Pages Menu
Categories Menu

Posted on 22 décembre 2024 in Carte Postale

Carte postale du Cusio: quand le vin est passion de designer

Carte postale du Cusio: quand le vin est passion de designer

Le plus éminent «designer» des arts de la table, Alessi, vient de sortir une collection de verres à vins. Sous le nom d’Eugenia. Qu’est-ce qui se cache derrière ce prénom un peu vieillot ?

Pierre Thomas, Orta San Giulio

Il fut un jeune juriste converti, après son retour dans l’usine familiale, au «design», puis acclamé comme tel dans le monde entier. Pour Alberto Alessi, président, depuis 2009, de la société qui chapeaute l’entreprise, c’est donc un peu le bouchon de cristal sur la carafe. A l’image de la cerise sur le gâteau…

Pour dessiner ses verres, Alessi a fait appel à un grand nom du design, le maître japonais Naoto Fukasava. Dans la lignée de l’architecte Jean Nouvel pour son araignée presse-citron, de Richard Sapper pour la réinvention de la machine à expresso (9090) ou de l’architecte Alessandro Mendini, pour le tire-bouchon à deux bras, jupe et bouille d’«Anna G.».

Fukasava, né dans la préfecture de Yamanashi, connue pour son vin blanc, le koshu, s’est dit inspiré par la seule notion d’apprécier le breuvage. Il a atténué, par la forme, l’attaque des lèvres au récipient. Son verre à blanc est naturellement moins ample que celui à rouge ; une flûte à champagne a été maintenue, d’honnête ampleur, mais contre la tendance d’apprécier les bulles dans un verre à blanc; les gobelets et carafes à eau sont élégants. Quant au décanteur à vin, il fait directement allusion à la bouteille d’Eugenia.

Au bord du lac d’Orta

Car, venu le temps, croyait-il, de se retirer, Alberto Alessi, né en 1946, a choisi Pratolungo, sur les hauts de la rive est du petit lac d’Orta, à mi-chemin d’où il est né, Arona, et où se situe la fabrique familiale plus que centenaire, à Crusinallo, près d’Omegna, où son grand-père était tourneur… Au début du troisième millénaire, sur un plateau dont la pente douce regarde la si mystérieuse île de San Giulio, le designer a acquis une ancienne ferme, qu’il a rebaptisée Cascina Eugenia, comme elle s’est appelée jadis, en souvenir de la fille du propriétaire.

Le bâtiment à clocheton était en ruine : il a été reconstruit sur un projet de ses amis architectes Mendini. La sommité italienne de la viticulture, Attilio Scienza, a retrouvé dans les écrits de Pline l’Ancien une allusion à des vignes poussant sur les arbres au bord du lac d’Orta. Mais au siècle passé, entre le Piémont du Nord, à Borgomanero, et le val d’Ossola, aux portes de Domodossola, sur 60 kilomètres, il n’y avait là qu’une sorte de «no mans’land», avec quelques ceps de raisin americano. De bonnes fées se sont penchées sur les jeunes ceps tout juste plantés : Donato Lanati, l’éminence, entre autres, de Carole Bouquet sur l’île de Pantelleria, suivi de l’œnologue Monica Rossetti, née dans la Serra gaucha brésilienne mais habitant en Toscane, où sa belle-famille exploite le domaine de Petrognano.

Un bourgogne bien arrosé

Près de trois hectares de vigne produisent… six barriques par an de vin, sous haute surveillance : biodynamie (non certifiée), dans une région où il pleut deux fois plus qu’à Cully ou à Beaune, soins à la vigne à la main, même si les traitements se font au tracteur, pas de pompe dans le chais, où le maître de céans a lui-même dessiné les cuves de vinification en chêne et inox, barriques du tonnelier François Frères… Sur le prospectus, en tout petits caractères, signés d’Alberto et de son épouse Laura, figure «notre idée était de produire le meilleur bourgogne hors de la France». D’où le pinot noir et le chardonnay. Et, par la suite, le petit manseng pour un vin surmaturé.

C’est dans le nouveau verre, adapté à chaque couleur, que j’ai apprécié les vins : une «épreuve d’auteur» en rouge 2021, avec une grande finesse d’arômes du pinot noir, un chardonnay 2023 encore en élevage et un petit manseng 2015, le millésime proposé à la vente, d’une grande acidité, plus proche d’un demi-sec que d’un liquoreux. Ces vins, soit 2’000 bouteilles à l’année au total, de plusieurs cuvées, sont vendus entre 100 et 250 euros pièce, sur le site Internet du domaine, dans le magasin d’usine de Crusinallo et dans quelques œnothèques et restaurants étoilés. Une grappa et une cuvée de mousseux hors commerce complètent la production de cette cave-bijou.

Une bouteille redessinée

Des flacons, serrés tête-bêche sur le sol de la cave, qui contient près de cinq millésimes, soit 20’000 bouteilles, avant la mise en vente, étaient en partance pour l’Asie (Chine, Taiwan, Japon). On revient à la carafe : elle ressemble à s’y méprendre à la bouteille qu’Alberto Alessi avait dessinée lui-même en s’inspirant d’esquisses de Léonard de Vinci... guère éloignées du récipient qu’utilisaient les prêtres pour célébrer la messe à cette époque. Rien ne se perd, tout se récupère… Et il faut parfois se méfier du génie : le col de la bouteille a dû être «étroitisé» et adapté aux bouchons de liège aux normes calibrées. La carafe, elle, retrouve son ample goulot…

Verres (emballage de 4 pour 60 francs) sous : https://ch.alessi.com/it/collections/new-in

Paru sur le blog les5duvin, le 20 décembre 2024.

©thomasvino