Pleujouse (JU) — Le Château de Pleujouse
La vie de cuisine
Vie de château ou vie de cuisine? Catherine et Gérard Praud ont embrassé les deux. Depuis un peu plus de trois ans, ils régalent les Ajoulots de menus et plats bien sentis, faisant de ce lieu tout près de Porrentruy un jalon gastronomique qui échappe au répertoire régional. Certes, l’intitulé des menus (du plat du jour à 15 fr. au plus cossu, «Lutfirus de Pluviosa», à 85 fr.) reprend des notions du terroir mais, comme le couple, la cuisine puise son inspiration à plusieurs sources.
En bleu de travail
Les deux ont adopté la tenue du bleu rayé de travail. Catherine Praud-Prongué, fille d’intellectuels engagés du Jura, reçoit chaleureusement les hôtes. Elle fait les pains chaque matin, réalise les desserts, choisit les vins — une carte courte, habilement orientée vers Neuchâtel et le Jura (lire ci-contre), mais aussi Gaillac — et s’occupe du service. A 34 ans, elle a, derrière elle, un solide bagage de professionnelle de la cuisine : parmi les meilleures apprenties de Suisse, formée par Georges Wenger, au Noirmont (JU), puis chez Etienne Krebs, à Montreux-Clarens, et dans le Tarn, au cœur du Sud-Ouest. Elle y a rencontré son mari, de dix ans son aîné, chez le «pape» de la nouvelle pâtisserie française, auteur d’une monumentale encyclopédie, Yves Thuriès. Gérard Praud était le second de ce chef hors pair au Grand Ecuyer de Cordes. Mais ce compagnon du Tour de France avait fait ses classes du côté de Guérande, puis s’était rapproché de la Méditerranée, à la belle et bonne Auberge de Noves (aux portes d’Avignon).
Un itinéraire de vie bien charpenté, avant le «retour» au Jura. Jusqu’ici, le château de Pleujouse n’est que ruine d’une forteresse du 11ème siècle, dominée par un donjon, reconstruit au milieu du XXème siècle. Sur l’éperon rocheux trône une maison à haut toit pentu, typée de la région, restaurée grâce à une fondation, après une incendie. Réouvert il y a dix ans, ce château a connu des fortunes diverses avant l’arrivée du jeune couple. Maître de la mise en place — il a rédigé nombre de recettes pour le Thuriès Magazine, revue de haut vol —, le chef module son offre autour de produits, renouvelés tous les quinze jours. En novembre, le restaurant sacrifie au rite ajoulot de la Saint-Martin et fin janvier, met le cap sur Toulouse.
Une cuisine travaillée
Nous avons hautement apprécié les deux menus à 53 et 85 fr.. Le fond de cette cuisine travaillée est, évidemment, le choix du produit, comme cette daurade, cette poularde et ce pigeon. Ensuite vient le traitement, sophistiqué : poisson en deux cuissons dans une bisque corsée ; poitrine de volaille roulée, farcie d’artichauts à la barigoule et cuite au torchon ; pigeon enduit de miel et servi rosé. Enfin, une touche personnelle, où le chef joue sur les saveurs des épices du monde entier : galanga pour le poisson, gingembre pour le pigeon. Mais aussi sel et poivres divers, l’un et l’autre avec une pointe d’excès, ici ou là, à notre goût… Les desserts sont à la hauteur, comme ce sublime sorbet banane-rhum.
Drapée de rouge, la salle du premier étage, dite des Princes-Evêques, allie confort moderne et décor moyenâgeux. A noter que le couple accueille dix tables, pas une de plus. Mais les Jurassiens conviviaux s’y pressent en nombre.
La bonne adresse
Château de Pleujouse
Tél. 032 462 10 80
Fermé le lundi et le mardi
Le vin tiré de la cave…
Une goutte de génie
Petit-dernier de la Confédération, le Canton du Jura compte deux vignobles, depuis vingt ans seulement. L’un, le Clos des Cantons à Buix, se tourne vers le bassin du Rhône, l’autre, le Domaine Blattner à Soyhières, vers le bassin du Rhin. Mais Valentin Blattner, obtenteur génial de cépages, a une vision planétaire : ses trouvailles font florès sur l’île de Vancouver, au Canada, en Californie, et même en Hollande… En Suisse, vitupère-t-il, cela fait treize ans que la viticulture «fédérale» se penche sur ses nouveaux cépages, avant de daigner les autoriser et leur ouvrir la porte aux vertueuses appellations d’origine contrôlée. Blattner développe dans ses vignes des cépages précoces, des hybrides résistant au climat froid et aux maladies cryptogamique. Pour ce faire, il va jusqu’à la vinification. Il suffit de goûter à sa Cuvée Olivia 2003, assemblage rouge de Régent, de Léon Millot et de Millot X Foch, plus de quelques gouttes de cépages qui n’ont pas encore de nom (mais des numéros), pour comprendre qu’il y a un grand avenir à ces découvertes, respectueuses autant de l’environnement que du terroir.
Chronique parue dans Le Matin-Dimanche du 29 août 2005.