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Posted on 11 janvier 2005 in Vins français

Bordeaux — Comment Jean Gautreau a bâti Sociando

Bordeaux — Comment Jean Gautreau a bâti Sociando

Le bourgeois qui refuse d'être cru
A 72 ans, Jean Gautreau est un seigneur du Bordelais. Son Château Sociando-Mallet dame le pion aux grands crus. Histoire d'un succès.
Par Pierre Thomas
Il y a comme un sourire ironique suspendu aux lèvres de Jean Gautreau, venu, la semaine passée, représenter son château, avec sa fille unique, Sylvie, au Beau-Rivage à Lausanne. C'est qu'il a réponse à tout, ce diable d'homme. Péremptoire, il déclare d'emblée: «Sociando-Mallet, contraitement aux rumeurs, n'est pas à vendre».
Il a fallu trente ans exactement à ce Médocain pure laine pour faire passer son château de l'anonymat d'un des deux mille domaines du Bordelais au firmanent. Au nez et à la barbe des grands crus. Car si Sociando est mentionné depuis 1633, le classement des grands crus de 1855 le laisse de côté. Pour Jean Gautreau, l'explication réside dans sa situation géographique, certes au bord de la Gironde, mais dans le Haut-Médoc, où ne figure aucun cru classé.
Un classement-monument
Aujourd'hui, pourtant, Jean Gautreau refuse l'actualisation du classement: «J'y suis opposé et j'ai même démissionné du syndicat des crus bourgeois qui réclame une telle refonte. Je considère ce classement comme un monument historique. Même obsolète, un monument reste un monument. A quoi bon recommencer?»
Bon prince, le propriétaire de Sociando-Mallet prend à son compte la fameuse définition de Mouton-Rothschild d'avant sa promotion au rang de premier cru (en 1973): «Classé ne suis, grand cru ne daigne, Sociando-Mallet suis». Pourtant, un Parker situe Sociando parmi les troisièmes crus et le Grand Jury Européen le classe parmi les meilleurs domaines du bordelais. «Egoïstement, je préfère être connu comme non-classé plutôt que d'être méconnu comme 3ème cru», explique, philosophe, Jean Gautreau.
Une renaissance miracle
La renaissance de ce domaine tient un peu du conte de fées. Fils d'agent d'assurances, Jean Gautreau fut d'abord joueur de tennis — junior, il a foulé la terre battue de Roland-Garros — puis militaire au Maroc avant d'entrer «par hasard» chez un courtier en vins, il y a cinquante ans. Fort de son expérience, il est devenu lui-même courtier, puis négociant. En pleine crise du bordeaux, en 1969, un client lui demande de lui trouver un domaine. Bien que né «à 10 km à vol d'oiseau de Sociando», Jean Gautreau ne sait rien de ce domaine, réduit à 5 hectares de vignes dominant la Gironde, et à quelques bâtiments en ruines. «A l'époque, le Médoc n'était pas à vendre, mais à donner… J'ai eu un coup de cœur pour le formidable paysage de la Gironde qui s'incurve juste là, à Sociando.»
Dès le millésime 1970, connu pour sa robustesse et sa longévité, le nouveau propriétaire découvre une «bonne surprise» qui l'incite à persévérer. Petit à petit, il rachète des parcelles, les replante: aujourd'hui, Sociando-Mallet occupe 60 hectares de vignes, dont 45 d'un seul tenant.
Une histoire de terroir
Quand on parle de la qualité du vin produit et qu'on cherche une explication, Jean Gautreau répond du tac au tac: «C'est le terroir! Je ne cherche qu'à exprimer le terroir à travers mon vin. La terre suffit… On peut faire un bon vin dans tous les terroirs avec du raisin parfaitement sain et de bonne qualité. Mais on ne peut faire de grands vins avec de la sève que sur des grands terroirs.» Fort de cette certitude, le patron-vigneron se contente d'une vinification classique. Certes, il s'est mis à la concentration par osmose inverse. Mais c'est pour suppléer aux saignées… Et il loge son vin en totalité dans des barriques neuves, parce que la matière, «un peu austère», mérite d'être ainsi assouplie par un séjour n'excédant pas douze mois — alors qu'il est de dix-huit mois le plus souvent.
Négociant, qui ne vend pas son vin, paradoxalement, Jean Gautreau tient mordicus à la structure bordelaise dont il est un pur produit: des courtiers, des négociants et des acheteurs-revendeurs. «C'est un énorme avantage! Un propriétaire doit pouvoir se concentrer sur le vin qu'il fait, sans se préoccuper de son écoulement. Sociando est distribué par 120 négociants négociants qui ont tous leur circuit et des siècles de contacts suivis.» Mais ce système n'a-t-il pas montré ses limites avec des 97 plutôt souples, vendus à des prix dignes des années de garde? Réponse sans ambage du propriétaire: «Ca n'est pas nous, c'est vous, les consommateurs qui vous êtes arrachés les 97! L'acheteur fait la hausse, le vendeur, la baisse. Echaudés par le 97, les étrangers ont moins acheté en primeurs les 98 et les prix ont donc baissé.» Une baisse légère… Les prix vont-ils, un jour, baisser encore? Le vieux renard n'esquive pas: «J'ai 50 ans de métier. Les prix, c'est comme le temps. Après la pluie, le soleil. Il y a toujours eu des hauts et des bas. Bordeaux, c'est un drapeau, un style de vins que tout le monde apprécie. Le monde ne se passera jamais de bordeaux. Il ne faut rien exagérer, mais c'est un fait.»
Les petites années réussies aussi
Alors, Sociando vaut-il sa réputation en 1997? Son propriétaire vante, comme les critiques, la capacité du domaine à réussir les petites années. Par rapport au 96, monolithique, fermé, puissant dans tous les registres, acidité comprise, le 97 glisse vers l'élégance, non dénuée de puissance, avec des tanins enrobés et des notes typées de café, tandis que le 95 voit son boisé très présent se fondre, sur une masse tannique imposante, garante d'une indiscutable longévité.
UTILE
Château Sociando-Mallet, chez Mathieu SA, ch. du Coteau 29 A, 1123 Aclens, tél. 021/869 96 76, 39 fr. le 97, 45 fr. les 96 et 95, La Demoiselle 97, deuxième vin de la propriété, 19 fr.

Article paru dans le quotidien 24 heures, Lausanne, en automne 1999