Côtes-du-Rhône — Deux châteauneufs-du-pape…
On ne les voit plus guère sur les cartes de restaurant, les châteauneufs-du-pape. La faute à Robert Parker! L'Américain, le plus enthousiaste des avocats des Côtest-du-Rhône, a été sacré citoyen d'honneur de la cité castelpapale, il y a près de dix ans. Mais l'appellation, grande comme le Pays de Vaud viticole (soit plus de 3200 hectares), n'avait pas attendu ce messie d'outre-atlantique pour renouer avec le succès qui fut le sien à l'époque ancienne de Jean XXII. Vieille appellation, mais souvent à la pointe du progrès, quand il s'est agi, en pleine crise des années 1930, de défendre l'«appellation d'origine contrôlée». L'AOC est née là, par la volonté d'un authentique baron du vignoble.
Comme à Chablis, où une bataille homérique divisa les vignerons, le sol n'explique pas seulement la grandeur de ces beaux vins rouges et riches en alcool (14° garantis naturels!). Pas plus que les cépages, qui sont treize. Mais parfois un seul et unique, le fameux grenache noir qui, de toute manière, sert de base à ce vin rouge. C'est lui qui lui donne ce goût d'olive noire, de garrigue, qui fleure bon la Provence. Une touche de ceci, souvent la syrah, fruitée, épicée, ou de cela, le mourvèdre, plus sudiste encore, qui tire les vins vers le cuir et les arômes qui «renardent». Ces trois là, avec un peu de counoise et de muscardin, se retrouvent dans le très classique Clos des Papes, de Vincent-Paul Avril, le fils de Paul. Un archétype, souvent assez souple, mais harmonieux, et d'une magnifique complexité aromatique, comme le magnifique 2000.
Ce clos n'a pas la densité époustouflante de Beaucastel, le formidable étalon de l'appellation. Le mourvèdre lui confère une intensité à nulle autre pareille. Le domaine des Perrin a étendu son spectre au deux extrémités de la hiérarchie. Les grandes années, un «hommage à Jacques Perrin» hors de prix vient couronner la gamme… Les petites années, Les Sinards, absorbent la majorité du domaine. Ce sera le cas pour la tragique année 2002, où la tempête fit des morts dans la région, déversant des trombes d'eau à la veille des vendanges. On l'annonce ici: il n'y aura pas de Beaucastel 2002. Ce qui aurait pu en devenir finira dans les bouteilles des Sinards… En revanche, les Sinards 2000, avec un assemblage équilibré de moitié de grenache, complété par de la syrah, du mourvèdre et d'un invité surprise, le cinsaut, procure un plaisir immédiat. Clos des Papes comme Beaucastel annoncent quant à eux un millésime 2001 de grande classe, le meilleur depuis 1990. En attendant, bien sûr, 2003, aux concentrations extrêmes: à Châteauneuf aussi, ils donnera de très, très grandes choses. En toute petite quantité, de quoi faire encore grimper les prix!
Chronique parue dans Edelweiss, Lausanne, en décembre 2003