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Posted on 15 octobre 2012 in Carte Postale

Quand la Rioja sort du bois américain

Quand la Rioja sort du bois américain

Carte postale

Quand la Rioja sort du bois
…américain

Région vitivinicole la plus connue d’Espagne, la Rioja, est réputée pour son style de vin rouge, emprunté historiquement au savoir-faire français, mais mâtiné de chêne américain. De plus en plus de «bodegas» (caves) s’en affranchissent. Reportage dans les environs de Logrono, la capitale de la région.
Pierre Thomas, de retour de Logrono
La Rioja connaît une mutation semblable à celle du Chianti, il y a une trentaine d’années. De populaires piquette de pizzeria et de comptoir, ces vins rouges tendent à devenir des «grands crus». De l’entrée au haut de gamme, l’évolution est sensible. De plus en plus de riojas s’émancipent de la traditionnelle stratification basée sur la durée de l’élevage en barriques, étagées en quatre stades. D’abord, les sans barriques, ou vins jeunes, qui peuvent être monocépages ; puis les «crianza», avec un an de barriques et un an de cave (105 mios de litres vendus en 2011) ; ensuite, les «reserva», un an de barriques et 2 ans de cave (42 mios) et, enfin, les «gran reserva», 2 ans de barriques et 3 ans de cave (5,6 mios), sur les 270 mios de litres.rioja_ebre.jpg
Paysage de la Rioja, avec l’Ebre, à gauche, et des nuages sur les monts cantabriques.

La finesse du tempranillo

La valeur sûre sur laquelle s’appuie la Rioja, c’est le tempranillo, le cépage le plus répandu d’Espagne, mais qui, nulle part ailleurs qu’ici, s’exprime le plus parfaitement. Et personne mieux que Luis Valentin, associé à Carmen Enciso, ne parle mieux de ce que la Rioja n’aurait jamais dû cessé d’être. Pour lui, le tempranillo n’est pas une bombe aromatique à haut degré d’alcool — même si, pour la première fois de l’Histoire, la moyenne des riojas de 2011 a dépassé les 14% d’alcool, contre 13% auparavant —, mais un cépage tout en finesse, l’égal du pinot noir, du sangiovese ou du nebbiolo italiens.
Depuis 1998, dans leur nouvelle cave fonctionnelle, Valenciso (contraction de leurs deux patronymes) ne produit qu’un seul vin, de pur tempranillo, tiré à 110’000 bouteilles par an. Un vrai régal d’authenticité! Au mépris de la technologie moderne, valable de Bordeaux au Cap ou à Santiago du Chili, ils font fermenter leur raisins ronds, non foulés «pour exprimer tout le caractère complexe du cépage», dans des cuves en béton. Le marc est pressé, mais, au contraire de Bordeaux, qui sépare les jus, celui d’écoulure et celui de presse sont assemblés, pour une fermentation malolactique en cuve, tranquillement en été. Puis le vin est élevé en barriques de 225 litres — obligatoires dans la Rioja —,durant 12 à 18 mois. Du chêne français, presque exclusivement : «Au 19ème siècle, le bois venait de France et de Slavonie, pas d’Amérique. Et la longévité du vin est mieux assurée avec du chêne français qu’avec du chêne américain», soutient Luis Valentin.
Qui a l’image d’un rioja aromatisé à whyskiline dégagée par le chêne américain doit déguster ce pur tempranillo élevé dans les règles d’un art si particulier! La finesse, l’élégance, les arômes de fruits rouges, de cerise, sont soutenus par une belle acidité, avec une pointe de sous-bois (millésime 2002), rappelant le bourgogne, parfois, ou de tabac et de fumée (2005). Dès 2006, qui sera commercialisé l’an prochain, l’étiquette d’un blanc moiré cèdera sa place à une feuille de vigne argentée sur un fond bleu, éloigné des étiquettes de rioja classique.

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Un rioja élaboré «à la bordelaise»
A Haro, dans le quartier de la gare, où, traditionnellement, depuis que le chemin de fer relie la Rioja au reste du monde via Bilbao, les meilleures bodegas sont logés côte à côte (Muga, Tondonia, Rioja Alta). Fondé il y a 25 ans, Roda fait figure de Rolls Royce, qui produit 300’000 bouteilles par an. Dans un français appris en master de droit européen à Louvain (Belgique), le responsable de l’export, Victor Charcan, convainc facilement sur le bien-fondé des préceptes appliqués dans cette bodegas. L’œnologie moderne «à la bordelaise» y est appliquée dès la fermentation, dans des cuves de bois tronconiques, jusqu’à la fermentation malolactique en barriques de chêne français, toujours neuves pour les cuvées de haut de gamme. Et pour «épicer» les goûts, et «ne pas mettre tous les œufs dans le même panier», on utilise mille barriques de plusieurs tonneliers, partagées entre un chais moderne, avec vue sur le vignoble et l’Ebre, et une galerie souterraine qui servait, jadis, à rouler les tonneaux du bord du fleuve jusqu’à la gare (photo ci-dessus).
Ici, au pur tempranillo, on préfère l’assemblage d’un peu de grenache et de graciano, deux cépages réputés pour apporter de la finesse et un supplément de complexité. Le fer de lance de Roda est un Reserva. Le 2007 offre un nez boisé, une attaque souple et grasse, une belle longueur en bouche, avec une touche de moka et d’épices, et une finale légèrement toastée. Un autre vin, le Roda I est aussi une Reserva, de 2006, pur tempranillo, long, sur de beaux tanins, alors que le Cirsion 2009, pur tempranillo lui aussi, paraît d’un style plus international, très extrait, puissant, toasté, mais avec une belle rémanence de fruits rouges frais.
Chez Roda, on aime bien faire la distinction entre les années plus «atlantiques», sur la fraîcheur de fruit, que «méditerranéennes», plus chaudes et riches. «Chez nous, la tradition repose sur l’assemblage des diverses provenances et des variétés», explique Victor Charcan, récent transfuge des bodegas traditionnelles que sont Baron de Ley et El Coto, qui met en marché un rioja suave, exhalant des arômes de chêne américain. Tout le contraire de sa nouvelle maison! «Mais, à titre privé, j’ai toujours apprécié le style de Roda», glisse Victor Charcan, avec un sourire charmeur.

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Le rioja est une question de style, ici, le chai à barriques d’une autre bodega, Vivanco.

Une question de style et de marchés

Mais le chêne américain, et ses arômes flatteurs, n’est-il pas consubstantiel au rioja? Personne ne veut trancher cette question. Car il y a plusieurs marchés… L’espagnol restait, jusqu’à cette année de grave crise économique, le principal, pour plus des deux tiers des vins, attaché à ce goût «boisé» hérité du 19ème siècle. Pour se battre à l’international, mieux vaut arriver avec des «produits nouveaux». Propriété d’un groupe très actif dans le vignoble de la Navarre, Principe de Viana, la bodega Vega applique des critères de «canopy management» (viticulture suivie) pointus, avec des vignes plantées en cordon permanent (et non, comme dans la majorité de la Rioja, en gobelet) et nourries au goutte-à-goutte (l’irrigation est autorisée par l’interprofession durant une période déterminée des étés secs et chauds).
Des recettes modernes, donc, pour un goût du vin le plus répandu, le Reserva, conforme à l’attente qu’un consommateur peut avoir d’un rioja. Le 2007 offre un nez mentholé, toasté, fumé, avec des notes de café, et une dominante boisée (24 mois de barriques en chêne américain) et une finale un peu assèchée par le bois. Un bon exemple de rioja «classique»… Mais l’œnologue de la maison, Esperanza Elias Orive, a concocté une réserve particulière, «9 Barricas» 2010, issue de 50% de tempranillo, 25% de graciano et 25% de mazuelo (carignan), d’une belle puissance, à l’attaque pleine, grasse, avec une finale sur le chocolat, le café et une touche de graphite. Un vin élevé 24 mois, uniquement en barriques neuves de chêne français. Un boisé plus fin, moins aromatique, moins toasté : il n’y a pas photo… Même pour l’œnologue!

*Les vins de Valenciso sont importés en Suisse par Alexander Weine, à Unterentfelden (AG), ceux de Roda par Martel, à Saint-Gall, et ceux de Vega par Rutishauser à Scherzingen (TG).

La Rioja en chiffres

La Rioja couvre près de 60’000 hectares, sur trois régions, l’éponyme, mais aussi la Navarre et le Pays basque, en trois secteurs, la Rioja alta, la plus intéressante climatiquement, avec une double influence de l’Atlantique et de la Méditerranée, la Rioja Alavesa, et la Rioja Baja, en aval du cours de l’Ebre, plus méditerranéenne.
Entre 1990 et 2011, la surface est passée de 43’000 ha à 62’000 ha (Suisse : 15’000 ha), dont 90% destinés aux vins rouges. Sa production a progressé de 160 à 270 millions de litres. Les stocks ont évolué positivement de près de 500 millions de litres à 835 millions, soit d’une réserve de plus de 4 ans à 3 ans. Les caves de vieillissement («bodegas») n’étaient qu’une centaine en 1990 et près de 400 en 2011 (382).
La Suisse est le quatrième pays d’exportation du rioja: en 2011, elle a importé 6,5 millions de litres. Les vins de la Rioja représentent près de la moitié des vins d’appellation contrôlée espagnols importés en Suisse. Pour la Rioja, l’exportation représente un tiers des ventes, et est en progression, à cause de la crise économique du marché espagnol. En 2011, l’interprofession a consacre 9,5 millions de francs d’euros à la promotion. A l’étranger, les Etats-Unis sont la cible-phare (33% du budget), devant le Mexique et la Suisse (un million de francs investis en 2011). (pts)Paru dans Hotellerie & Gastronomie Hebdo, le 24 octobre 2012.

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La cave moderne de Vega et des vignes tendues sur fil (et non en gobelet).

La Rioja choie les Suisses

La Rioja choie les Suisses, qui le lui rendent bien. La Suisse occupe le 4ème rang des importateurs, au moment où le marché espagnol soufre de la crise.
A deux heures de route rapide de l’aéroport de Bilbao, desservi par Easyjet de Genève, la capitale de la Rioja, Logrono, est aussi une des étapes de l’itinéraire du chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Que la capitale de la Rioja, ville animée de 150’000 habitants, soit sur le chemin dit français de Saint-Jacques n’est pas anodin. Au moment de la «Reconquista» (la reconquête) de l’Espagne sur les Maures, au 15ème siècle, ce sont des moines français qui ont redonné naissance à la viticulture, présente ici depuis les Romains.
Un héritage français
Des Français encore, juste de l’autre côté des Pyrénées, dans un vignoble aujourd’hui quatre fois plus vaste (60’000 hectares) que celui de la Suisse, au milieu du 19ème siècle. Ils étaient venus de Bordeaux, pour échapper à l’oïdium, puis au phylloxéra, fléaux de la vigne, quelques décennies plus tard. Ce sont eux qui ont encouragé à élever les vins rouges (90% de la production) en barriques de chêne.
Avant la constitution des appellations d’origine contrôlée, dans les années 1920, le rioja partait par wagons de chemin de fer entiers vers Bordeaux où l’on coupait sans égards les vins de l’époque, comme on «hermitageait» les bourgognes. Autre temps, autres mœurs…
Depuis la fin des années 1960, la Rioja s’est imposée comme la principale région vitivinicole d’Espagne. Il y a vingt ans (1991), elle a obtenu la DOCa, non seulement AOC, mais «qualifiée», soit le plus haut niveau de la hiérarchie espagnole (seule avec le Priorat). Alors que Conseil régulateur (l’interprofession) réunit les viticulteurs et les encaveurs (les «bodegas»), il a réussi à imposer la mise en bouteilles dans la région d’origine et interdit la vente en vrac. Et d’anonyme pourvoyeuse de vins «médecins» au 19ème siècle, la Rioja est devenue la principale AOC d’Espagne.
Plus d’une bouteille par Suisse et par an !
La Suisse, depuis des lustres, lui a gardé sa confiance, puisqu’elle importe plus d’une bouteille de vin de rioja par habitant et par an (6,5 millions de litres en 2011). Pour Victor Pascual Artacho, président de l’interprofession (et de Campo Viejo, Bodegas Domecq, appartenant au groupe Pernod-Ricard), «la Suisse est un pays de référence pour les vins de qualité». En 2011, selon son rapport annuel, la région a investi près d’un million de francs (850’000 euros) dans la promotion en Suisse, soit autant qu’au Mexique, mais cinq fois plus qu’en Chine, où cent «bodegas» exportent déjà. Les Etats-Unis, cible principale de la promotion (avec 3,3 millions d’euros) ont bien réagi, les exportations progressant de 6 à 8,5 millions de litres. (…)Paru dans Hôtel et Tourisme Revue, le 18 octobre 2012.