Comment le soufflé fédéral 2012 risque de retomber…
Politique (vitivinicole) fédérale
Comment le «soufflé»
risque de retomber
Par Pierre Thomas
A fleuret moucheté, la passe d’armes a opposé le président, à la fois de la Fédération suisse des vignerons, de l’Interprofession de la vigne et des vins suisses et du groupe viticole des Chambres fédérales, le conseiller national neuchâtelois Laurent Favre, au directeur de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), Bernard Lehmann.
A moins de convaincre le Parlement, et notamment le Conseil des Etats, le 12 décembre, les vignerons suisses resteront bredouille. L’envoyé de Berne en terres vaudoises l’a dit sans détour. Pourtant, c’est une avalanche de motions qui s’est abattue, cet été, sur le Parlement. Plusieurs tournent autour de la rediscussion du contingent d’importation de 170 millions de litres de vins rouges et blancs.
Contingents et tarifs ? Bern…ique!
Le directeur de l’OFAG observe que, depuis 2001, ce contingent «n’a jamais été atteint». Pour toucher à ce contingent, en le réduisant ou en incluant les vins mousseux, il s’agirait alors d’ouvrir des négociations avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une telle démarche impliquerait des compensations, dans les produits agricoles, pour le moins. Avec une virulence qu’on ne lui connaissait pas, Charles Rolaz, avocat et patron de Hammel, à Rolle, a plaidé pour une taxation dissuasive des vins importés de bas de gamme. Hélas, impossible de retoucher les tarifs douaniers, sous peine, là aussi, de rouvrir le dossier avec l’OMC. Car, explique Bernard Lehmann, «la Suisse a été très frileuse à l’époque, en choisissant des quotas, plutôt que des tarifs» qui, eux, auraient pu être modulés et adaptés.
10 millions de vins AOC évacués
pour 15 millions de francs?
Bref, si, du côté du contingent et des tarifs, il n’y a rien à espérer, reste la proposition d’assainir les stocks de production nationale, en évacuant 10 millions de litres de vin AOC vers les vins de table ou industriels, à raison de 1,50 francs par litre (soit une ardoise de 15 millions de francs). Ce montant devrait transiter par le budget ordinaire 2013 de la Confédération. Laurent Favre, y croit encore. Mais Berne conteste la «situation extraordinaire», prévue par la loi sur l’agriculture, dans laquelle se serait trouvée la vitiviniculture en 2011. Plus que la baisse de la consommation, de 10% sur vingt ans — et même de 25% pour les vins suisses —, c’est surtout la «surproduction» de 9% de vins suisses en 2011 qui a gonflé les stocks.
Marketing: mieux anticiper
les besoins du consommateur
Pour Bernard Lehmann, ex-professeur de marketing à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, les producteurs de vins suisses doivent «se mettre à la place des clients potentiels», miser sur «la durabilité et l’empreinte écologique» du vin indigène, corriger une «image décalée par rapport au positionnement» et «regagner des parts de marché» par la promotion nationale.
Mais le salut ne viendra pas de la Berne fédérale! Les discussions, au Parlement, autour de la politique agricole (PA 2014 – 2017) ouvrent toutefois quelques perspectives. L’enveloppe pour des mesures de promotion augmente, même si Berne est, en principe, opposée à mettre en concurrence les régions. L’accès aux paiements directs ne devrait plus être soumis à une limite de revenu ou de fortune, qui pénalisait jusqu’ici les vignerons-propriétaires. Il sera possible de subventionner des projets précis liés à l’«amélioration de la qualité et de la durabilité». Et puis, la porte reste entrouverte pour une campagne en faveur du moût suisse… pour les vendanges 2013.
Autant de vin vaudois que l’an passé!
Mais la consommation en hausse?
Pour 2012, les Vaudois n’annoncent pas une baisse notable de la récolte, avec un résultat provisoire de 21,5 millions de litres de vin blanc (2011: 21,54; 2010: 20,66 ) et 8,8 millions de vin rouge (2011: 9,05 ; 2010: 7,99). Président de la Communauté interprofessionnelle du vin vaudois (CIVV), Gilles Cornut, estime que la consommation des vins vaudois devrait se redresser en 2012, grâce à la baisse des prix et des actions en fin d’année. Mais à quel prix, s’il s’agit de vendre davantage à moindre revenu ! Selon ces estimations, la consommation des blancs vaudois remonterait au niveau de 2010 et celle des rouges, à 2008. La qualité des vins blancs s’avère très bonne — le vigneron-syndic de Rivaz, Pierre Monachon, président de Terravin, tire même un parallèle avec l’excellent millésime 2000 — et les rouges, à la fois «riches et mûrs», bénéficient de tanins souples. A vérifier dans les verres au printemps prochain. Pour noyer les espoirs déçus de la politique fédérale plutôt que trinquer à un lobbyisme relativement efficace.
Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 15.11.2012.