Michel Rolland règle ses comptes
Cloué au pilori, par le réalisateur Jonathan Nossiter, en trois séquences express du film Mondovino (2004), l’«œnologue-volant» bordelais Michel Rolland règle ses comptes par écrit, sept ans plus tard, avec la complicité d’une journaliste de Sud-Ouest et du Figaro, Isabelle Bunisset. Il emprunte même son titre, «Le gourou du vin», au surnom habituellement donné à son ami américain, Bob Parker.
Hervé Laviale, producteur bordelais, à g., en compagnie de Michel Rolland, aux primeurs 2012 (piqué sur Facebook!).
En moins de 200 pages, l’œnologue, «né paysan à Pomerol», qui a su faire son trou à Bordeaux avant de s’envoler dans le vaste monde du vin, revient sur 40 ans de carrière. L’ouvrage a le mérite de rappeler deux dates clés: d’abord, que Michel Rolland aura 65 ans le jour de Noël 2012, ensuite que le critique Robert Parker est sorti de l’ombre avec le millésime 1982, il y a donc trente ans. Et si le dégustateur américain a fait le vide dans la critique des vins, «s’il n’y a pas eu jusque-là de contre-pouvoir, c’est tout simplement parce que personne n’a tenu le choc en face de lui.» L’ouvrage est émaillé de citations sentencieuses, comme celle de Chateaubriand, en exergue, «Le ciel ne nous donne des vertus ou des talents qu’en y attachant des infirmités ; expiations offertes au vice, à la sottise et à l’envie.» Belle illustration de la démarche… et du piège, pourtant identifé, dans lequel tombe le duo d’auteurs: «Pour combattre les calomnies et les imbécillitsé, nous répondons, nous nous révoltons et nous finissons par jouer le même jeu.» Les journalistes en prennent pour leur grade, avec une liste, franco-française, des épargnés de la vindicte rollandienne.
L’auteur distille ses propres aphorismes : «Seul Bordeaux peut se targuer de vendre cher le médiocre et de ne pas vendre le bon». A propos des jugements basés sur les propriétés supposées des rives gauche et droite de la Garonne : «Quinze ans après, personne n’est capable d’identifier, dans la bons crus, le millésime, et souvent la même rive!». «La dégustation ne sera jamais une science exacte. Tant de variables interviennent. Il est malaisé de décrypter ce que l’on sent et de retrouver ce que l’on a goûté.» «Dans le métier, on le sait, les appellations n’ont jamais fait les bons vins.» Et le système des dégustations «primeurs» (on goûte le 2011 en 2012, alors qu’il restera dans les chais jusqu’en 2013 au moins) est devenu «un show international qui a perdu son âme».
Le praticien revient sur l’histoire récente: «Si on a tout découvert entre 1970 et 1990, c’est tout simplement parce qu’auparavant, on ne savait rien ou presque. (…) De curative et palliative, l’œnologie deviendrait préventive et qualitative». S’il fait le distinguo entre les bons vins, faits des hommes, et les grands vins, fruits du terroir, l’œnologue, accusé de faire le même style de vin aux quatre coins du monde, insiste: «… ce qui parle avant tout, c’est la puissance d’un terroir. Je m’évertue à adapter les techniques de vinification à chaque vignoble, à personnaliser les produits en fonction des cépages. C’est pourquoi le vin produit n’est évidemment pas le même dans tous les pays.»
Avec un peu plus d’application, l’œnologue-vedette aurait pu s’élever au-dessus de cette mêlée et livrer des appréciations plus systématiques, par exemple sur les millésimes ou les mœurs vitivinicoles du milieu bordelais, «microcosme figé dans ses habitudes poussives». On aurait apprécié un peu plus de concret sur la centaine de «clients» dispersés dans le monde, égrénés dans la dernière partie. Rapidement lu, le témoignage ne rend, au fond, pas entièrement justice au vinificateur qui a, sans conteste, marqué ces quarantes dernières années. Et paraît plus sympathique en «live» !
Michel Rolland, «Le gourou du vin», avec Isabelle Bunisset, Glénat, 200 pages, 33.90 fr.
Bienheureux «Les ignorants»
C’est mon toubib qui, l’autre jour, a rigolé en me voyant: «Vous ressemblez au vigneron des ignorants !» De quoi m’inciter à aller derechef chercher à la librairie la plus proche, cet ouvrage sorti après les vendanges 2011 et qui, depuis, a fait le «buzz». Au détour du dessin et des personnages, on y fait une promenade à travers les travaux nécessaires à la culture de cette liane qu’est la vigne et une plongée dans les caves. Sans cesse, l’auteur croise les regards, reprend des citations, telle celle du vigneron jurassien «biodynamiste» Jean-François Ganevat, «je préfère un vin vraiment bon pendant six mois plutôt qu’un vin dont on me dit qu’il sera bon pendant des années». On y apprend, comme à Bastia, à lire de la B.D. après une visite à la famille de viticulteurs Arena. Le dessinateur s’en donne à cœur-joie, «ici et ailleurs par la façon qu’elle a de souligner les paysages et les espaces, la vigne s’avère accueillante au dessinateur». La bulle des phylactères éclate quand le dialogue évoque les propriétés supposées des vins sans soufre (page 258) avant le credo final sur les vertus du chenin, «comme le riesling, un vin de pierre. C’est le plus grand cépage du monde !» Tout à la fin, deux colonnes font l’inventaire du «bu» et du «lu», avec la citation de quelques vins «qui parlent» et de B.D. à lire. Une très belle double illustration !
Etienne Davodeau «Les ignorants», récit d’une initiation croisée, 270 pages, Futuropolis, 39.60 fr.
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