Le chasselas est une girouette
Pas facile, ce sacré chasselas! On a beau avoir sondé son ADN, il est orphelin de père et de mère. Impossible qu’il figure dans la cour des grands (cépages), plus souvent tirés du vil gouais Casanova que de la cuisse de Jupiter. Et difficile de lui trouver un lieu d’origine: le chasselas a perdu le nord. Et qu’un village du Beaujolais se nomme Chasselas ne fait qu’ajouter à la confusion.
Pour les Vaudois, il est d’ici. Punkt, schluss. Le généticien (valaisan) José Vouillamoz ne le dément pas. Il a même épluché les documents historiques pour accréditer la thèse d’une localisation lémanique, jusqu’à preuve du contraire.
Que n’a-t-on dit du chasselas! Les Français en ont fait la première appellation d’origine protégée de… raisin de table, sous-entendant qu’il n’est pas bon à être vinifié. Heureusement qu’un ampélographe, français lui aussi, du 19ème siècle, a calqué le calendrier de la précocité des cépages sur le chasselas, lui assurant ainsi une (relative) immortalité.
Envers et contre tout, ce sont les Vaudois qui s’y accrochent, comme aux terrasses de Lavaux, grande muraille où l’homme monte à sa vigne. Les vignerons d’ici sont mariés avec, pour le meilleur et pour le pire. Le pire, on le connaît : une tendance à l’uniformisation à partir d’une seule «haute sélection» trop productive, à l’époque, qu’on veut croire lointaine, où la Suisse, en matière de vin blanc, se considérait comme une île de la soif.
La page est tournée : on peut cultiver d’autres clones, faire évoluer ce cépage — reste à savoir s’il résistera au réchauffement climatique! Le voilà rangé dans la catégorie des chefs-d’œuvre en péril et versé au dossier de la biodiversité, du développement durable et du multiculturalisme.
Le grand écrivain C. F. Ramuz déplorait lui-même, il y a cent ans, que les vins du Chablais, alors d’un beau jaune, tirassent sur le grisâtre… On n’a pas élucidé son jugement à l’emporte-pièce, mais quel symbole! Il y a beaucoup à faire, aujourd’hui, pour redorer le blason du chasselas. Cépage-girouette, champion du ni oui, ni non, bien au contraire, le chasselas a besoin de boussoles. Terravin et sa démarche d’excellence, comme le récent Mondial du Chasselas, tremplin pour les meilleurs, contribuent à montrer la voie. Ces deux chicanes pourraient être encore plus sévères, à l’image des 1ers Grands Crus vaudois, bâtis sur le long terme d’un historique du terroir, encore à traduire dans la pratique.
Faut-il que le chasselas épate son monde en vieillissant dans des caves toujours plus virtuelles? Ou s’acoquine avec du tex-mex, du soja-balsamique ou de la «fusion food»? C’est encore à boire, pardon, à voir… On le préfère frais et gouleyant, sur des mets aux fromages garantis AOC ou des filets de perche, d’omble-chevalier ou de féra. Et on versera des larmes de désespoir, le jour où il sera aussi rare sur nos tables que les poissons tirés du Léman.
Jadis oreiller de paresse d’un réduit national, le chasselas pousse les meilleurs vignerons à résister et à mettre la flèche sur le futur. Car si une girouette, ça tourne au gré des modes, ça peut aussi indiquer le (bon) vent à venir… Minéral, révélateur de terroir, léger, digestible, facile à vivre, facile à boire, le chasselas incarne ce vin blanc convivial et tout terrain, de l’apéritif au dessert.*
Quand le consommateur, lassé, aura enfin tourné le dos à la caricature des blancs mondialisés, «tendus» entre une acidité décapante, corrigée par une sucrosité masquante, alors, oui, le chasselas qui claque au palais, sec et fier, aura gardé ce goût sincère de reviens-y. Comme disent les Vaudois, ce chasselas-là, en redemande. Servez-le… bien frais et désaltérant! Santé et conservation!*Et, aurais-je dû ajouter, à condition de renoncer à la chaptalisation et au gaz carbonique, trop souvent ajouté… (PTs)
Texte de commande pour le dossier de presse des Lauriers de Platine Terravin 2012, 22.11.12, chez Benoît Violier, à Crissier.
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