Sonceboz (BE) — Hôtel du Cerf
Chez les dignes «fils de»
Il suffisait d’un stage-éclair chez Frédy Girardet pour qu’un jeune cuisinier s’arroge une filiation, au point d’en énerver le «maître de Crissier». Rangé des ustensiles, le grand Vaudois n’a plus à craindre cette supposée descendance, mais à se féliciter que certains perpétuent son art. Jean-Marc Soldati et Christian Albrecht ont passé cinq ans à Crissier. Ils n’usurpent donc pas leurs qualités de mainteneurs. Depuis presque cinq ans, ils sont pris en mains les destinées d’une magnifique maison. Passé la porte, le décor cossu surprend. Et pour cause : une rénovation lourde a marié le carrelage d’un couvent bourguignon, des cheminées monumentales d’un château, et du bois brut de fermes de l’Emmental pour un placage curieux, mais au charme indéniable, qui culmine au faîte dans une «salle des chevaliers».
Sur réservation seulement
Ici, le gastronome doit montrer patte blanche. L’enfant du village, Jean-Marc Soldati, qui s’était essayé à la même formule au carnotzet du Fédéral familial, a repris ses menus gastronomiques sur réservation. C'est-à-dire que tous les convives «risquent» de manger la même chose. Une excellente initiative pour garantir la qualité des produits, vertu cardinale de tout élève marqué au fer F. G.
L’autre dimanche à midi, le menu à 130 francs égrenait, en guise d’amuse-bouche, une lotte sauvage au safran et à l’ail sauvage (ne parlez pas d’ours et de sangliers dans ces parages !). Ensuite, un risotto carnaroli aux cuisses de grenouille vivement poêlées, parfumées au jus serré de persil. Puis, venu tout droit du Léman, un pavé d’omble fondant, cuit à la vapeur, servi avec un beurre émulsionné à l’aneth. Un jus court aux aromates mettait en valeur l’agneau de lait des Franches-Montagnes, servi avec épinards et petits légumes. Pour 20 francs de rab’, ce «menu du jour» ajoutait un petit chef-d’oeuvre: une charlotte d'asperges blanches au homard, à la cuisson parfaite, aux textures juxtaposées et aux goûts d’une céleste harmonie. Une fine tartelette à la rhubarbe rendait un ultime hommage au «cuisinier du siècle», grand réhabilitateur de cette barbare racine.
Finir sur des oeufs
Un enjoué maître d’hôtel bisontin est d’excellent conseil quant aux vins — carte remarquable ! — et aux fromages, dont plusieurs viennent de l’Erguel. Les promeneurs du dimanche ne manqueront pas la «petite carte», servie dans le même cadre, avec le jambon à l’os et roesti (21 francs) ou la tranche de veau à la crème (34 fr.). A moins qu'une croûte au fromage ou une omelette suffisent. Voire des oeufs au plat à 2 francs (si, si, deux francs!) pièce. La demi-douzaine à vos risques et périls…
La bonne adresse
Hôtel du Cerf
Sonceboz
Tél. 032 489 10 12
Fermé mardi soir et mercredi ;
gastronomique le soir et le dimanche à midi
Le vin qui va avec…
Autoportrait pourpre
«Ce vin, c’est l’image de ce que je suis», dit Jean-Daniel Giauque de son rouge d’assemblage, «Le Sauvageon». Des artistes comme lui, il n’y en a pas trente-six en Suisse. A la Neuveville, il cultive cinq hectares, dont une moitié en cépages rouges. Au pluriel de rigueur… Car dans cette cuvée de prestige, trois barriques par et pour un an, il n’y a pas moins d’une quinzaine de sortes de raisins. Pêle-mêle, du cabernet-sauvignon, de la mondeuse, du pinot noir et de la syrah — qui marquaient le 2000, au nez explosif, alliant fruits rouges et notes de cuir — puis du gamay de vignes de 50 ans, du plant-robert (importé de Lavaux), et, «ad libitum» selon les années, du saint-laurent, du zweigelt, du dornfelder, du limberger ou du portugiser, sans oublier du diolinoir, du cabernet franc ou du merlot. Le tout longuement cuvé ensemble. Le 2000 était un des plus grands depuis que ce jeune vigneron (37 ans aujourd’hui) a repris le domaine, il y a quinze ans. Avec le 1993 et le 2003, année trop sèche pour la syrah sur les bords du lac de Bienne ! Le zweigelt, poivré et racé, prendra le relais.
Chronique de Pierre Thomas, parue dans Le Matin-Dimanche, fin mai 2004