trois semaines avant les résultats du concours… Le titre de meilleur teran jeune revient à Fakin, avec la version 2022. Cette entreprise dynamique tient un bar à vin dans le bourg de Motovun. J’ai dégusté un 2019 remarquable, d’un bon volume, aux tanins veloutés, avec une grande acidité, une cuvée sélection tirée à 5000 bouteilles de 3 hectares (sur les 17,5 ha de teran du domaine), élevé en tonneaux et en barriques. Le même domaine traite aussi ce cépage comme un Amarone, avec des raisins séchés sur claies. J’avais aussi bien apprécié leur malvoisie en vin macéré sur les peaux, dans le style orange, titrant 14,5% d’alcool, au nez de pêche, avec une tannicité intéressante…

Et chez l’autre vainqueur 2023, en catégorie teran âgé, Livio Benvenuti, avec le 2019, j’avais préféré une jeune malvoisie 2022, souple, à la finale saline, d’un beau volume, et une 2020, tirée de vieilles vignes (plantée en 1946), au nez envoûtant, de fleurs blanches, d’acacia, sur un magnifique volume en bouche. Le teran 2018 (tiré de 8 ha) paraissait un peu fermé, sur des notes de géranium, mais aussi métalliques, avec une astringence encore marquée, malgré l’élevage de deux ans en grands fûts. C’est le 2019, sauvé par un automne chaud et ensoleillé, qui a conquis les jurés du concours local…

J’ai présenté les deux vins victorieux lors d’une masterclass précédant le 30ème Concours Mondial de Bruxelles, à Porec. Eh bien, les deux vins ont partagé mon auditoire, les uns trouvant la version fraîche et fruitée par trop jeune, avec des tanins serrés, alors qu’a contrario, la version élevée en fût paraissait délicate au nez et un peu vieux style en bouche, avec des tanins secs.

Un cépage productif et rustique

A quoi ressemble, au fond, ce cépage rouge historien? Certains n’hésitent pas à le comparer au nebbiolo, avec une couleur pourpre toutefois plus soutenue. Jeune, il exhale des arômes de fruits rouges, notamment de griottes, mais aussi de cassis. Il est très acide et peut s’avérer austère et astringent si l’extraction est trop poussée…

Avec ses vignobles étagés en terrasses entre 100 et 400 m. d’altitude, Motovun confirme qu’elle est au cœur d’un terroir, au sous-sols blancs calcaires et parfois argileux, favorable au cépage qui nécessite une longue période de maturation, jusqu’à mi-octobre.

Longtemps, admettent les vignerons istriens, le teran n’était «pas un vin agréable», notamment quand chacun faisait son vin maison ou livrait ses kilos au gros rendement à la coopérative du village. Il a fallu attendre la fin des années 1990 pour qu’on reconsidère la manière de vinifier ce cépage revêche, qui peut produire beaucoup, si on ne le régule pas autour de 4 à 5000 kg/ha, et se vendange tard, avec les aléas de la météo, car s’il ne supporte pas la sècheresse, le teransoufre aussi de trop d’humidité, par exemple dans les fonds de vallée sujettes au brouillard…

Un cépage polymorphe

Ailleurs en Istrie, Gianfranco Kozlovic en produit aussi un sur son «cru» de Santa Lucia, avec ces notes typiques de griottes, cette acidité rapicolante et un rien métallique, due au cépage aux notes sauvages, que ne dompte pas entièrement les deux ans passés en barrique. Au domaine Medea, Marko Krstacic en propose une version juvénile (2021), bien balancée entre tanins et acidité, et même un rosé (2022), «pink flashy», au nez un peu fermentaire… Sur le promontoire le plus au sud de la péninsule, Medea a planté à Punta Greca du merlot : le 2020, élevé 18 mois en barrique, est remarquable, au nez épicé, au toucher de bouche enveloppant, avec des notes un peu terreuses en fin de bouche et surtout une remarquable fraîcheur. «La nuit, la mer apporte de la fraîcheur et l’acide malique du raisin reste élevé», explique le producteur.

Le merlot se marie bien avec le teran, comme chez Agro Laguna, une ancienne coopérative aux portes de Porec, qui vinifie près de 50% des vins de l’Istrie, en malvoisie comme en rouges. On y propose un teran mousseux en cuve close (méthode Charmat), «Perla rosé», style prosecco. Tandis que chez les frères Rossi, un trio de trentenaires, dont Luka est devenu récemment le président de Vinistra, le teran est à l’origine d’un brandy, à base de vin distillé, élevé patiemment durant dix dans des fûts de chêne du Limousin. Sans oublier le Teranino, un vin fortifié (à 18% d’alcool), au goût d’abricot et de canelle, enrichi d’une macération d’herbes… un peu à l’image du Barolo chinato.

Pierre Thomas

*https://vinistra.hr/en

(site en croate ou en anglais – les photos ont été fournies par Vinistra, qui a organisé ce voyage de presse) – Chronique du jeudi 18 mai publiée sur le blog les5duvin.