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Posted on 2 février 2013 in Tendance

Vins naturels et vieux millésimes Arsenic et vieilles piquettes

Vins naturels et vieux millésimes
Arsenic et vieilles piquettes

Vous voulez paraître dans le vent ? Alors parlez de «vins naturels» et de «vieux millésimes». Les deux thèmes sont récupérés ces prochains jours (début 2013) par des organisateurs de manifestations qui ont flairé le bon filon…

Surtout, ce sont là deux thèmes hautement controversés. Le premier concerne peu les vins suisses; le second n’intéresse qu’eux, tant le long vieillissement des grands chardonnays de Bourgogne, des liquoreux de Sauternes, des crus de Bourgogne et de Bordeaux, des brunellos et des barolos, est une évidence.
A l’Hôtel-de-Ville de Neuchâtel, du vendredi 8 au dimanche 10 février 2013, on pourra discuter «vins naturels» en direct avec des producteurs, www.levinnaturel.ch et le jeudi 28 février, dans plusieurs restaurants de Suisse romande, puis le samedi 2 mars, de 10 h. à 17 h., lors d’un petit salon à Morges, www.vieux-millesimes.ch.
Soufre, levures, chimie & cie
Qu’est-ce qu’un «vin naturel»? D’astucieux producteurs français de vins «sans soufre» (sans SO2, les «sulfites») ont lancé la locution, alors que, des siècles durant, les vignerons ont insisté sur le côté «naturel» du vin.
La question du soufre ajouté est centrale: cet additif, ajouté en général à la vendange, puis, avant la mise en bouteille, vise à stabiliser le vin et à le préserver en cas de vieillissement (voir plus loin…). Certains consommateurs y seraient allergiques, donc le «sans soufre» passe pour faire moins mal à la tête… Mais qui pense à l’histamine, dont la Suisse était la seule à prendre en compte une limite, mais y a renoncé? L’histamine résulte d’une réaction du corps humain à l’absorption de produits fermentés comme les vieux vins, les vieux fromages, les fromages bleus et même le chocolat (dont le cacao subit une fermentation). Là encore, des consommateurs peuvent y être allergiques…
Des labels peu représentatifs
En amont de cet ajout de SO2, le «bio» interdit l’usage de produits chimiques de synthèse, mais ni du cuivre, ni du soufre, qui ont aussi leur dangerosité, à moyen ou long terme.
Un «vin bio» est-il, alors, un «vin naturel»? Pas toujours, dans la mesure où les adeptes des raisins obtenus selon des méthodes de bio ou de biodynamie peuvent ajouter du SO2 pour stabiliser leurs vins
. L’un n’empêche pas l’autre!
Certes, les labels bios, suisse (le bourgeon) et européen (dès août 2012) sont légèrement plus restrictifs que les règlements usuels, par exemple des AOP-IGP. On trouve pourtant de nombreux vignerons qui ne revendiquent aucun label pour la viticulture en bio(dynamie) et utilisent un minimum de soufre. La mention obligatoire «contient des sulfites» est, au surplus, trompeuse, puisque tout vin qui contient plus de 10 mg/litre de SO2 est considéré comme «contenant des sulfites» (sans obligation de préciser combien entre le minimum et le maximum autorisé!).
Levures et autres additifs…
Autre sujet qui remue les consciences autour du «vin naturel», c’est l’utilisation de levures endogènes, qui, comme l’a démontré Pasteur (lire ci-dessous) dans la secondes moitié du 19ème siècle, existent sur la peau du raisin. Plus un raisin est sain — parce que moins traité, cqfd! — plus il a de chance de favoriser le démarrage spontané en fermentation… Mais le souci de contrôler cette fermentation, pour éviter de faux goûts, conduit les vignerons, même bios, à «levurer» leur moût. Ici, pas de milieu: ou bien on utilise la levure spontanée, au risque d’une fermentation languissante, ou bien on utilise des levures sélectionnées (industrielles), qui tuent la levure endogène. On ne parle pas d’enzymes et d’autres substances, bref, tous les additifs autorisés et autres «bonnes pratiques» du vin, et dont la liste détaillée doit être demandée à l’Office fédéral de la Santé publique (elle n’est pas publiée dans la consultation en cours, en 2013, sur la législation des produits alimentaires…).
Les labels eux-mêmes ne sont donc pas très fiables, ni le «bourgeon» suisse, dont on affirme qu’il est plus contraignant que la nouvelle législation européenne, ni Demeter, pour les vins en biodynamie (car tous les biodynamistes, souvent autoproclamés, ne l’utilisent pas…). Quant au label suisse Vinatura, il a fait un flop et n’est presque plus utilisé par les tenants de la viticulture raisonnée, plus respectueuse de l’environnement que sans PI (pour Production Intégrée), mais moins contraignante que le bio.degustateurs2012.jpg

Notre récente participation, à fin 2012, à Paris, avec Michel Bettane et David Cobold (de g. à dr., au premier plan, sur la photo, Pierre Thomas en diagonale, dernier plan, à gauche), entre autres, à la dégustation-marathon de Autrement vin (www.autrementvin.com) nous a démontré que l’éventail des vins français «hors normes» s’est élargi, jusqu’au plus discutable et au moins réussi, de surcroît vendu horriblement cher!
A Neuchâtel, il y aura peu de producteurs suisses présents, contre une forte cohorte de toute l’Europe. De quoi relancer le débat sur les «loca-buveurs»: vaut-il mieux apprécier un vin conventionnel d’ici ou un vin bio d’ailleurs? A mesurer par le petit bout de la lorgnette du «bilan carbone»…
Arrivé à ce stade, le lecteur a bien compris que le «vin naturel», c’est la jungle la plus touffue!
De vieux suisses
Pour les «vieux millésimes», la question est uniquement suisse. Dans l’opération de la «Nuit des vieux millésimes», le jeudi 28 février, une quinzaine de restaurants romands sont associés à autant de vignerons ou négociants, qui mettent à disposition une gamme de vins de plus de cinq ans d’âge.
Tout amateur de vin qui se respecte a dans sa cave, tout naturellement, de «vieux millésimes». L’exception vise surtout ces restaurants — certains étoilés! — qui ont le culot d’indiquer l’année de tous les vins, sauf des suisses. Comme si la nécessité économique d’acheter en primeurs les bordeaux et de pouvoir, à l’inverse, s’approvisionner en flux tendu en crus locaux dispensait de délivrer cette information au consommateur!
Pour goûter à de «vieux millésimes», il suffit de disposer d’une bonne cave, fût-elle d’un ami plus âgé… Ainsi, récemment, un amateur a fait profiter un cercle de dégustateurs — dont on ne sait s’ils étaient sensibles à l’histamine… — de côtes-rôties 1991, dont l’une fut jugée «sublime» ; plus étonnant, un viognier de Condrieu, La Loye, de Jean-Michel Gérin, de la même année, 1991, a été jugé «frais, gras, pas fatigué, long, immense avec des fromages à pâte dure». Et quand on proclame que le viognier doit s’apprécier jeune, sur ses arômes primaires! Comme ce Dézaley Les Embleyres 1990, que son géniteur vaudois avait alors «oublié» dans la vigne, «encore jeune, sans trace d’altération, un très beau vin».
Le miracle, avec le chasselas, c’est qu’un vin peu acide, peu structuré, peu aromatique parvient néanmoins à tenir droit dans ses bottes sur vingt ou trente ans, sans déviation aromatique notable due aux années qui passent, tout en changeant — évidemment — de goût(s).
A partir de ce constat, au-delà de l’adage selon lequel «seuls les grands vins sont aptes à vieillir», après lequel les vins suisses pédalent, on peut garder ses préférences…
Et c’est quoi, «in fine», un «vieux chasselas»?
Notre excellent confrère David Moginier, dans un raccourci saisissant, l’a écrit le 26 janvier 2013 dans 24 Heures : «Les Chappuis aiment les vieux Dézaleys. Ils ont donc encore en cave une belle réserve de 2011 pour les amateurs.»
On est tous d’accord: à ce taux-là, tous les (jeunes) chasselas sont de (futurs) vieux chasselas!

Eclairage

Les levures en question au pays de Pasteur

Il n’y avait pas que des réjouissances bacchiques au cours de cette Percée 2011. Le vendredi 4 février 2011, vignerons et œnologues ont participé à un colloque sur l’importance des levures.
Pour certains, la levure est la «marque de fabrique» des vins, comme pour le pain ou le fromage. Et le recours aux levures industrielles est contesté par certains vignerons puristes. Arbois est un lieu idéal pour continuer le débat, ouvert par Pasteur lui-même à la fin du 19ème siècle. Si le biologiste avait expliqué la fermentation (notamment alcoolique, en 1860), ses explications furent combattues par un disciple de Claude Bernard, l’année de son décès, en 1878. Pasteur entreprit d’étayer ses théories en cultivant lui-même une vigne près d’Arbois, à Montigny-les-Arsures. En 1879, il put montrer que les ferments nécessaires aux vins ont une origine extérieure au jus de raisin. Cette démonstration ouvrit la porte autant aux levures industrielles qu’aux vaccins pour les maladies de l’homme…
Depuis les années 1960, le Laboratoire départemental de Poligny met à disposition des vignerons qui élèvent du Vin Jaune trois levures sélectionnées (P3, P5, P7). Ces levures doivent permettre au voile de s’installer rapidement, une condition pour le bon déroulement de l’élevage, qui ne permettra qu’aux vins les plus aptes à devenir des «jaunes», six ans et quatre mois plus tard. A l’inverse, on est incapable, encore aujourd’hui, d’intervenir pour corriger le vin. Et les dégustations n’ont pas permis de déterminer si les vins ensemencés sont meilleurs que les autres. Le Vin Jaune, malgré Pasteur, malgré les levures sélectionnées, reste un phénomène empirique…
Reste que les levures sont un outil biotechnologique qui permet une meilleure compréhension des arômes du vin et, partant, de les influencer. Pasteur avait déjà démontré que diverses levures donnent des vins différents. Les producteurs qui ont recours aux levures sélectionnées choisissent la sécurité. Maître de conférences à l’ENITA de Bordeaux et collaboratrice de Denis Dubourdieu, Isabelle Masneuf-Pomarède va jusqu’à affirmer que «la maîtrise du processus fermentaire permet de garantir les qualités gustatives des raisins et de favoriser l’expression des grands terroirs». En somme, pour que le terroir puisse s’exprimer, il ne doit pas être parasité par une vinification hasardeuse. Vaste débat, loin d’être épuisé, au moment où des levures issues d’organismes génétiquement modifiés (OGM), déclenchant la fermentation malolactique, sont autorisées au Canada et aux Etats-Unis.
(Extrait de l’article de Pierre Thomas, paru dans Vins & Vignobles, Montréal, Québec, mai 2011)
©thomasvino.ch