Pages Menu
Categories Menu

Posted on 15 janvier 2009 in Vins italiens

Trieste: quand le café et le Karst se mélangent

Trieste: quand le café et le Karst se mélangent

Intrigues sur fond de café à Trieste
La capitale du Frioul-Vénétie Giulia, Trieste, a fêté ses cafés historiques. Ambiance dans ce port, le plus gros importateur européen d’or en grains. Reportage.
Par Pierre Thomas, de retour de Trieste
Pliant sous la «bora», le vent froid des Balkans, qui vaut tous les mistral et bise du monde, la «Naples du Nord» entretient ses mythes. Pour la onzième édition des «vies des cafés», le Tommaseo (établi dès 1825) et le San Marco (ouvert en 1914), ont résonné, en ce début d’année, des causeries sur le grand écrivain français Stendhal. Louis-Philippe, sur le trône à Paris durant la «monarchie de juillet», l’avait dépêché à Trieste en automne 1830. Il n’y resta que jusqu’à fin mars 1831, où il mit le cap sur le Vatican. A Trieste, les Autrichiens lui avaient refusé l’autorisation d’exercer son mandat de consul…
Du café par conteneurs entiers
Littérature et politique se mêlent au destin tourmenté de ce qui fut la seule ouverture sur une mer de l’empire austro-hongrois. Le café n’y est pas seulement présent dans des lieux historiques — les Triestins en consomment deux fois plus que les Italiens ! —, mais aussi au port, où chaque année débarquent dix mille conteneurs, soit un million de sacs de 60 kilos, l’unité de mesure du café. Le groupe Illy, fondé par un militaire hongrois et dont la filiale suisse est Amici, à Cham, et des torréfacteurs plus modestes, comme Hausbrandt, y sont implantés, comme des banques spécialisées dans le commerce de ce qui fut jadis des «denrées coloniales».
Grandeur et décadence
Logés au rez d’immeubles évoquant Vienne ou Budapest, les cafés historiques ont subi les contre-coups de l’histoire de Trieste. Sur la place de l’Unité italienne, le café «dagli Specchi» (des miroirs), après sa énième rénovation, n’a plus grand-chose à voir avec le décor de 1839, pas plus que, juste derrière, entre le Théâtre Verdi et la Bourse, «al Tergesto» (au Triestin, 1863). Et la «Stella Polare» (l’étoile polaire), ouvert en 1867, paraît un bar comme un autre, avec son mobilier standardisé et sa télévision allumée en permanence.
Seuls les cafés Tommaseo, qui fut le siège des irrédentistes opposés à l’Autriche et favorable à un retour de Trieste à l’Italie (effectif finalement en 1954), et San Marco, à l’ambiance viennoise typique, repaire des intellectuels triestins, comme l’essayiste Claudio Magris («Microcosmes»), 70 ans en avril, ont gardé leur âme. Grandeur et décadence : les deux mots collent à Trieste, qui entretient avec nostalgie le souvenir de James Joyce (avant que l’auteur d’«Ulysse» s’en aille à Zurich), du romancier Italo Svevo ou du poète Umberto Saba, figures du début du 20ème siècle.
Une polémique en guise d’intrigue
Comme Barcelone a son Pepe Carvalho. sous la plume de feu Manuel Vasquez Montalban, et l’imaginaire sicilienne Vigàta, son Salvo Montalbano chez Andrea Camilleri, Proteo Laurenti habite les intrigues triestines de Veit Heinichen. L’écrivain fut libraire, journaliste et éditeur en Allemagne, avant de s’établir dans le port de l’Adriatique, il y a une vingtaine d’année.
Dans ses polars, il déplore la disparition des cafés authentiques… Peu avant Noël, il a été cloué au pilori de la presse locale. L’oiseau migrateur est accusé d’avoir sali son nid dans une interview accordée à une gazette touristique slovène. Peu lu à Trieste (mais grand succès en allemand, et publié en français au Seuil), il est l’objet de «la» polémique du début 2009. Car si le commissaire Laurenti aime bien manger, ça n’est pas seulement par mimétisme avec Carvalho ou Montalbano : Veit Heinichen est le partenaire d’Ami Scabar, la plus célèbre cuisinière de Trieste (www.scabar.it)
Perchée dans un quartier qu’on atteint par le bus 34, elle propose un inventif menu dégustation (à 60 euros), à base de fruits de mer et de poissons. Un régal, servi par son frère Giorgio, grand connaisseur des vins du Karst. Le restaurant n’a pas encore été boudé par la clientèle locale, confie le co-patron, pince-sans-rire. Ainsi va Trieste, toujours coincée entre littérature et aventure.

Eclairage
Des vins nourris de calcaire

Peu connus, les vins de la DOC (dénomination d’origine contrôlée) Carsto, issus de petits domaines du plateau calcaire gris de l’arrière-pays triestin, valent la découverte. Ainsi, ce blanc sec et ample qu’est la Vitovska 2006 d’Edi Kanté, capable de résister aux fruits de mer de la Trattoria Risorta, à Muggia, le port vénitien à l’est de Trieste. Quant à Giorgio Scabar, il nous a fait goûter un rouge, un Terrano carso 2006 de Zidarich, cépage de la même (grande) famille que le Refosco dal peduncolo rosso (tel ce Lajnanji 2004, vin de table, de Silvano Ferluga, de Trieste). Un vin de terroir, fruité, qui peut faire penser à un cornalin. Mais le meilleur, sous la dénomination Colli orientali del Friul (COF), reste un refosco Antico Broilo 2006, de Giovanni Battista, évoquant une jeune syrah en cuve, avec un poivré bien marqué. En version en fût, le refosco paraît moins expressif que le Pignolo 2004 du domaine Ronchi di Manzano, un remarquable rouge à la finale sur l’amande amère. Ces deux derniers vins ont été dégustés à la futée oenothèque Nanut, via Genova, à deux rues du Café Tommaseo. Beau choix de vins frioulans aussi chez Bischoff, deux blocs avant le Café San Marco.

Reportage paru dans Hôtel Revue du 15 janvier 2009.