Chili 2010 — Une viticulture en perpétuel renouveau
Le pays fête, en 2010, son bicentenaire
Chili : le renouveau permanent
Pierre Thomas, de retour de Santiago du Chili
Il se passe toujours quelque chose au Chili. On ne parle pas du tremblement de terre du 27 février 2010, un des plus violents jamais enregistrés sur la planète (plus de 8 sur l’échelle ouverte de Richter). Il a secoué violemment les régions viticoles du centre du Chili, où sont plantés 98% des vignes (115’000 hectares). Des cuves inox se sont effondrées sur leurs pieds fragiles, des pyramides de barriques ont roulé dans les caves, du vin s’est répandu dans les vignes, avec pour effet que l’alcool a asphyxié la plante. Au moment des vendanges, un huitième de la récolte 2010 aurait été perdue, soit 125 millions de litres de vin, dans un pays qui exporte plus des deux tiers de sa production (70%).
Mais les producteurs, souvent venus du monde industriel, savent réagir. Ils conduisent leurs domaines comme des entreprises et n’hésitent pas à faire des choix stratégiques. L’accent est mis, aujourd’hui, sur la découverte de nouveaux terroirs et sur la réhabilitation de cépages anciens — à l’image de la Carménère, carte de visite des vins rouges chiliens — et sur les méthodes culturales, comme le «dry farm», la viticulture sans irrigation. Et une nouvelle génération de jeunes managers arrive aux commandes.
Le Carignan contre le Païs
Le groupe de promotion du Carignan, fondé par le journaliste Eduardo Brethauer (à droite) au printemps 2010.
Le Carignan, cépage espagnol (Carinena) présent dans le Languedoc-Roussillon, mais aussi en Sardaigne, en Israël, en Californie et en Australie, fait son retour au premier plan. Il se prête particulièrement à la viticulture sans eau et sans traitements phytosanitaires, soit l’«organique» ou le «bio». Gillmore et Morande furent les premiers à le remettre au goût du jour, dès 1995. Ce printemps, le journaliste chilien Eduardo Brethauer a lancé son «Club du Carignan», qui comprend, outre les pionniers, des maisons aussi connues que Miguel Torres, Valdivieso, Undurraga ou Canepa, et une douzaine d’autres.
La majorité des 700 hectares recensés de Carignan sont situés dans la région de Maulé (plus de 500 ha). Il existe encore des vieux ceps, qui produisent naturellement peu de raisin (moins d’un kilo par cep). Le nouveau matériel végétal est sélectionné à partir de ces vieux ceps. Dans les années 1930, les Chiliens ont importé ce cépage pour remplacer la variété historique, amenée par les conquistadors espagnols, le Païs. Il en existe encore 15’000 ha (l’équivalent de tout le vignoble suisse !).
Aujourd’hui, dans la région de Maulé, les viticulteurs surgreffent sur des pieds de Païs centenaire (photo ci-dessous) le Carignan, comme chez O. Fournier, un domaine également présent dans le Priorat espagnol et à Mendoza, de l’autre côté des Andes, en Argentine.
Mais il y a aussi des tenants de la sauvegarde de cette vieille variété propre au Chili, où elle a muté au fil des siècles. La directrice de l’Institut de recherche agricole de la région de Maulé, Viviana Barahona, se bat depuis trois ans pour faire adopter une appellation d’origine contrôlée pour le Païs de sa région. «Il faut sauver le Païs, plutôt que de surgreffer du Carignan», dit-elle. L’un n’empêche pas l’autre : chez Miguel Torrès, à Curico, où Miguel Torrès junior, dirige l’entreprise chilienne fondée en 1979, on produit un vin effervescent à partir de Païs, tout en expérimentant le Carignan, qui entre à 66% dans un assemblage, complété par de la Syrah et du Merlot, pour l’assouplir. Un vin qui titre tout de même 14,5% d’alcool, une richesse rencontrée sur les autres exemples.
Jouer sur le climat pacifique
Dans la tendance des Sauvignons blancs de la Vallée de San Antonio et de Leyda — le Cipresses 2009 du domaine Casa Marin a décroché le titre de meilleur Sauvignon du monde au premier concours réservé à ce cépage à Bordeaux, au printemps 2010, www.cmsauvignon.com — les vignobles s’étendent désormais entre les premières collines de la côte Pacifique et les vallées plus chaudes de l’intérieur. Casa Silva exploite ainsi les vignes de sa Cool Coast, dans le prolongement de la vallée de Colchagua, plus au nord. Errazuriz, a planté du Sauvignon au bas de la vallée de l’Aconcagua (Aconcagua Costa).
Au Chili, la différence de climat s’exerce davantage d’Est en Ouest que du Nord au Sud. La vallée de Casablanca reste le bastion des vins blancs, depuis plus de vingt ans. Dans le domaine du géant Santa Carolina (24 millions de bouteilles), on cherche à améliorer les sauvignons : les variétés sélectionnées viennent de Californie et donnent des vins à haute acidité, dans le style qui a fait le succès des Sauvignons la Nouvelle-Zélande. Ici, les 60 hectares de la plaine, irrigués au goutte-à-goutte, sont progressivement complétés par 20 ha gagnés sur les fortes pentes des collines, sans irrigation. Sur ces «microterroirs», Santa Carolina plante du Pinot noir et de la Syrah, deux cépages à la mode au Chili. Le projet a obtenu le soutien du gouvernement, au titre du «développement durable».
Une viticulture en terrasse et en gobelet
Les vignes grimpent en terrasses, arrosées par un système qui rappelle celui des bisses valaisans, alimenté par un bassin recueillant l’eau de pluie, dans la haute vallée de l’Elqui, connue pour une spécialité chilienne, le «pisco», un alcool de raisin qui se boit en apéritif. En allant chercher haut dans ces «préalpes» andines, jusqu’à 1950 mètres d’altitude, De Martino espère trouver la minéralité qui manque aux vins du Nouveau Monde, même si le Chili n’a pas besoin de porte-greffe, puisqu’il a été épargné jusqu’ici par le phylloxéra.
Là-haut, les vents du Pacifique et ceux des Andes se croisent, occasionnant des chocs thermiques. Ce vignoble à 100 km de la ville de La Serena, «Alto de los Todos», est planté en «bio». Le vin de 2008 (70% Syrah, 30% Petit Verdot) offre une belle densité, de la fraîcheur, du gras, mais aussi des tanins fermes, et peu d’arômes poivrés, au contraire des Syrahs du Valais ou des Côtes-du-Rhône septentrionales. Les ceps sont plantés en gobelets ou tirés sur des fils qui épousent la pente, pour offrir un maximum d’ensoleillement. De Martino revient aussi à une plus haute densité de plantation dans ses vignobles : «On a perdu trente ans», constate le jeune œnologue Eduardo Jordan, bras droit du légendaire Marcelo Retamal, qu’un guide («Guia de Vinos de Chile 2010») a sacré meilleur «œnologue chilien du bicentenaire». Car le pays fête, cette année, ses 200 ans d’indépendance.
Les commentaires de dégustation des meilleurs vins chiliens dégustés durant cette tournée.
Eclairages
Chili – Suisse : des importations qui stagnent
Selon les informations des domaines eux-mêmes, De Martino, est importé en Suisse par Zweifel, www.zweifelweine.ch, Casa Silva, par Dettling & Marmot, www.dettling-marmot.ch, Santa Carolina, importé par Wine Universe, www.wine-universe.ch et Errazuriz, importé en Suisse par Moevenpick, www.moevenpick-wein.com.
Le Catador, un concours révélateur
www.catador.cl
©thomasvino.com, textes et photos, août/novembre 2010