Deux vins d’épices
On ne la retrouve pas seulement dans le couscous, le Coca-Cola ou le chewing-gum, la cannelle. Elle pourrait bien être l'épice fétiche du siècle passé (le 20ème donc), dans sa version sucrée, du moins. Elle s'acoquine volontiers avec des vins aromatiques ou doux. En voici deux, moins opposés par le prix que par le style. L'un vient du Nord, l'autre du Sud. L'un est blanc, l'autre rouge…
L'épatant livret consacré aux «arômes du vin» (Hachette, 160 pages), cosigné par Michaël Moisseeff et Pierre Casamayor, se délecte de son rôle transversal. La cannelle joue sur et avec le vin. Les deux nectars présentés ici ont la particularité d'exhaler de l'alcool cinnamique, emprunté à cette épice douce, rappelant clou de girofle et poivre. Et tous les deux accompagnent à merveille la cuisine exotique et donc toutes les recettes à base du même condiment… La boucle est ainsi bouclée.
Blanc d'abord*, avec le biennommé «gewurztraminer». Le jeune couple Barmès-Buecher, converti à la biodynamie, a le don de signer, à Wettolsheim, quelques uns des vins les plus purs d'Alsace. Ici, la minéralité du terroir s'accorde à merveille avec l'épicé du cépage. Et sur des recettes chinoises, thaïes ou vietnamiennes, ce blanc puissamment aromatique, même légérement doucereux, joue une partition d'accompagnement idéale.
Rouge ensuite**. Un pur grenache du Roussillon, entre Narbonne et Perpignan, traité non pas en vin sec — où la cannelle se serait exprimée dans le grain de la trame… — mais en vin doux. Quant il est jeune, ce rouge muté, à l'image du porto, demeure sur des notes plutôt fraîches et fruitées. Plus vieux, il prendra des arômes d'épices et sa déclinaison en vins élevés dans des bonbonnes sous le soleil du Midi, le place parmi les vins oxydatifs, où la cannelle refait surface. Doux — 105 grammes de sucre résiduel — il peut escorter toute la cuisine asiatique, pour un accord insolite. Attention: il titre 15°5 degrés d'alcool, à l'égal d'un vieux châteauneuf-du-pape pur grenache (Rayas, Cuvée des Célestins, pour les aficionados) ou un somptueux amarone (dal Forno, Quintarelli). Les parenthèses renferment des flacons à 300 francs et plus, selon entente…
*Gewurztraminer Steingrübler 1999, 25 fr. 80, Domaine Barmès-Buecher, Cave de 1128 Reverolle, tél. 021 800 58 70, www.cavedereve.ch
**Maury Vintage 1999, Mas Amiel, 32 fr., Vinothèque de Bourg, Lausanne, tél. 021 320 96 36, www.vinobourg.ch
Chronique parue dans le magazine Edelweiss, Lausanne, en novembre 2003