Abbaye de Salaz à Ollon:
un merlot vice-champion suisse
Vice-champion suisse du merlot! Voilà le titre obtenu par ce domaine familial et original du Chablais, repris par la nouvelle génération, au Grand Prix du Vin Suisse.
Paré de ses couleurs automnales, le raide coteau d’Antagnes, avec, en toile de fond, les Dents du Midi saupoudrées de neige fraîche, ne bénéficie pas du miroir du Léman. Mais il reste un des plus beaux paysages viticoles vaudois.
A son pied, le solide bâtiment de l’Abbaye de Salaz. La propriété, de 60 hectares, s’appelle ainsi parce qu’elle dépendait de l’abbaye de Saint-Maurice. Il y a donc mille ans qu’on y travaille la terre… La vigne y est-elle implantée dès l’origine ? Pas sûr. Mais depuis quatre siècles, sans doute. Sécularisées dès 1851, ces terres ont été acquises, un siècle plus tard, par un paysan bernois, Max Zbinden. Ses deux filles ont chacune épousé un Alémanique venu travailler ici. Et chaque couple a eu deux enfants. «Tous sont revenus sur le domaine», se réjouit Bernard Huber, 34 ans. A huit, les deux générations des familles Huber et Kropf font aujourd’hui fonctionner l’Abbaye de Salaz en autarcie. Le grand domaine repose sur plusieurs piliers: les céréales (50 ha), un troupeau de 130 taureaux produisant de la viande, une activité de table d’hôte et 4 hectares de vignes.
Retour aux sources
Après avoir fait le gymnase et bourlingué aux Etats-Unis, puis en Nouvelle-Zélande et à Bordeaux, Bernard Huber est revenu en 2005 pour s’occuper des vignes et de la cave. Ce printemps, il a été rejoint pas sa sœur, Jeanine, 31 ans. Tous deux ont accompli leur «cursus» dans la même volée d’ingénieurs-œnologues à Changins. C’est dire que le secteur viticole est entre de bonnes mains… Et Jeanine explique sans peine que «le coteau d’Antagnes, à part un coin où affleure le rocher de fliesch, est constitué de moraines locales de la Gryonne.» Et pour cause : c’est elle qui était en charge de l’étude des terroirs viticoles du Valais, entre 2003 et 2008.
Mais le Chablais n’est pas encore le Valais. «Notre climat est moins continental que celui du Valais central. On a encore l’influence du lac Léman, mais pas le stratus. Et le foehn, très présent à Sierre, passe par-dessus les montagnes pour s’engouffrer ici», derrière le Grand Muveran, détaille la jeune scientifique. Qui aujourd’hui s’occupe d’abord de la table d’hôte, où tout est fait maison. La cuisine, mais aussi le pain ou une moelleuse fougasse. Ce secteur d’«œnotourisme» permet d’écouler une grande partie des vins du domaine et fait partie de «Chablais gourmands» – avec S, parce que l’association rassemble de bonnes adresses des régions vaudoise, valaisanne et française (www.chablais-gourmands.com).
L’exemple de Saint-Emilion
Même le terroir, peut-on dire, est «maison». Les 4 ha d’un seul tenant ont été réaménagés, la terre remuée, pour être travaillée au tracteur. La vigne pousse sur fil, en taille mi-haute, sur des banquettes, et sur quelques terrasses soutenues par des murs en pierres sèches. Franz Huber, le père, au début des années 90, a planté une parcelle à l’essai. Merlot, syrah, mondeuse, cabernets sauvignon et franc et diolinoir, en rouge, complètent, au fur et à mesure, le gamay et le pinot noir. Et en blanc, pinot gris et chardonnay viennent en appoint du chasselas et du sylvaner.
Devant ses vins, qui affichent tous une grande franchise de cépage, Bernard Huber constate : «J’ai une belle marge de manœuvre. Je ne suis qu’au début.» Il avoue un faible pour ce merlot, première médaille d’or du domaine, qui en avait décroché plusieurs d’argent. Le cépage lui rappelle ce Château des Francs (40 ha), où il a travaillé sous la conduite de l’œnologue et copropriétaire Hubert de Bouärd (Angélus, premier grand cru de Saint-Emilion). «Si on a replanté du merlot, jusqu’à un demi-hectare, c’est parce qu’il est malléable. On peut le vinifier seul, en cuve ou en fûts. Et, comme à Bordeaux, on peut lui ajouter un petit quelque chose, comme pour épicer un mets: du diolinoir ou du cabernet.» Avec 6% de cabernet franc, la Réserve des Moines 2009 a tenu son rôle : seul un merlot, du domaine de Moncucchetto, a fait mieux au Grand Prix du Vin Suisse. Le champion a été vinifié par Cristina Monico, une œnologue que Jeanine Huber connaît bien : elle était en charge de l’étude des terroirs du Tessin.
Quoi?
4 ha à Ollon, d’un seul tenant sur le coteau d’Antagnes.
Comment?
Autour de 30’000 litres de vin, vinifié sur place. Un tiers est vendu en vrac, le reste mis en bouteille.
Combien?
12 vins, du chasselas Ollon Grand Cru (12.50 fr) à l’étiquette Le Sacristain, «le meilleur possible du millésime» — Bernard Huber n’a fait que le 2007, un solide assemblage de merlot, de diolinoir et de cabernet sauvignon — en passant par un «sylvaner doux» (passerillé), une barrique en 2010 (19.50 fr.).
Où?
Abbaye de Salaz, à mi-chemin d’Ollon et de Bex, www.abbaye-de-salaz.ch
3 coups de cœur
Avec 1,5 hectare, le chasselas reste le cépage le plus important du domaine. Nez frais, léger carbonique, arômes de fruits exotiques, bonne acidité, nerveux, avec une pointe de minéralité. Parfait à l’apéritif (8’000 bout.).Merlot 2010, 15 fr.
La matière de base de la Réserve, mais en cuve, avec une part en barriques usagées. Au nez, légère note de lierre, typique du cépage ; attaque fraîche, arômes de cacao et de café ; structure moyenne ; finale sur le graphite ; un bon exemple de merlot «variétal» (1’500 bout.).Réserve des Moines 2009, 19 fr.
On retrouve le café au nez ; attaque ronde, belle densité ; milieu de bouche élégant, avec un léger boisé (barriques neuves et de 2ème passage) qui le patine, sans rien enlever à sa fraîcheur. Quasi épuisé… en attendant un 2010 moins riche, à l’image du millésime (1’500 bout.).
Paru dans 24 Heures du vendredi 28 octobre 2011. En version PDF ici: salaz