Un nouvel esprit souffle sur le Priorat
Dans l’arrière-pays catalan, au sud de Barcelone, au pied de l’imposante cordillière de Montsant, le Priorat connaît une nouvelle mue, avec des vins plus abordables.
Pierre Thomas (textes et photos)
Moins de 2’000 hectares — à peine la moitié du vignoble valaisan — et 5 millions de kilos de raisin (un kilo par cep) pour des vins vendus 100 francs le litre. L’équation, posée au début des années 1980, ne pouvait tenir. Vingt-cinq ans après sa dernière résurrection, le Priorat tente de devenir plus raisonnable. La plupart des caves proposent un vin d’entrée de gamme. Depuis l’an passé, le «conseil régulateur» a légalisé le vin de village («vi de la vila»), à condition que les raisins proviennent à 100% de ce lieu, et que le grenache et le carignan dominent.
Les Barbier et les Pérez, de père en fils et fille
Un Barbier peut en cacher un autre : René junior, 34 ans, œnologue, salue l’arrivée de son frère Christian, 19 ans, formé en viticulture : «Dans un jeune vin, on sent le travail en cave ; après 10 ou 15 ans, c’est la terre qui parle !» Quand on sait que les meilleurs Priorat sont bâtis pour durer 20 ou 30 ans, on mesure le potentiel de plaisir qui devrait s’exprimer à l’avenir. Mais on manque de recul : le premier Clos Mogador est né en 1989.
Car tout a recommencé, ici, avec un seul vin, créé par l’œnologue Josep Lluis Pérez, et réparti sous cinq étiquettes (les Clos Martinet, Mogador, Dofi, Erasmus et de l’Obac). Les Perez sont aujourd’hui une dynastie d’œnologues. Si le père, septuagénaire, prend de la distance, sa fille Sarah, née à Genève, juste avant le retour en Espagne, est une icône de l’œnologie ibère. Elle a épousé René Barbier junior (photo ci-dessous).
La fièvre des microcuvées
Entre puissance et élégance
Eviter la surmaturité pour garantir la fraîcheur
Les premiers raisins issus de vignes plantées il y a sept ans sur échalas de bois, comme dans la Côte-Rôtie, seront récoltés cet automne. Mais deux vins ont déjà été élaborés à partir de vieilles vignes. Pour Sergi Ferrer-Salat, fortune faite dans l’industrie pharmaceutique, «il faut éviter la surmaturité des raisins. L’élégance et la fraîcheur sont la meilleure forme d’expression du terroir du Priorat.» Et le 2010 s’annonce le meilleur millésime depuis 2001 et 2004, comme en témoignent les lèvres trempées dans un échantillon de L’Ermita, religieusement présenté par Alvaro Palacios : nectar divin. A 500 euros le flacon!
La sélection de Pierre Thomas
*Le meilleur rapport qualité-prix: Noster Inicial 2007, la première étiquette (40’000 bouteilles) d’un domaine propriété d’un avocat genevois, La Perla du Priorat, au sud ; une cuvée à 12 francs (chez Aligro).
*Le plus classique: Clos Mogador 2008, des arômes typés d’un assemblage du Priorat, reflétant la diversité des millésimes. (Le 2008 à 79 fr. chez www.alfavin.ch, Echandens (VD)
*Les plus puristes: Cims de Porrera 2007 (DIVO, 77 fr. le 2006), Dits del Terra 2008 (Terroir al Limit) (2006, 74,30, www.cavesa.ch, Gland), Trio Infernal 2006 (www.reichmuth.ch, 112 fr.) et Seleccio especial (Ferrer Bobet) (www.weiss-getraenke.ch, Cham, 67 fr. le 2006, et 83,90 le 2007) ; ces quatre domaines rivalisent dans l’expression du carignan pur (ci-dessous, cesp de carignan centenaire chez Ferrer et Bobet), le cépage qui se plaît autour de Porrera, à l’inverse du grenache, meilleur à Grattalops.
*L’émergent: Terram 2007, produit par un Lausannois, Fredi Torres, ex-DJ au Mad’ et au D’ Club, reconverti dans le vin après Changins. Troisième millésime, moins tannique et rustique que le 2005. (www.boiron.ch, Lausanne, et sur www.casadelvino.ch, le 2006, 49 fr.)
*Le plus cabernet sauvignon: Abat Domenech 2007 ; un domaine d’un seul tenant, Cesca Vicent, où la cuvée de haut de gamme est à dominante cabernet sauvignon (60%), bien perceptible en bouche sur 2007. (2005, plus fondu, chez www.pamisa.ch, Grolley, 59,10 fr.)
*Le plus élégant: Idus de Vall Llach 2008 ; le domaine du chanteur catalan emblématique Lluis Llach, exilé à Paris dans les dernières années du franquisme, est aussi celui du président du syndicat des producteurs, Salustia Alvarèz Vidal. Nez floral, sur des arômes très fruités et belle finesse, grâce à 20% de merlot. (2006 : 55,20 fr., www.cavesa.ch, Gland)
*Le plus international: Perpetual 2007; la grande maison Torres, présente en Calalogne, mais aussi dans le reste de l’Espagne, au Chili et en Californie, dispose d’un grand domaine (70 ha) récemment replanté. Excellent vin à dominante carignan, bien élevé en fûts neufs. (Perpetual Salmos 2008, www.bindella.ch, 45 fr.)
*Le meilleur blanc: Coma Alta 2009, Mas d’En Gil ; la jeune productrice Marta Rovira, au sud du Priorat, élabore un blanc à la fois traditionnel (70% de grenache blanc) et moderne (30% de viognier, toléré depuis trois ans seulement dans le Priorat, où le blanc ne représente que 5% de la production totale). (www.cappelletti.ch, Berne, 43.90 fr.)
*La future vedette: Ferrer Bobet 2008 ; en attendant l’assemblage des jeunes vignes (en 2011), une cuvée issue de vieilles vignes, minérale, élégante et d’une belle fraîcheur. (www.weiss-getraenke.ch, Cham (ZG), 42 fr. le 2006)
Autres informations (pas toujours à jour) sur www.winesfromspain.ch.Reportage paru dans le quotidien fribourgeois La Liberté du 15 juin 2011. Téléchargez le PDF article Priorat paru dans La Liberté