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Posted on 14 janvier 2005 in Adresses, Restos

Lausanne (VD) — Le Jasmin

Lausanne (VD) — Le Jasmin

Le Jasmin, Lausanne-Blécherette (VD)
Tourner son bœuf sept fois
L'endroit ne paie pas de mine. Au niveau terrasse d'un immeuble au diable vauvert des Plaines-du-Loup, non loin du stade de la Pontaise, à Lausanne, une jeune Vietnamienne, Dung Nguyen, a ouvert il y a quelques mois «son» restaurant. Vieux rêve, si l'on en croit son parcours, où ne manque ni le souvenir des bombes marquant la prise — ou la libération — de Saïgon, devenue Hô Chi Minh-ville, le 1er avril 1975, ni celui des «boat people» qui ont fui le pays dans les ans qui suivirent: avec sa famille, Dung est arrivée en Suisse à 12 ans, en 1979.
La cuisine vietnamienne est réputée «moins élaborée et plus légère que la chinoise», selon le critique gastronomique français Robet J. Courtine. Après les poissons, les crustacés, le poulet et le porc, le boeuf n'y joue qu'un rôle marginal. Pourtant, au Jasmin, il constitue le solide plat de résistance, en menu décliné en sept plats («bo 7 mon»), pour la somme modique de 48 francs par personne. Il faut avoir l'estomac solide pour attaquer cette suite, qu'on imaginerait, en Asie, posée sur la table, ce qui permettrait de picorer dans les plats… On a même l'impression d'avoir mangé autant qu'un Vietnamien en sept… jours.
Tout commence par une ravigotante salade de boeuf au citron vert, cacahuète et coriandre fraîche («bo' tai chanh»). Suit un émincé sauté, l'exacte signification de «bo lùc lac». Puis un pâté de boeuf («cha dum»), sorte de «hamburger» aux oignons frits et au goût entêtant de «cinq-épices», où badiane, girofle, fenouil, cannelle et poivre se mélangent dans un condiment à la fois doux et fort. Deux plats — à ce stade, et la patronne, hilare, admet ne pas aller au-delà de trois… — paraissent un rien redondants, le boeuf enrobé aux feuilles «la lot» et des brochettes («bo lui») plats. C'est aussi que le client et appelé à travailler lui-même: dans une galette de riz préalablement trempée dans de l'eau tiède, il disposera de feuille de salade et d'herbes, d'échalotes au vinaigre, puis roulera le tout, genre rouleau de printemps, qu'il trempera dans le fameux «nuoc-mâm», «l'eau de poisson», caractéristique de la cuisine indochinoise. Suit encore la fondue au vinaigre, largement assaisonnée de gingembre, et le bouillon au boeuf haché, un plat en soi, où toutes les saveurs s'agglutinent au riz, support gustatif. Il faut bien trois heures pour faire le tour de ce menu, apprêté par un cuisinier vietnamien qui a déjà œuvré à Nyon. Les desserts, en fin de semaine, sont faits, eux, par une cuisinière venue de Berne…
La jeune patronne, charmante, entend bien développer sa carte, déjà bien garnie de saveurs inédites. Couronnées, pour terminer, par un thé de fleurs de lotus, plus subtile que ce jasmin dont se pare pourtant l'enseigne. Le décor, plafond boisé, parois oranges, lumière indirectes et amusant rideau de bambou, dépayse juste ce qu'il faut pour ne pas détourner l'intérêt de l'assiette.

La bonne adresse
Café-restaurant Le Jasmin
rte des Plaines-du-Loup 10
1018 Lausanne
tél. 021 646 32 75
Fermé samedi midi et dimanche

Le vin qui va avec…
Un invité vaudois

Que boire avec des mets épicés? Casse-tête chinois!Jacques-Louis Delpal, dans un épatant petit livre («Comment marier les mets et les vins», éditions Proxima, 1999), quoique par trop franco-français, conseille, avec la cuisine vietnamienne, les blancs d'acidité modérée, avec du sucre résiduel (essayez la petite arvine!), les rosés qui «facilitent aimablement les choses». Ou les rouges, qui «sont préférables souples, plutôt jeunes». Un vaudois peut donc s'inviter à la table indochinoise sans complexe. Tel est le cas du très classique Château d'Allaman rouge. Ce beau domaine de La Côte, d'une douzaine d'hectares, a été confié à un vigneron-régisseur, et la vinification est réalisée chez Schenk, à Rolle. Prototype des rouges vaudois il y a trente ans (un mémorable 1971 jugé 20 sur 20 par des dégustateurs du cru), ce «Château» tient toujours son rang: au fil des ans, au pinot noir et au gamay se sont adjoutés le gamaret et le garanoir pour l'étoffer. Les arômes, de fruits rouges terminés sur une légère amertume, sont frais et fruités, les tanins souples: pas besoin d'aller chercher plus loin!

Chronique de Pierre Thomas, dans Le Matin-Dimanche, février 2004