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Posted on 14 janvier 2005 in Conso

Champagne et grande distribution

Champagne et grande distribution

Dom Pérignon, que de crimes en ton nom!
Le moine supposé inventeur du mousseux le plus célèbre au monde doit se retourner dans sa tombe. Les champagnes de cavalerie n'ont pas plus du tout aux sommeliers de notre jury.
Par Pierre Thomas
Pourtant, s'il y a bien un vin qui est servi dans les cafés, hôtels, bars et restaurants, c'est bien celui-ci: la moitié des 6 millions de bouteilles importées en Suisse se boivent hors du domicile. Les privés, eux, affirment consommer du champagne surtout à Noël et Nouvel-An, lors d'un événement familial ou de cocktail et de réception. Même si ce sondage date de 1997, il reste d'actualité, dit-on au Centre d'information du vin de Champagne, à Genève.
Une affaire d'industrie
Le champagne ne se départit donc pas de son image festive. Et du plaisir qu'il est sensé procurer… «On n'a envie de boire aucun des vins qui nous ont été soumis», constate Eric Duret. «Pour le prix de tels mousseux, on peut s'attendre à mieux», renchérit Claudio de Giorgi. On peut difficilement accuser les deux sommeliers de cracher dans la flûte: le premier a remporté le Trophée Ruinart du meilleur sommelier européen en 1998, le second l'a gagné au niveau suisse en 1993 et siège dans le jury. Ruinart, premier négoce de champagne de l'histoire, en 1729. Aujourd'hui, incorporé au grand groupe LVMH (avec Veuve Clicquot), où Moët et Chandon produit la bagatelle de 30 millions de bouteilles par an. En se démocratisant, le champagne s'est industrialisé. Dès le départ, il est, du reste, issu d'un processus «améliorateur» du vin. Sans l'homme, pas de vin, et encore moins de champagne!
Un parcours dificile à suivre
Pour le consommateur, la difficulté est grande de s'y retrouver. la maison Pommery (bien placé dans notre dégustation) est passée successivement en peu d'années de l'indépendance au contrôle par LVMH, puis par le jeune loup belge Paul-François Vranken. Le vignoble de Pommery est resté dans le patrimoine de LVMH. La marque reste, toutefois… D'autres sont spécifiques à certains marchés. Il faut savoir lire les petites lettres d'une étiquette de champagne: NM signifie «négociant-manipulant», tandis que MA indique une «marque auxiliaire». Une même source produit des champagnes de style et de signatures différentes. Sans compter d'autres intermédiaires, comme les distributeurs, qui interviennent dans le circuit. Et qui, dit-on, «achètent sur lattes» des lots divers de vins quasi-finis qui se retrouvent sous une même étiquette…
Dr Jekyll et Mr Hyde
Le visage du champagne joue au Dr Jekyll et Mister Hyde. D'un côté, le terroir de craie qui explique la qualité du raisin dans une région si nordique, le sérieux des viticulteurs les mieux payés au monde, le savoir-faire séculaire d'un négoce solide. Une image d'Epinal véhiculée par un marketing qui explique en grande partie le prix des bouteilles. De l'autre, le résultat d'une industrialisation d'un produit, où le raisin récolté à 11°5 d'alcool, est «enrichi» de sucre et «arrangé» pour répondre à un goût supposé du consommateur. «Si les gens croient que le mot champagne les assure d'un bon produit, ils ont tout faux… Il faut mettre la pression sur les fabricants de champagne pour que leurs produits s'améliorent», conclut Eric Duret.

Article paru dans le magazine de consommation Tout Compte Fait en novembre 2003