En Languedoc, l’Eldorado est encore loin
Sud de France:
l’Eldorado est encore loin
Le Languedoc-Roussillon? L’Eldorado des vins français! Le front méditerranéen, qui a subi toutes les crises viticoles, n’est pas sorti de la dernière. La preuve…
Pourtant, le tableau de notre dégustation, donne une image plutôt rassurante. Un «petit vin», à 4 francs, se paie le luxe de pointer au 5ème rang. Comme plus des deux tiers des vins de la vaste région, entre Camargue et Pyrénées, il vient d’une coopérative. Mais d’un terroir, Saint-Georges d’Orques, où la vigne est plantée depuis près de 100 ans avant J.-C. et que le président étatsunien Thomas Jefferson considérait comme un exemple à suivre.
C’était en 1800… A la fin du même siècle, Paul Coste-Floret constatait que «ce qui fait le succès de ces vins (de Bordeaux et de Bourgogne), c’est la finesse, c’est-à-dire l’ensemble des caractères qui sont incompatibles avec la grande alcoolicité, la couleur foncée, la douceur, en un mot avec les qualités des vins de coupage.» Car longtemps, jusqu’à l’essor de l’Algérie française, le Languedoc-Roussillon a donné au reste de la France des vins «médecins». Et c’est un Languedocien, Jean-Antoine Chaptal, ministre de l’Intérieur de Napoléon, qui porta un dur coup à sa région d’origine en préconisant l’enrichissement du vin par le sucre de betterave.
Qualité moyenne… moyenne
Ce lourd passé pèse toujours sur les vins du Languedoc-Roussillon. Carignan et cinsaut, deux cépages productifs, continuent à marquer les vins, «rectifiés» peu ou prou par le grenache, la syrah et le mourvèdre.
Notre grand vainqueur est issu du plus vaste domaine privé du «cru» Saint-Chinian, près de Montpellier. A moins de 10 fr., il offre un bon rapport qualité-prix, dans un style au boisé racoleur, et dans un millésime chaud, 2003. Mais les vignes du Languedoc-Roussillon ont l’habitude de souffrir… et 2003 fut, à ce titre, moins surprenant qu’ailleurs. Suivent, ex-aequo, trois vins d’un prix soutenu, dont un (faux) pirate, «La Cuvée Mythique», labellisée Vin de Pays d’Oc. Minervois et Corbières ferment la marche, à un prix moyen de 7,50 fr..
La dégustation a révélé un niveau moyen plus homogène que d’habitude. Mais ni le style traditionnel et rustique (Château Villefalse 2002), ni une extraction genre Nouveau Monde (Peyres Nobles 2003), n’ont été jugés intéressants par notre jury. Manifestement, les vins du Languedoc-Roussillon se cherchent.
Médailles cache-misère
Deux cas particuliers, enfin. Le Château Boujac 2002 est un vrai pirate : il vient de la région de Toulouse, influencée par le climat océanique et le Bordelais, malgré la présence, dans le Frontonnais, d’un cépage local, la négrette. Ce vin a été reconnu «différent» par le jury. Il avait obtenu un premier prix au Concours des vins du Sud-Ouest en 2003. Un rang flatteur dont il faut moins se méfier que de la médaille d’or du Concours mondial de Bruxelles 2005, fièrement arborée par le…dernier du classement. Un vin bon marché, qui collectionne les défauts et était obturé par un bouchon en aggloméré ridicule… Un flacon médaillé, mais imbuvable. De quoi donner raison à Jean Clavel (lire ci-contre) : «Il y a trop d’écart de qualité et de prix entre un AOC générique et les hauts de gamme de ces mêmes AOC, pour que ce soit compréhensible pour les distributeurs et les consommateurs.»
Eclairage
La faute à Bordeaux?
Sur 40 millions d’hectolitres de stock en France, début 2006, 11 millions venaient du Languedoc-Roussillon et autant du Bordelais. Pourtant, les vignerons sudistes se sont engagés à arracher 12'500 hectares (5/6 de la surface viticole de la Suisse!) contre moins de 2'000 ha pour Bordeaux, et ont envoyé 1,2 million d’hl à la distillation, contre 0,18 million d’hl à Bordeaux, selon le quotidien Libération.
Dans son livre-pamphlet, «Le 21ème siècle des vins du Languedoc» (Editions Causse, 1999), le viticulteur-syndicaliste Jean Clavel accuse le classement en AOC de toute la Gironde, en 1960, qui profite du nom de Bordeaux et d’un encépagement moderne, basé sur le merlot et les cabernets. Tandis que le Languedoc est morcelé en nombreuses AOC, condamnées aux cépages productifs traditionnels. Et que le gros du volume se vend en Vin de Pays d’Oc, où le merlot, lui, est toléré. De la Camargue aux Pyrénées, on produit 40% des vins français, qui réalisent, en volume à l’exportation, le double des bordeaux (3,5 millions d’hl, contre 1,8).
Le classement
1) Château Cazel Viel 2003, AOC St-Chinian, Coop, 9,90 CHF, 14,5
2) Dom. des Hospices de Canet 2004, AOC Côtes-du-Roussillon, Manor, 10,95
CHF, 13,25
3) Château Belles Eaux 2002, AOC Coteaux du Languedoc, Casino, 12,60 CHF, 13,25
4) La Cuvée Mythique 2002, Vin de Pays d'Oc, Coop, 12,90 CHF, 13,25
5) St-Georges-d'Orques 2004, AOC Coteaux du Languedoc, Aligro, 4 CHF, 13
6) Optimis 2004, AOC Minervois, Coop, 8,90 CHF, 12,75
7) Minervois 2003, AOC Minervois, Carrefour, 5,90 CHF, 12,5
8) Château de Villefaise 2002, AOC Corbières, 9,95 CHF, 12,5
9) Boujac 2002, Cuvée Alexanne, AOC Fronton, 12,95 CHF, 12,5
10) Château Villerembert 2004, AOC Minervois, 7,90 CHF, 12,25
11) Peyres Nobles 2003, AOC Corbières, 8 CHF, 12
12) Château Parazol 2003, AOC Minervois, 4,50 CHF, 10
Le classement complet et les commentaires de dégustation ont paru dans «Tout Compte Fait» d'avril 2006.