Christian Dugon, Bofflens (VD)
Quand la sagesse vient du Nord
L’homme des essais viticoles vaudois, c’est lui, Christian Dugon, 50 ans aujourd’hui même (21 janvier 2011). Et dans les Côtes-de-l’Orbe, terroir snobé par les Lémanocentristes.
Par Pierre Thomas
Vous ne trouverez pas Bofflens dans le Registre des vignes, parmi les 151 communes viticoles vaudoises, pas plus que Bottoflens sur la carte de géo. Pourtant Bofflens est bel et bien un village, juste au-dessus d’Orbe. Et c’est là que Christian Dugon, fils de paysan-postier, élève ses nectars, parmi les plus originaux de ce pays de Vaud polymorphe. Les amateurs avertis le savent bien… Alors quoi, on reparle du seul membre de l’aréopage d’Arte Vitis, la crème des vignerons vaudois, au nord de la Venoge ? Oui, car ses 2009 sont en tous points remarquables. Rien d’étonnant : les beaux millésimes sont magnifiés dans les régions climatiques «limites» pour la culture de la vigne.
Un pionnier des nouveaux cépages
En près de trente ans à son compte (millésime 2012), ce quinquagénaire tout frais (il fête son demi-siècle aujourd’hui, vendredi!) est devenu maître horloger de la vinification. Il est une étude des terroirs à lui seul, avec ses vignes plantées aux meilleures expositions sud-est des replis du Gros-de-Vaud et du pied du Jura. Et des cépages aussi, avec une vingtaine cultivés, dont les très prometteurs «nouveaux cépages» de Changins. Non pas les doral, gamaret, garanoir et mara, dont il est un précurseur, mais la dernière génération, le gamaret X merlot (X pour croisé avec) et le gamaret X humagne, qu’il vinifie pour la première fois en millésime 2010, en attendant le gamaret X bronner (IRAC 2091) et le gamaret X nebbiolo, qu’il va planter ce printemps. Des cépages prometteurs, résistants aux maladies de la vigne et riches en molécules anti-oxydantes. Le tout réparti sur 6 hectares, alors qu’il en eût jusqu’à près de huit récemment.
Les vins, ça s’élève
S’il est méticuleux à la vigne, Christian Dugon l’est tout autant en cave. «Je ne suis pas pour le microbullage», dit-il d’emblée. Non, pour lui, un vin, ça s’élève comme un cheval — métaphore qui fera plaisir à son ami, l’œnologue cantonal Denis Jotterand — et ses 70 barriques sont logées dans une ancienne écurie. Prenez les pinots noirs 2009. Le premier, cueilli à belle maturité (100 – 110° Oechslé) s’est fait en cuve rotative prisée en Valais comme à Neuchâtel, qui le rend facile d’abord, expressif (cerises rouges et noires), dynamique, grâce à une acidité fraîche. Puis la version barrique. Elle a connu la cuve tronconique, comme dans les domaines les plus huppés, puis onze mois de barriques de chêne, de chauffe moyenne, neuves et usagées : un vin «bien élevé», très bourguignon de style, qui s’affinera avec le temps. Enfin, un «pinot savagnin», d’une ancienne variété locale (celle du Servagnin morgien), élevé en tonneaux de 500 litres, à la trame serrée, avec des notes de tabac et de kirsch. Trois pinots, trois vinifications, trois styles : on se régale !
Tout est bon…
Ici, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Rapicolant rosé, pétillant de fraîcheur (gamay, pinot et garanoir). Rutilant gamay de Mathod, long, épicé, tannique, tendu. A moins qu’on préfère le gamay d’Arcenant, autre ancienne variété, du Beaujolais, élevé en barriques de plusieurs vins. Et qui veut percevoir la différence entre le précoce garanoir et le tardif gamaret n’a qu’à goûter les deux signés Dugon : le premier suave, aux arômes de confiture de mûres, le second avec des notes d’herbes sèches, de créosote, de cannelle. Puis les assemblages rouges, qui varient chaque année. Et les blancs : un chardonnay bâti pour aller très loin dans le temps, un gewurztraminer, bombe aromatique en 2009 — sec et richissime —, un pinot gris à la teinte à peine voilée, gras et qui «pinote». Et ce chasselas de Bonvillars, Rouges Terres, rond et puissant, au point que l’éleveur l’a mis dans une barrique (Symphonie 2009), au boisé délicatement maîtrisé. Du grand art, on vous le redit. Et à petit prix.
Quoi?
Un domaine de 6 hectares, réparti en entre Corcelles-près-Chavornay (3 ha), Mathod et Agiez, en Côtes-de-l’Orbe et moins d’un hectare à Bonvillars et Champagne.
Comment?
Près de 45’000 bouteilles. Deux «portes ouvertes», à la fin du printemps (juin) et au début de l’hiver (novembre). Ouvert le samedi matin de 10 h à 12 h.
Combien?
Une vingtaine de vins, blancs (20% de la production), rosé et rouges, purs cépages ou assemblages, en cuve ou en barriques, de 9 fr. (chasselas de Bonvillars) à 20 fr. (assemblages rouges Chorus — dunkelfelder, mara, cabernet dorsa — et Adagio — interspécifiques, dont le cabernet Jura).
Où?
Christian Dugon, La Grande Ouche, 1353 Bofflens, tél. 024 441 35 01; www.arte-vitis.ch
Le bar à vins Midi 20, à Lausanne, a plusieurs vins du domaine.
Les 3 coups de cœur de notre expert
Doral 2009, 16 fr. Dans l’étude des terroirs vaudois, volet sols-cépages présenté actuellement aux vignerons (
24 Heures du 14 janvier 2011), le doral (croisement de chasselas X chardonnay) a été préféré au viognier. Brillante démonstration : nez de pêche de vigne (rappelant justement le viognier) et de grapefruit rose, puissant, gras, avec un «chouia» de sucre charmeur (3,5 g), (1’500 bouteilles).
Arpège 2009, 16 fr.
L’assemblage phare du domaine. Une base de 60% de gamaret, puis cabernet sauvignon, dunkelfelder, et des cépages interspécifiques développés par le Jurassien Valentin Blattner. Elevé en barriques. Nez de fruits confits, de pruneaux, de café ; attaque fraîche, jolie complexité, et belle longueur en bouche (8’000 bouteilles).
Opus 41, 2009, 18 fr.
Grâce aux essais opiniâtres de Dugon, le C 41 a été officialisé sous le nom de Mara. C’est le petit frère des jumeaux gamaret et garanoir, tous fils du gamay X reichensteiner. Plus de fruits au nez que le gamaret ; meilleure tenue en bouche que le garanoir ; un cépage qui a sa personnalité, avec de la puissance et de l’élégance ; rappelle la syrah (2’500 bouteilles).
Chronique mensuelle parue le 21 janvier 2011 dans le quotidien 24 heures, Lausanne. Version en PDF.