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Posted on 19 janvier 2005 in Vins espagnols

Brillante relève dans le Priorat

Brillante relève dans le Priorat

L'heure de la relève dans le Priorat
En dix ans, les mille hectares du Priorat, en Catalogne, sont devenus le plus pretigieux des vignobles espagnols. La relève prend racine: portraits et dégustation verticale.
Par Pierre Thomas
Ils étaient cinq au départ: René Barbier, du Clos Mogador, José-Luis Perez, du Clos Martinet, Carlos Pastrana, du Clos de l'Obac, Alvaro Palacios, du Clos Dofi et Daphné Glorian, du Clos Erasmus. Ces cinq domaines disposaient de leur étiquette propre, lors de la première mise en bouteille des vins du renouveau du Priorat, en 1989. Mais c'est un seul vin qui fut mis sous des verres différents… Le chacun pour soi ne débuta que trois ans plus tard. Et dès 1993, le jeune viticulteur originaire de la Rioja, Alvaro Palacios, fit sensation lorsqu'il estima son nouveau vin, l'Ermita, digne d'être le plus cher d'Espagne, devant le Vega Sicilia. Une surenchère appliquée ensuite par Peter Sisseck, un Danois, qui signe le Pingus, dans la Ribera del Duero.
En dix ans au sommet
L'Espagne a toujours eu le culte du vin. Depuis des décennies, la Rioja a mis en place une hiérarchie de ses meilleurs crus, basée sur la longueur du vieillissement en fûts. Au Priorat, ce carcan n'existe pas — ou pas encore. En dix ans, cela n'a pas empêché la région d'être la seule a accéder au sommet des dénominations d'origine contrôlées et garantie (comme en Italie, la DOCG), avec la Rioja, précisément. Surtout, derrière les pionniers d'il y a douze ans se profile une relève prometteuse. Récemment, René Barbier, 28 ans, était à Penthaz, où Angelo Loparco fut un des premiers, hors Espagne, à croire au Clos Mogador.
Le jeune homme a préféré une formation sur le tas à un long cursus. Il était accompagné de Sara Perez, diplômée en œnologie de l'Université de Tarragone. Lui est fils d'un Barbier célèbre, non pas le premier des René — parce que tous les aînés de la famille se prénomment ainsi depuis plus d'un siècle… —, mais le rénovateur du Clos Mogador. Et le jeune homme a une mère française. Une filiation qui n'a rien d'étonnant, quand on sait que la série télévision «Les gens de Mogador» est directement inspirée de la saga écrite par la tante Elisabeth Barbier, dont la famille fut riche propriétaire dans le Sud de la France. Et Sara Perez est née à Genève, au temps où son père fréquentait l'Université, qui lui permettra d'accèder à l'œnologie à son retour en Espagne, et faisait le chauffeur de taxi pour financer ses études…
Un héritage romain
Il y a une histoire humaine, derrière ces «gens du Priorat». Elle débute par la richesse de la province, au temps des Romains déjà, quand Tarragone était déjà connue pour son vin. Elle passe par l'exode rural: ces collines arides, aux hivers secs et froids et aux étés d'enfer, ont fait fuir vers la ville les derniers vignerons… Puis elle redémarre, grâce à un projet de l'organisation mondiale pour l'agriculture. Les experts de la FAO concluent que le Priorat a toutes les aptitudes pour produire «l'un des meilleurs vins du monde».
Trente ans après, le programme n'est pas encore achevé. Mais les jeunes restent: René Barbier junior et les enfants Perez (Sara a un frère également œnologue) mettent la main à la pâte levée par leurs parents. Les villages, comme Porerra ou Bellmunt, revivent par le biais des coopératives viticoles. Mille hectares sont plantés en vignes et une surface équivalente attend de nouveaux pionniers prêts à défricher et à aménager des terrasses dans les collines.
Des conquistadors
Après avoir misé sur des cépages internationaux comme le cabernet sauvignon, le merlot et la syrah, les vignerons se recentrent sur les vieux grenaches et carignan, pour redonner une identité propre et «historique» aux meilleurs crus. Avec l'esprit des conquistadors, ces jeunes entrepreneurs font tache. Ils sortent de leurs collines et crèent des vins dans la région de Falset, où une nouvelle dénomination, Monsant, vient de naître. Où s'arrêtera cette dynamique du succès? La marge de progression est considérable, quand on sait que le Priorat cultivait 3500 hectares de vignes il n'y a pas si longtemps, en 1970.

Eclairage
Vertigineuse verticale

En douze millésimes, les Barbier père et fils ont appris à cueillir le grenache à parfaite maturité (autour de 15° d'alcool…), remplacé les fûts de bois espagnol par du chêne français, allongé la durée de maturation (portée à 16 mois de fûts), renouvelé leur parc à barriques (trois quarts de bois neuf dès 1998), redéployé l'encépagement, en diminuant le cabernet sauvignon.
Mais, à Clos Mogador, le cabernet (35%) et la syrah (15%) jouent un rôle équilibrant, aux côtés du grenache (40%) et du carignan (10%). «Le 92 (à dominante cabernet) était déjà proche du vin qu'on recherchait», commente René Barbier junior. Il considère le 98 comme l'archétype du vin qu'il veut faire: «J'aime ce vin rond et élégant, avec son socle d'acidité».
Parfois, c'est plutôt le cuir, le fumé, attribué au sol schisteux, voire les champignons qui dominent. Mais, grâce à de petits rendements, la structure et la fraîcheur impressionnent, apprivoisées par un élevage toujours plus subtil. Seul désagrément: devenus vedettes, les crus du Priorat* passent largement la barre des 50 francs la bouteille à l'achat.
*Les meilleurs domaines du Priorat sont distribués par L'Oenothèque de la Treille à Penthaz, DIVO à Penthalaz, CAVE SA à Gland et Mœvenpick à Bursins.

Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue en décembre 2001.