Jura — Même le Vin Jaune évolue!
Symbole franc-comtois, le Vin Jaune tient sa fête le premier week-end de février dans les villages de Frontenay et Passenans. Les vignerons jurassiens font évoluer cette curiosité œnologique.
Par Pierre Thomas
Evolué, et même oxydé, le Vin Jaune, nimbé de son folklore (lire lci-dessous), l’est par nature. Il défie les palais modernes et les papilles font parfois de la résistance. Mettez le nez sur un verre de «jaune» et vous imaginez, en bouche, un vin liquoreux, riche et doux. Avalez une gorgée : ses puissants arômes de noix et de curry vous prennent par surprise, renforcés par l’acidité du vin sec. Chacun ne saurait l’apprécier? Qu’à cela ne tienne, il ne représente que 4% de la production annuelle des vins jurassiens, soit quelque 1'500 fûts de 228 litres, tapis dans une centaine de caves, du petit vigneron aux grands domaines ou aux coopératives.
Un défi au Jurassien Pasteur
Tous fond leur jaune dans leur coin… La recette de base paraît rudimentaire: cueillir les raisins du cépage savagnin à haute maturité, à mi-octobre. Puis laisser les levures agir dans un fût, jusqu’à la formation d’une couche supérieure, le voile. Ne pas y toucher durant six ans et trois mois. Le fût est «oublié», alors que l’œnologie moderne, qui doit tant au Jurassien Louis Pasteur, a horreur du vide : un contenant doit être complété par du vin, pour éviter l’oxygène, les bactéries et, hantise suprême, qu’il tourne au vinaigre…
Quoique séculaire, le processus est sous contrôle technique. «Par des ponctions avec une pipette stérile, je contrôle régulièrement le taux d’éthanal de mon Vin Jaune», explique Benoît Badoz. «Je veille à un niveau autour de 350 à 400 mg d’éthanal par litre. Je peux aussi doser la puissance du goût en fonction des clients…». Le vinificateur joue sur l’assemblage: les propriétés chimiques du vin varient d’un fût à l’autre.
Officiellement dégusté : une première
Pour le jeune vigneron de Poligny, le Vin Jaune idéal doit être «équilibré, élégant et frais». Comment cerner ces paramètres? Seule la dégustation le permet. Jusqu’au dernier millésime mis sur le marché (le 2001), aucun contrôle organoleptique ne sanctionnait le «produit fini». Dès le 2002, les Vins Jaunes AOC sont désormais dégustés par un collège de professionnels, et pas seulement lors du «clavelinage», où, le week-end de la Percée, un jury distingue les cuvées remarquables, comme dans tout concours. «Nous devons rendre plus accessible le Vin Jaune. Mais aussi éviter qu’il dévie vers un liquide dépourvu de goût ou, au contraire, surpuissant», commente Benoît Badoz.
Dans la foulée, les vignerons jurassiens veulent aussi mettre de l’ordre dans leurs chardonnay et savagnin, purs ou assemblés, mais ouillés (le contenant est complété régulièrement par du vin). Pour éviter de les confondre avec des côtes-du-jura, élevés trois ans dans des fûts sans ajout de vin, et qui développent le goût de «jaune». Certains de ces côtes-du-jura, moins chers que le Vin Jaune, le remplacent avantageusement en cuisine, où quelques gouttes donnent une touche particulière aux sauces crémées.
Succès de Tokyo à New York
Mais le Vin Jaune et ses dérivés ne sont pas bons que pour la cuisine: les Japonais s’en entichent. Et des vignerons jurassiens s’envoleront pour New York, Toronto et Montréal faire découvrir cette curiosité régionale, à fin avril. Benoît Badoz se souvient de son stage au prestigieux domaine Caymus, à Napa Valley : «Quand ils l’ont goûté, mes amis américains l’ont trouvé bon marché en regard de sa richesse gustative. Ils sont partis au labo avec le fond de la bouteille pour l’analyser…». Aux dernières nouvelles, le Vin Jaune, malgré l’intensification des contrôles, n’a pas livré tous ses secrets.
Perspective
Percée 2009: le programme
La 13ème Percée du Vin Jaune, soit la «mise en perce» du premier tonneau du dernier millésime (2002), a lieu dans les villages de Passenans et Frontenay, non loin de Poligny, les 31 janvier et 1er février 2009. Pour un verre à 11 euros (17 fr.), possibilité de déguster dix vins dans 50 caveaux regroupant 80 vignerons, dès samedi à midi. Rebelote dimanche, après la messe et la Percée proprement dite. Jazz, mets franc-comtois, concours de cuisine (sur le thème de la truite), vente aux enchères de vieux millésimes, complètent le programme (sur www.percee-du-vin-jaune.com).
Entre 30 et 50'000 personnes ont afflué aux dernières Percées. En voiture, de Lausanne, par Nyon-La Cure-Champagnole-Poligny (140 km) ou par Vallorbe-Bonnevaux (124 km), deux heures et demie de route. En TGV, il faut se lever tôt (départ de Lausanne à 7 h. 03, arrivée à Mouchard à 8 h. 36) et rentrer tard (Mouchard, 20 h. 22, Lausanne, 21 h. 52). Des navettes seront à disposition à la gare de Mouchard. En 2010, la Percée reviendra à Poligny, là où elle a débuté, il y a treize ans.
Paru dans 24 heures, le 23 janvier 2009