Vins suisses — Des fûts 100% suisses
Vers des vins élevés 100% helvétiques
L'Ecole d'ingénieurs de Changins génère un projet pour «valoriser des vins suisses dans des fûts de chêne suisse fabriqués en Suisse».
Par Pierre Thomas
Authentifier des vins locaux? Participer à la recomposition de la forêt suisse? Relancer une profession — tonnelier — en voie de disparition? Le projet, présenté il y a quelques jours à Changins, devrait répondre à ces trois critères. Il y a longtemps que la question titille une chercheuse et enseignante, une des chevilles ouvrières de l'Ecole du Vin, Judith Auer. Elle a réussi à faire lever des fonds, publics et privés, pour près de 1,5 million de francs, répartis sur quatre ans.
Du chêne helvétique
Toute idée autour du vin mérite étude… Mais de développer des barriques suisses de 225 litres paraît saugrenu. Deux chiffres, pourtant, situent l'intérêt qu'un tel projet peut soulever. D'abord, si la Suisse importait 300 barriques neuves il y a vingt ans, elle en fait venir douze fois plus aujourd'hui. Ensuite, la France n'arrive plus à suivre: la mode est tellement au vin «en fûts neufs» qu'elle produira, cette année, plus de 350'000 barriques, soit dix fois plus qu'il y a vingt ans. Ces contenants, estampillés de l'Allier, du Tronçais ou des Vosges, qui font fantasmer tous les vinificateurs de la planète, ne peuvent plus être garantis d'origine. Le projet suisse, en partant de la forêt, donnerait donc une photographie exacte d'un vin local mûri dans un contenant local, dont on connaît la provenance.
Une douce folie
Au pire, les barriques suisses s'ajouteraient à la diversité, comme l'explique l'encaveur neuchâtelois Thierry Grosjean, associé au projet: «En cave, nous aimons jongler avec les provenances du bois et des tonnelleries. Comme dans le vin, dans le bois, on retrouve des millésimes. Et puis, le bois suisse casse le cliché que tout ce qui n'est pas français ne vaut rien. C'est une folie, le début d'une longue histoire…»
Reste à savoir si les chênes suisses valent les français. «A priori oui», répond Dominique Peyron, chercheuse à l'Université de Dijon, elle aussi partenaire de Changins. Mais chaque variété de chêne — on distingue les européennes, le pédonculé et le sessile, et le chêne blanc américain —, chaque origine géographique précise du bois, chaque mode de façonner une barrique — et notamment de le chauffer pour lui faire prendre la forme du tonneau — et chaque cépage élevé en barrique— les essais suisses porteront sur du chardonnay et du pinot noir — modifient les constatations.
Eviter le jus de planche
On imagine le champ d'études croisées qu'ouvrent ces questions, les seules limites étant la matière première — les forêts suisses ne sont plantées de chêne qu'à raison de 2% des arbres… — et le jeu de l'offre et de la demande. D'un côté, au maximum dix mille barriques «suisses», de l'autre, quelques pour-cent de la production de vin. Car, comme d'éminents œnologues l'ont inculqué aux élèves de Changins, le chêne est à marier avec précaution, avec des vins qui le méritent. Afin d'éviter le désagréable goût de «jus de planche», suisse ou non, peu importe le bûcheron ou le scieur, mais bien le vigneron!
Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue en mars 2002.