Un bel outil pour Jean-Michel Novelle, le Rhodanien
En Ardèche
Une cave high-tech
pour un franc-tireur genevois
De retour d’Ardèche, Pierre Thomas
Tiercé d’œnologues: le Genevois Jean-Michel Novelle, entouré de la Sud-Africaine Kristin Basson (à gauche) et de la Chilienne Claudia Gomez.
Certes, depuis quelques années, il conseille le domaine chilien Amayna, dans la prometteuse région de Leyda, au sud-ouest de Santiago, proche du Pacifique. Mais aussi l’Abbaye de Lérins, sur une île au large de Cannes, où la cave est sommaire. En Ardèche, il a fallu quatre mois, pour que la cave, construite par Jean-Pierre Bedel, le propriétaire du groupe de cimentier Fabemi, sorte de terre. A terme, le domaine de 58 hectares, répartis en 77 parcelles dans quatre zones, devrait en couvrir une centaine. Et les premiers vins, du millésime 2011, sont tout juste «dégustables».
Du raisin ni AOC, ni bio, mais irréprochable
Sur fond de cuves en inox battant neuves, Jean-Michel Novelle fait le tour des installations. Le raisin est vendangé à la machine, puis emmené en remorque en inox, avec récupération des jus, puis trié selon un système densimétrique ingénieux, le «Tribaie»: les grains pas mûrs flottent sur du liquide. Ainsi, le «bon raisin», gorgé de sucre, est séparé du moins riche. Un tapis roulant achemine les baies entières, non foulées, dans des cuves de vinification de différents formats. En inox, elles sont à chapeau flottant et contrôle électronique des températures, comme sur le pressoir. «Le respect de la matière première est total», explique fièrement le Genevois.
Le domaine pourrait prétendre à l’appellation d’origine contrôlée (AOC) côtes-du-rhône, comme l’était jusqu’ici, le Château des Amoureuses, sur une partie de la propriété. Mais la nouvelle cave y a renoncé. «Je voulais la liberté totale de choisir les cépages et le mode de conduite de la vigne, en privilégiant la recherche et l’innovation». Novelle va donc planter du cabernet sauvignon, du marselan (grenache croisé avec du cabernet), du pinot noir, du malbec, du chenin blanc, des cépages portugais (touriga nacional), espagnols (tempranillo) et… suisses, tel l’amigne, la petite arvine et l’humagne rouge. Toutes choses impossibles dans le corset de l’AOC. Ce seront donc des «vins de pays de la Méditerrannée»… comme à Lérins!
Pour faciliter la vendange à la machine, les vignes sont tirées sur fil de fer, taillée en Guyot, un mode de faire interdit en AOC, car trop productif, s’il n’est pas maîtrisé. Question inévitable: et le bio ou la biodynamie? «Je ne crois pas à la poudre de perlimpinpin des biodynamistes et à la magie noire», tranche Jean-Michel Novelle. «Nous intervenons dans la vigne de manière respectueuse et ponctuelle, pour éviter les maladies qui endommagent la matière première».
Deux jeunes œnologues sur place
«C’est un super projet, novateur dans la région, pour démontrer le grand potentiel du vignoble», s’enthousiasme Novelle. Pas de bois dans la cave, à l’exception des barriques, bien sûr, auquel un gigantesque chais, pour mille fûts, sera consacré. Aux côtés du Genevois — Montélimar n’est qu’à trois petites heures de train de Genève —, en permanence sur place, deux jeunes femmes, une Chilienne, Claudia Gomez, 30 ans, et une Sud-Africaine, Kristin Basson, 25 ans. Après des études d’œnologue dans leur pays respectif, elles se sont connues en formation post-grade à Angers (Loire). La première a consacré son travail de diplôme à une étude de terroir sur 10 hectares sous les éoliennes que les habitués de l’autoroute A 7 découvrent, sur la droite, juste après Montélimar-Sud. On plantera sur cette parcelle les cépages les plus appropriés, en fonction de cette étude. Quant à la seconde, son mémoire résume la construction de A à Z de la cave, qui prendra le nom de «Terres des Amoureuses».
Un chais à barriques encore en chantier pour futurs coups d’éclats!
Le Château les Amoureuses devrait disparaître en tant que tel, une fois les dernières cuvées vendues: en l’acquérant, le propriétaire a «hérité» de 100’000 litres de vins. Jean-Michel Novelle et ses œnologues ont effectué un grand travail pour rafraîchir ces cuvées, non millésimées (assemblages de 2009 et de 2010), «La Barbare», «en style châteauneuf», «La Tradition», grenache, cinsault et mourvèdre, et «Les Charmes», plus lègère, le carignan remplaçant le mourvèdre. Trois côtes-du-rhône AOC, axés sur l’élégance et la «buvabilité», avec des tanins affinés par la filtration.
L’assemblage, le grand art
Après la théorie, la pratique — la dégustation des premiers vins. Deux rosés, les seuls vins déjà en bouteilles de 2011, le «Loverose», sans malo, pur grenache de saignée, fruité, suave et frais, et le «Rose Vintage», assemblage de cépages, plus complexe. Particularité: les deux ont été légérement désalcoolisés (2% d’alcool en moins), par un système d’osmose inversée… Le même principe qui permet d’enrichir les vins sans les sucrer, mais au résultat opposé!
Les autres vins sont en phase d’élevage. Marsanne et roussane, grands cépages blancs rhodaniens, offrent des arômes et des saveurs bien distinctes, comme la très sudiste clairette. Planté en altitude, sur un plateau à 400 mètres, le Liby, connu pour ses sépultures gallo-romaines, où le domaine cultive 20 hectares, réaménagés en taille Guyot depuis 2006, le merlot s’avère riche et gras, avec une belle maîtrise des tanins, tout en finesse. Le grenache de Bourg-Saint-Andéol est suave, riche et épicé, de belle structure, comme le carignan. Le mourvèdre, grand cépage du sud planté ici à sa limite septentrionale, est fruité, épicé et mentholé, «vendangé à maturité phénolique absolue», explique Novelle.
La syrah est difficile à déguster, marquée par l’élevage en barriques, neuves. Pas étonnant! Quelques mois après la vendange, ces jus ne révèlent rien des vins au stade final, sinon des caractéristiques de base (fraîcheur du fruit, maturité, souplesse des tanins). C’est maintenant que l’art et le talent du «winemaker» — «faiseur de vin» — vont pouvoir s’exprimer : «Pour moi, la vinification est intimement liée à la dégustation. Je vais me faire plaisir! C’est ma quête du Graal, réaliser de grands vins à travers l’assemblage. Ca n’est pas pour rien que je ne me suis pas embarqué dans de grands terroirs monocépages comme la Bourgogne!» En attendant de mettre pied de l’autre côté du Rhône, à Beaumes-de-Venise, et à Bordeaux, bientôt, Jean-Michel Novelle, assène en souriant, comme il y a vingt-cinq ans: «Je suis un franc-tireur et un dissident.»
Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 21 juin 2012.
Lire aussi sur le blog de Jacques Perrin, un compte rendu postérieur à cette visite, mais paru quelques jours plus tôt sur le net…