Rue (FR) et Vevey (VD) — Crêperie Entre Terre & Mer
La crêpe se délocalise
Dans un guide régional, un éditeur français bien connu signale qu’il est difficile de trouver une authentique crêperie hors de la Bretagne. Dans notre coin de pays, «Entre Terre & Mer» fait coup double. D’abord, cette crêperie pas comme les autres s’est installée il y a deux ans, dans une ancienne pizzéria, qui fut d’abord le café de la Fleur-de-Lys, dans la plus petite ville d’Europe, Rue. Ensuite, elle vient d’ouvrir, mi-avril, une vitrine (au sens strict du terme…) en ville de Vevey, à deux pas des cinémas. Autant le dire, ce deuxième lieu, où le Breton a chassé le Viking, un bar à café, n’a pas le charme désuet et très France profonde à la Trenet du premier. On y retrouve certes les couleurs : l’orange-ocre terrien, le bleu maritime et du blanc immaculé. Et un parquet de bois brut. Mais le tout résonne, et pas seulement de mélodies bretonnes…
Un commando de crêpières
En revanche, les crêpes y sont d’égale qualité, du moins si l’on se fie à la «patte» des crêpiers, une demi-douzaines de femmes (et un homme !) qui se partagent entre Rue et Vevey. Le jumelage est encore plus patent quand on sait que les murs des deux adresses servent de cimaise à des artistes… et que l’exposition commence à Vevey et se poursuit à Rue !
Derrière tant d’originalité, il y a une femme, Pascale Bessire, venue en Suisse pour faire démarrer une start-up d’informatique, «morte le 11 septembre 2002». Née Cudennec, cette sœur de voilier breton a rencontré un paysagiste suisse. Et elle privilégie les produits de base de la région : la laiterie des Monts lui fait même un beurre salé à la bretonne ! S’y ajoute toute la panoplie du terroir breton, du cidre aux sardines en boîte de Douarnenez, en passant par sept bières, dont la Tonnerre de Brest aux algues, le cola «alternatif» Breizh, des biscuits, les exquises dentelles Gavottes ou les palets de Pont-Aven, et le Lambig, un calvados breton et un whisky de blé noir. Mais pas de vin — parce qu’aucune vigne digne de ce nom ne pousse en Bretagne.
La pâte et la patte
Mais parlons crêpe et résumons. D’abord, il faut de la pâte : du sarrasin, breton et bio, une céréale rustique appelée aussi blé noir, pour les salées ; du froment pour les sucrées. Ensuite, des «trucs» qui rendent succulente la pâte : le sarrasin affiche une couleur dorée grâce à un peu de miel incorporé à la masse et le froment, une saveur douce grâce à une tombée de rhum. Enfin, le tour de main, pour que la pâte soit la plus fine possible. Sans oublier la «garniture», un peu comme dans la pizza, où l’on juge le talent du pizzaiolo à la marguerita, mais on se délecte de compositions diverses. Chacun a son tiercé et, ici, peut le composer à sa guise, comme cette chèvre frais, épinard, oignon, ou cette classique jambon, fromage, tomate. En sucrée, il faut goûter la salidou, un caramel breton au beurre salé ! Rien de tel qu’une bolée de cidre pour faire descendre le tout. Les prix s’échelonnent de 5,50 fr. à 14,50 fr. (pour une crêpe à six ingrédients…) et, foi de mon estomac, deux crêpes suffisent à qui n’est pas un travailleur de la mer… ou de la terre.
La bonne adresse
Entre Terre & Mer,
rue du Casino 19, Rue (FR)
du lu au ve de 11 à 14 h. et de 17 à 22 h. 30 ; sa et di de 11 à 23 h.
tél. 021 909 03 68
rue J.-J. Rousseau 9, Vevey
de 7 h. 30 à 22 h. (sauf jeudi : pas de crêpes), sa 8 h. – 23 h., di 8 h. 30 – 22 h.
tél. 021 922 44 09
www.terremer.ch
La bouteille qui va avec…
Le cidre-découverte
Pascale Bessire est une véritable ambassadrice de tous les produits bretons et travaille main dans la main avec le Squat à bières (www-squat-a-bieres.ch) à Yverdon-les-Bains. C’est là qu’elle refile ses meilleures adresses et se fournit en cidres, comme le Kerné, qui chante le pays bigouden, un «honorable produit industriel». Son effervescence, il la doit à la seule fermentation des pommes (4,5° d’alcool). Sans vouloir allumer une guerre picrocholine, les Bretons n’ont pas le monopole du jus fermenté de pommes ou de poires. Les Normands ne sont pas mal non plus… Ex-sommelier du très Parisien Alain Passard, Eric Bordelet, qui s’intitule «cidriculteur, pommologue et poirologue», a repris un domaine d’une dizaine d’hectares en Normandie méridionale. Ses cidres, qu’il nomme «Sydre», sont travaillés comme des vins : variétés (vingt sortes de pommes), terroirs (schistes ou granit) et millésimes ! Compter entre 16 et 22 fr. la bouteille, pour le rare et très subtil «poiré authentique», à la Cité des vins à Genève (www.lacitedesvins.ch).
Chronique parue dans Le Matin-Dimanche du 12 juin 2005.