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Posted on 11 janvier 2005 in Vins suisses

Valais — Sierre capitale mondiale du pinot noir

Valais — Sierre capitale mondiale du pinot noir

Sierre entre baromètre et laboratoire
Le Mondial du Pinot noir, dont les résultats ont été proclamés à l'occasion de VINEA, est un des rares concours de dégustation de vins réservé à un seul cépage. L'expérience est d'autant plus passionnante.
Par Pierre Thomas
Le président de l'OIV (l'Office international de la vigne et du vin), le Français Georges Dutruc-Rosset joue-t-il les Cassandre, quand il nous prédit «la fin des vins de cépages»? Pas sûr! Car il argumente: «Les nouveaux consommateurs de vins sont de moins en moins connaisseurs. Ils réclament une qualité standard et ne supportent pas les hauts et les bas d'années bonnes et mauvaises. Ils préfèrent les assemblages, où les producteurs peuvent gommer l'effet des millésimes. Et si possible avec un goût de chêne prononcé, vanillé ou fumé, auquel ces nouveaux consommateurs s'habituent.» Ce constat, le patron de l'OIV l'a fait à Sierre, où il a pu apprécier quelques uns des 757 pinots noirs de 14 pays, confrontés au jury du Mondial du Pinot noir, cinquième du nom.
Un cépage passé de mode?
Quelques jours plus tard, à l'Hôtel Mirador, au Mont-Pélerin, l'héritier d'une belle maison de Bourgogne, Frédéric Drouhin, regrettait que seuls les vins très fortement extraits, où le raisin rend toute sa couleur et tous ses tanins, trouvent grâce aux yeux et aux palais de la majorité des critiques anglo-saxons. Au détriment de l'élégance, autant de la robe, d'un rubis clair, que des arômes, frais et fruités, d'un bon pinot noir. Cette critique transcende la politique bourguignonne qui veut que le terroir supplante le cépage: les grands bourgognes sont autant pénalisés que les vins plus anonymes.
Féminin? Vraiment?
Et c'est vrai que dans des millésimes délicats comme 2000 — une année chaude, mais une grosse production pour sacrifier au rite millénariste! — qu'en 2001 — année pluvieuse aux vins dilués, mais à fort degré d'alcool —, le pinot noir paie «cash» son tribut de versatilité. On a pu en juger à Sierre, où seuls 39 Vinéa d'or ont été décernés. Sur trois jours, par exemple, un des jurys — une table de sept dégustateurs, modérés par un secrétaire-président — n'a décerné, sur 120 vins dégustés, que deux médailles d'or. Et la hasard veut que ce soit aux nectars de deux Valaisannes, Madeleine Mabillard-Fuchs, de Venthône, et Marie-Thérèse Chappaz, de Fully! Il n'en faut pas plus pour confirmer l'image d'un vin «féminin». «On n'ose plus le dire aux Etats-Unis, sous peine d'attirer les flèches des féministes», confie Frédéric Drouhin. Dont la famille a acquis, dans l'Oregon, un domaine aujourd'hui planté sur 30 ha, travaillé à la bourguigonne, et dont s'occupe, en cave, la… soeur du directeur beaunois, Véronique.
La tentation bourguignonne
Partout, la tentation de se rapprocher du bourgogne est manifeste. Ainsi le Sud-Africain Jan Boland Coetzee, avec un surprenant cru du Domaine de Vriesenhof, à Stellenbosh, à la fois structuré, puissant, mais bien balancé par l'acidité. On ne peut guère blâmer les producteurs, qui visent là la quintessence de l'élégance. Et hors de ce modèle, trop souvent, les pinots noirs révèlent une matière mal dégrossie, brute de fût jusqu'à la carricature. On donne raison à ce diplômé de Changins, qui vient d'étudier, sur du chasselas et du pinot noir, les méthodes de concentration que sont l'osmose inverse et l'évaporation sous vide, avant de vendre ces appareils de haute technologie, toujours plus présents dans le vignoble suisse. Dans la dernière «Revue des anciens de Changins», Basile Aeberhard affirme qu'«analytiquement et gustativement, la concentration est très facile à remarquer». Par son intransigeance, un Concours Mondial devrait exercer sur le pinot noir la même autorité que l'Académie française sur la langue écrite. Un sacré défi! Et pas à l'abri des critiques…

Eclairage
Les Grisons en point de mire

Si le pinot noir est le cépage rouge le plus planté de Suisse (4500 ha), présent dans tout le vignoble suisse, particulièrement en Valais et en Pays de Vaud, les Grisons, sur leurs 420 ha (du pinot noir à 80%!), s'en sont faits les champions. Invités d'honneur, les cinquante vignerons grisons ont fait goûter leurs crus aux quelque 10'000 visiteurs de VINEA, le premier week-end de septembre.
Des dégustations de prestige ont prouvé que plusieurs vins allient puissance, matière mûre et alcool (notamment en 2001). Leur durée de vie paraît plus courte que prévu: une apogée gustative entre 5 et 8 ans. Même si Columelle, un siècle après Jésus-Christ, écrivait joliment, à propos d'un des plus vieux cépages identifiés, antérieur à l'arrivée des Romains en Gaule: «Son vin se conserve jusqu'à sa vétusté».
Et si vous faites un tour du côté de Fläsh, une des trois principales communes viticoles grisonnes, n'oubliez pas la fête, du 20 au 21 septembre, dans le fief de la présidente de l'interprofession, Elly Süsstrunk. Une femme, encore une!

Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue, Berne, de septembre 2002