Genève (GE) — A Tasca do Primo
Cochon quatre saisons
Un jeudi à midi ; l’ardoise annonçait «cochon de lait» — «ha leitao», en portugais. J’ai donc poussé la porte de cette gargote eaux-vivienne. Et me suis retrouvé quelque part au Portugal… Même l’environnement rejoint le joyeux bordel des villes : à deux pas du jet d’eau, une station d’essence. Il n’y a que quelques semaines que Joaquim Mota l’a inscrit à la carte, le jeune omnivore, servi sous sa peau croustillante, enduite d’une croûte d’épices, pour contrebalancer la douceur naturelle de la viande. Le mélange est secret, mais il y a du poivre noir et blanc, du laurier, du clou de girofle, du gros sel, de l’ail et de la chapelure. La bête (allemande) se gorge une nuit de ces épices. Les feux (à gaz) sont allumés à 8 h. du matin, le mercredi et le jeudi, et le cochonnet cuit gentiment au four de 9 h. à 11 h. 30. C’est à ce moment-là qu’il est le meilleur, juste caramélisé, servi avec des pommes de terre à l’huile soufflées et une salade verte aux oignons (pour 35 francs). «Dans la région de la Beirada, on boit un vin blanc mousseux («espumante») avec», explique le patron.
Fourneaux et fado
Du pain béni pour journaliste, ce Joaquim… Le demi-siècle juste franchi, il a une histoire à raconter, depuis le jour où il s’est expatrié de Lisbonne à Stockholm, avec sa femme, pour y danser du folklore lusitanien. Cette corde-là vibre toujours et les murs résonnent de la «saudade» (tristesse) du fado, les jeudis soirs (reprise le 14 septembre), avec un jeune Portugais de Lausanne, Fabio, ou Mariana Coriea, la plus fervente disciple genevoise d’Amalia Rodriguez.
Joaquim arrive à Genève en 1978. Il se pointe dans les palaces genevois : «Je portais les valises parce que je ne savais pas un mot de français. Et je faisais à manger pour les potes.» Notre langue, il l’apprend, grimpe dans la hiérarchie au poste clé de concierge de l’hôtel Penta, puis du Noga-Hilton. Il part ensuite dans une banque, responsable des services généraux. Et à 45 ans, il se met aux fourneaux. La cuisine est dans ses gènes. L’enseigne de son bistrot, ouvert il y a six ans, signifie du reste «la taverne du cousin». Il va ces prochains jours se doubler d’une échoppe de vins portugais (lire ci-contre). La famille de Joaquim tenait une «bodeiras» près du Tage, vaste cantine pour banquets et mariages. Aujourd’hui, c’est son fils, Philippe, 22 ans, qui lui donne un coup de main pour les desserts, entre deux solos de batterie… Sa «crème de biscuit» met KO tous les «tiramisu» d’Italie! Et servie tiède avec un peu de cannelle, la fameuse «pastel de nata» à la pâte feuilletée, est délicieuse.
«Bacalau», bien sûr
On s’est donc laissé faire, avec une entrée panorama (accras de morue, morue à l’ail tiède, clovisses, poulpes, anchois et gambas). Puis une effilochée de morue (le fameux «bacalau» dont il existerait 365 recettes) entremêlée de pomme de terre, à la crème et oignon, servie très chaud, comme aux Açores. Puis des calamars juste grillés, soulignés de vinaigre, d’huile d’olive et de persil, avec des légumes. Et le cochon de lait fondant… Compter 10 à 12 fr. pour les entrées, de 26 fr. (calamars) à 42 fr. pour la «daurade dans la tuile», cuite au four avec une feuille de chou, des tomates et des patates, et de 29 fr. à 35 fr. pour l’un ou l’autre des sept plats de morue. Le menu découverte est à 52 fr., le plat du jour à 17 fr. Repas et cadre dépaysants, dans ce bistrot rustique aux chaises paillées, aux grosses bougies sur chaque table. Service attentionné par un sommelier et une charmante jeune femme.
La bonne adresse
A Tasca do Primo
5, r. Pierres-du-Niton
1207 Genève
Tél. 022 840 06 06
Fermé le samedi midi et le dimanche
www.atascadoprimo.com
Vacances du 25 août au 4 septembre
Le vin tiré de sa cave…
Une patte de génie
En rouge surtout, avec quelques crus mythiques comme le Barca Velha du Haut-Douro, le rare Pêra Manca de l’Alentejo ou le moderniste Chryseia de la vallée du Douro (les trois à la carte de «A Tasca do Primo»), le Portugal ne cesse d’étonner. Les blancs surprennent autant… Ce printemps, j’ai échangé quelques mots avec Luis Pato au Chafariz do Vinho, un ancien château… d’eau transformé en bar à vins et tapas par le journaliste Joâo Paulo Martins, à Lisbonne (près de l’Hôtel Botanico). Ex-chimiste, Luis Pato, désormais appuyé par sa fille, œnologue, est un des rénovateurs de la région de la Bairrada et du cépage rouge «baga». Il a été un des premiers à utiliser la barrique. Avec sa robe à reflets dorés, son nez d’herbe sèche et d’iode, sur des notes vanillées de chêne, le Vinhas Velhas (vieilles vignes), d’une acidité décapante, étonnante pour le millésime 2003, titille les papilles. Mais il se révèle dans toute sa subtile ampleur avec tous les plats. Un «vin de gastronomie», adapté à celle de son terroir. Distribué par Gomes Weine à Bâle, spécialiste lusitanien (www.gomes-weine.ch).
Chronique parue dans Le Matin-Dimanche du 23 juillet 2006.